Typical street scene in Santa Ana, El Salvador. (Photo: iStock)

(photo : Sultan Mahmud Mukut/SOPA Image/Newscom)

Bulletin du FMI : Pour rendre la croissance plus résiliente, les efforts doivent maintenant porter sur les réformes structurelles

le 14 avril 2014

  • L’articulation des politiques publiques doit être revue pour mettre l’accent sur la croissance et l’emploi
  • Une solution pratique doit être trouvée pour avancer sur la question de la réforme des quotes-parts
  • La réduction des inégalités passe par la « redistribution des gains de productivité »

Aux réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale qui se sont tenues à Washington D.C., ce n’est plus la sortie de crise qui a préoccupé les décideurs, mais les moyens d’assurer une croissance durable et de bonne qualité

M.Shanmugaratnam du CMFI : l’accroissement rapide de l’endettement des entreprises est un autre risque  que nous devons surveiller de très près. (photo: IMF)

M.Shanmugaratnam du CMFI : l’accroissement rapide de l’endettement des entreprises est un autre risque que nous devons surveiller de très près. (photo: IMF)

ENTRETIEN AVEC M. SHANMUGARATNAM, PRÉSIDENT DU CMFI

Dans un entretien, M.Tharman Shanmugaratnam — Vice-Premier ministre de Singapour et président du Comité monétaire et financier international (CMFI) du FMI — déclare que l’attention doit maintenant se porter vers les réformes structurelles pour « renforcer la résilience de la croissance et de l’emploi ». Il souligne aussi que les mesures prises pour s’attaquer aux inégalités de revenu doivent être principalement axées sur l’amélioration des compétences et du potentiel productif de l’ensemble des actifs.

Bulletin du FMI : En tant que président de l’instance du FMI qui fixe les orientations de l’action publique, pouvez-vous nous donner une idée des principaux thèmes des réunions d’aujourd’hui ?

M. T. Shanmugaratnam : Le thème dominant des réunions est que nous avons atteint une nouvelle phase de la reprise. C’est surtout net aux États-Unis, mais le pire est derrière l’Europe aussi même si des risques négatifs persistent. Au niveau mondial, la sortie de crise remonte à quatre ou cinq ans. Les politiques publiques doivent être rééquilibrées vers des objectifs à moyen terme et le renforcement de la résilience de la croissance et de l’emploi.

Le deuxième thème important de nos discussions a concerné la stabilité financière. Je ne parle pas ici des séquelles de la dernière crise, qui se font toujours sentir sous la forme notamment des bilans affaiblis des banques en Europe et ailleurs, mais de risques nouveaux. La reprise s’accompagne en effet de nouveaux risques. Les rendements de toute une série de placements à risques sont comprimés. Certains pensent que c’est une bonne chose parce que le coût de l’emprunt est plus faible aujourd’hui, mais nous devons nous demander si c’est le cas parce que le risque a disparu ou parce qu’il est mal évalué. Les taux de rendement vont finir par s’ajuster et il en résultera de nouvelles instabilités.

Un autre risque, signalé par plusieurs de mes collègues, réside dans l’accroissement rapide de l’endettement des entreprises observé dans les pays en développement ainsi que dans certains pays avancés, mais moins en Europe. L’endettement a augmenté, beaucoup plus que l’investissement. Ce sont de nouveaux risques que nous devons surveiller de près.

Et dans le cas des pays émergents, le risque de volatilité des flux de capitaux n’a pas disparu. Il ne s’agit pas, à mon avis, d’un phénomène à court terme, d’un phénomène épisodique. C’est une situation qui va durer un certain temps.

Bulletin du FMI : Il n’est, semble-t-il, plus question de la reprise, mais du renforcement de la croissance et, en fait, de la réalisation d’une croissance durable et de bonne qualité. Comment peut-on y parvenir ?

M. T. Shanmugaratnam: L’articulation des politiques publiques doit être revue. Les mesures macroéconomiques fondamentales pour empêcher la demande de fléchir restent importantes. Mais nous devons de plus en plus nous préoccuper des réformes structurelles parce que notre objectif devrait être non pas d’assurer la croissance d’un trimestre à l’autre ou d’une année à l’autre, mais d’établir une croissance durablement résiliente. Et celle-ci ne pourra venir que de réformes structurelles.

La production n’atteint son plein potentiel nulle part dans les pays avancés, pas plus aux États-Unis qu’au Royaume-Uni, en Europe ou au Japon ; elle reste aussi en deçà de son potentiel dans nombre de pays émergents. La demande est donc insuffisante, par définition. La question qui se pose est celle de savoir comment remédier à cette insuffisance de la demande ? Si nous nous contentons de gérer la demande à l’aide essentiellement de mesures de relance macroéconomique, cela ne marchera pas.

Il est essentiel, au stade actuel de la reprise, de renforcer la confiance à long terme dans nos économies. Et celle-ci résultera bien moins de la politique macroéconomique que d’une amélioration de l’enseignement et d’un renforcement des institutions qui permettent aux investisseurs de long terme d’avoir confiance dans nos économies. C’est pourquoi, le côté de l’offre a tenu une place beaucoup plus importante dans nos discussions cette fois-ci.

Les politiques de la demande ont encore un rôle à jouer, mais c’est de l’offre que viendra la confiance, une confiance durable, à ce stade de la reprise.

Bulletin du FMI : Le CMFI s’est déclaré profondément déçu par le retard accusé dans l’adoption de la réforme des quotes-parts de 2010. Comment pouvons-nous avancer sur ce front ?

M. T. Shanmugaratnam : C’est vrai, la situation actuelle n’est pas idéale. Nous n’avons jamais souhaité en être là, mais nous devons trouver une solution pratique pour sortir de cette impasse. Les projecteurs doivent tout d’abord être braqués sur les États-Unis. Ils doivent ratifier les réformes et je crois qu’ils le feront. C’est dans leur intérêt et je pense qu’ils finiront par agir de façon responsable. Mais plus fondamentalement, ces réformes, y compris la quatorzième révision générale des quotes-parts, s’inscrivent dans l’évolution d’une institution internationale essentielle.

Le FMI c’est le multilatéralisme. C’est la recherche de solutions mondiales aux problèmes mondiaux. Sans les réformes, le FMI n’obtiendra pas les ressources dont il a besoin — des ressources permanentes et non des emprunts provisoires — et nous assisterons alors à une montée du régionalisme et du bilatéralisme. Nous serons en présence d’un monde plus fragmenté. Et ce monde-là ne sera pas plus sûr. C’est un monde qui ne sera meilleur pour personne, y compris les États-Unis.

Bulletin du FMI : On a beaucoup parlé d’inégalités de revenu durant ces réunions. À votre avis, quels sont les dossiers prioritaires?

M. T. Shanmugaratnam : C’est un sujet qui occupe une place grandissante dans nos réflexions. Le FMI ne s’intéresse pas simplement aux questions macroéconomiques et financières. En dernière analyse, l’objectif visé est celui du bien-être des populations. Or, qui dit bien-être dit inclusion, dit prospérité généralisée à un large éventail de métiers et de secteurs sociaux.

Au-delà de l’inégalité, la pauvreté reste un redoutable défi à relever. La croissance durable dont il est souvent question, renvoie en fait à la qualité de la croissance. Il ne s’agit pas simplement d’une statistique de PIB, mais bien de la qualité de la croissance, qui peut relever les niveaux de vie de l’ensemble de la société.

Comment y parvenir? Comment s’attaquer à un problème qui n’est pas simplement un des résultats de cette crise, mais qui correspond à une phase entièrement nouvelle de l’économie mondiale, où la technologie prend en charge certaines fonctions auparavant réalisées par le travail, et où la mondialisation elle-même supprime des emplois, en particulier dans les pays plus avancés ou à revenu intermédiaire, pour les recréer ailleurs?

À mon sens, la réponse réside dans ce que mon collègue mexicain appelle la redistribution de la productivité. Il s’agit de renforcer les aptitudes et le potentiel productif de tout le monde, non pas simplement dans les secteurs les plus modernes ou les plus avancés, pas simplement chez les cadres ou dans l’économie de la connaissance; tout le monde doit être concerné car c’est là la clé d’une meilleure rémunération et d’un véritable épanouissement. C’est là la manière la plus durable de corriger l’inégalité.

Il faut pour cela axer davantage nos politiques sur l’ensemble de la société et avoir à l’esprit, non seulement le souci d’une redistribution classique, mais aussi le potentiel productif, la capacité à contribuer. C’est une tâche redoutable et aujourd’hui il n’y a pour cela aucun modèle infaillible où que ce soit dans le monde. Nous devons être à l’écoute les uns des autres et apprendre les uns des autres.