COMITÉ INTÉRIMAIRE DU FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL
Intervention de M. Dominique STRAUSS-KAHN
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, France

anglais

Washington, le 26 septembre 1999

Monsieur le Président,

Les dernières prévisions du FMI confirment la vigueur de la croissance mondiale. Cette situation favorable ne nous dispense pas d'une réflexion sur les mécanismes à l'œuvre et sur les moyens de les améliorer. Il en va de la responsabilité du FMI comme de celle de tout Gouvernement.

Aujourd'hui, face à une nouvelle forme de croissance, il nous faut trouver de nouvelles régulations, pour un monde plus juste et plus efficace. Pour cela, il nous faut trouver les moyens d'une croissance mondiale durable et équilibrée et déterminer les règles qui permettront de conforter ce dynamisme. La responsabilité de la communauté financière internationale est, de ce point de vue, considérable. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les positions et propositions françaises.

1°) Se mobiliser pour une croissance mondiale durable et équilibrée

Je souscris pleinement à l'appréciation portée par mon collègue Finlandais, président du Conseil ECOFIN, sur les perspectives de l'Union européenne et de la zone euro. Les conditions d'une croissance robuste et durable sont réunies. Les exportations se redressent, les perspectives dans l'industrie s'améliorent, la confiance des ménages est bonne et leur pouvoir d'achat bien orienté. Dans ces conditions, la croissance devrait être soutenue au second semestre et en 2000.

La France joue un rôle moteur dans cette bonne situation de l'économie européenne. La croissance est bien repartie au deuxième trimestre et le "trou d'air" de cet hiver est désormais derrière nous. Et cette croissance est riche en emplois. Depuis juin 1997, plus de sept cent mille emplois ont ainsi été créés dans le secteur privé. Ceci provient notamment d'une politique macro-économique équilibrée, associant redressement des finances publiques et politique monétaire adaptée, et d'une politique de réformes en faveur notamment de l'innovation, de l'abaissement des charges sur les bas salaires et de l'encouragement à une réduction et à une meilleure gestion du temps de travail. Le redressement très sensible de l'investissement permet de commencer à rattraper le retard enregistré au début des années quatre-vingt-dix et de doter l'économie française des atouts nécessaires à une croissance forte et durable. Au total, la croissance pourrait passer de +2,3% environ cette année à 2,6-3% l'an prochain. Je note que le FMI nous situe en haut de cette fourchette.

Ces bonnes perspectives européennes contrastent avec les incertitudes qui pèsent encore sur le Japon, en dépit d'indicateurs récents plus favorables. Le processus de croissance auto-alimentée n'est pas encore déclenché. La demande intérieure est fragile, du fait notamment de la hausse du chômage. Il faut que la politique économique continue à combattre les risques d'affaiblissement de la croissance. La demande extérieure peut jouer un rôle important, à condition que l'évolution du yen soit maîtrisée.

La vigueur de la croissance américaine reste quant à elle impressionnante. Le ralentissement maîtrisé que recherchent les autorités ne doit pas masquer la performance des dernières années. Pour l'avenir, je me félicite que la politique budgétaire contribue à réduire le déficit d'épargne : dans le contexte d'une croissance incertaine, des baisses d'impôt ne feraient qu'accroître les déséquilibres existants.

Les économies émergentes et en développement, après avoir traversé une période très difficile à la suite des crises financières et de la chute des cours des matières premières en 1998, se rétablissent progressivement. L'amélioration demeure toutefois inégale. Les signes positifs apparus, notamment en Asie, ne doivent pas faire oublier la vulnérabilité de la plupart de ces économies aux chocs externes, ni l'ampleur des réformes qui restent à mettre en œuvre, notamment dans le secteur financier. En ce qui concerne plus particulièrement l'Indonésie, il est clair que la stabilisation de l'économie est indissociable de réformes politiques et de l'amélioration de la "gouvernance".

En Amérique latine, des ajustements courageux ont été conduits. Le Brésil se rétablit plus vite que prévu. Mais l'activité dans la région demeure atone, voire recule.

Il y a un an, notre réunion s'ouvrait dans l'inquiétude : la crise asiatique, la défaillance russe, le reflux des capitaux de l'ensemble des pays émergents, l'atonie de l'économie japonaise, la fébrilité des marchés des pays développés, tout ceci laissait planer la menace d'une récession généralisée. Les politiques économiques suivies en Europe et aux Etats-Unis, l'action déterminée des institutions de Bretton Woods, le courage des gouvernements et des peuples touchés par la crise ont permis d'éviter le pire. Les perspectives de croissance mondiale peuvent aujourd'hui inciter de nouveau à l'optimisme. Il nous faut maintenant consolider ce premier résultat.

2°) A une nouvelle croissance doivent correspondre de nouvelles règles, notamment en matière d'amélioration de la gouvernance et de lutte contre le blanchiment.

a) Il faut une meilleure police internationale des paradis bancaires et fiscaux, notamment pour lutter contre le blanchiment

Ceci est nécessaire pour que nous ayons une régulation internationale à la mesure de la globalisation. Comme en matière de commerce international, la loyauté de la compétition est une condition de son efficacité. Depuis deux ans, notamment à l'initiative de la France, des travaux ont été lancés, notamment dans le cadre du Forum de stabilité financière animé par A. Crockett. Ils doivent aboutir rapidement à des réformes concrètes. Sinon ce fléau, qui représente entre 2% et 5% du PIB mondial, continuera de se développer. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les propositions faites par la France en faveur :

  • de règles plus précises et plus sévères notamment en ce qui concerne l'interdiction de formes juridiques mal ou non réglementées (trusts, international business corporations, sociétés écrans) et le renforcement des législations anti-blanchiment par l'élargissement du champ des déclarations de soupçons à toutes les transactions suspectes, y compris en matière de corruption, et l'association de toutes les professions d'intermédiaires à la lutte contre le blanchiment (y compris les intermédiaires non financiers : conseils juridiques, agents immobiliers, casinos, . . . ).
  • de moyens d'actions renforcés par l'établissement rapide par le GAFI et les autorités prudentielles d'une liste des Etats et territoires délinquants et la mise en place d'une coopération technique renforcée avec ces Etats et territoires pour qu'ils se mettent aux normes internationales dans un calendrier défini.
  • d'une identification plus efficace des déviations par la création d'un mécanisme de signalement international permettant de demander aux autorités judiciaires le blocage simultané des comptes détenus par la personne soupçonnée et la mobilisation accrue des institutions financières internationales dans la lutte contre le blanchiment. Ces institutions, notamment le FMI, pourraient se doter d'une " charte de gouvernance " appliquée dans l'examen de la situation des pays et conditionnant l'octroi de concours financiers (règles minimales de lutte contre le blanchiment, interdiction de l'utilisation de centres offshore par les entités publiques de pays bénéficiant d'une aide, audits indépendants des secteurs sensibles, mise en place de systèmes prudentiels efficaces et de règles de transparence dans le domaine budgétaire et du change).
  • de sanctions graduées allant d'encouragements et injonctions dans le cadre des organismes multilatéraux (institutions de Bretton Woods, GAFI, Union européenne) et des relations bilatérales (sujet inscrit à l'ordre du jour de toutes les visites bilatérales) jusqu'à des mesures de restriction des mouvements de capitaux avec les centres offshore, partielles ou totales, temporaires ou définitives, mises en œuvre sous l'égide des autorités prudentielles pouvant agir à l'égard des intermédiaires financiers.

    b) Il faut ensuite continuer à adapter l'architecture financière internationale

    Le projet de résolution qui vise à pérenniser notre Comité constitue une étape vers le renforcement du fonctionnement du Fonds. Celui-ci a besoin d'une plus grande implication des gouvernements dans l'élaboration de ses politiques. Plus légitime, l'action des services du FMI en deviendra plus efficace. C'est une étape positive que nous franchissons aujourd'hui mais ce n'est qu'une étape. Les arguments en faveur d'un "Conseil" du FMI demeurent valides et une réforme plus ambitieuse est à la fois nécessaire et inévitable.

    La réforme du système monétaire et financier international a bien avancé. L'élaboration des codes, le développement de la surveillance du FMI sur les vulnérabilités potentielles des économies, la redéfinition d'une stratégie raisonnable d'ouverture aux mouvements de capitaux sont autant d'éléments essentiels.

    Il y a cependant trois questions qui méritent des avancées plus franches : les régimes de changes, la régulation des activités financières et l'implication du secteur privé dans la résolution des crises. Elles sont en effet décisives pour une régulation efficace face à la mondialisation financière.

    Régimes de changes : pour des principes de transparence et de cohérence.

    Les régimes et politiques de change ont joué un rôle essentiel dans les crises récentes. Conformément à sa mission, le FMI doit donc élaborer une stratégie globale. Mais il doit se garder d'une attitude qui, à défaut d'être convaincante, serait simple. Elle consisterait à n'encourager que deux régimes de change extrêmes—le flottement pur ou le "currency board"—et à considérer tous les autres régimes comme insoutenables.

    Si cette vision avait été retenue, l'euro ne serait pas aujourd'hui la monnaie de l'Europe. Il faut laisser la place à la poursuite de coopérations régionales. C'est pourquoi, plutôt que d'offrir une fausse alternative entre deux régimes extrêmes, il faut faire prévaloir les principes de transparence et de cohérence : en adoptant un régime de change, un pays doit indiquer quels sont les objectifs qu'il poursuit et dans quelle perspective il inscrit sa politique de change. Le FMI devrait contribuer à cette réflexion, en fonction des orientations retenues par chaque pays.

    La régulation des activités financières : il ne faut pas laisser les fonds spéculatifs de côté.

    Traditionnellement cantonnée à la protection des épargnants, la régulation prudentielle est aujourd'hui un enjeu macro-économique. La création du Forum de Stabilité Financière, qui réunit notamment Institutions de Bretton Woods et organisations de contrôleurs, est une bonne illustration de ce constat.

    Dans le cadre des travaux de ce Forum, je souhaite très vivement que les réticences traditionnelles s'effacent devant la nécessité d'agir. Par exemple, il paraît évident à tout le monde qu'une grande banque commerciale, dont les difficultés éventuelles peuvent avoir des conséquences systémiques, soit soumise à une réglementation prudentielle pour limiter son effet de levier, ses risques de liquidité, la concentration de ses expositions.

    J'avoue ne pas comprendre pourquoi il ne serait pas naturel que soient soumis à un régime prudentiel similaire une banque d'investissement ou un fonds spéculatif à effet de levier recelant les mêmes risques systémiques, au point de bénéficier de l'intervention d'une banque centrale comme l'expérience récente l'a montré. C'est la raison pour laquelle, au-delà des progrès nécessaires en matière de transparence et de contrôle via les positions des établissements financiers, il paraît indispensable de définir des règles applicables directement à ces fonds.

    Enfin, en cas de crise, il est essentiel que le secteur privé soit impliqué.

    Le principe est acquis, mais les exemples récents de négociation avec le secteur privé ont démontré les limites d'une approche strictement coopérative. Il faut donc que nous soyons en mesure d'afficher publiquement le cadre sur lequel nous fondons l'implication du secteur privé. Je souhaite que le FMI y travaille au plus vite sur la base des principes proposés par le G7 lors du Sommet de Cologne et avec la volonté d'un traitement équitable de tous les créanciers privés.

    La France partage naturellement le souci de tous de ne pas voir le FMI se trouver impliqué dans des négociations qui relèveraient de la relation qu'entretient un pays débiteur avec ses créanciers privés. Il faut éviter tout aléa moral qui se traduirait par exemple par la prise en charge par le contribuable des pertes alors que les gains seraient réservés au secteur privé. Mais je m'inquiète tout autant d'une situation où les pays débiteurs seraient laissés seuls maîtres de décider sur quelle catégorie d'investisseurs privés faire supporter la charge des financements attendus. Ouvrir la voie aux défauts sélectifs me semble aussi dangereux pour la stabilité financière internationale que d'autoriser un désengagement du secteur privé grâce à l'apport de financements publics.

    Avec le principe de comparabilité de traitement du Club de Paris, nous disposons d'une première réponse. Dans les cas où ce principe est en jeu, la détermination de son champ d'application appartient aux pays membres du Club sur la base d'une analyse opposable aux pays débiteurs comme aux investisseurs privés. Je souhaite que, dans les autres cas, la communauté internationale s'assure que toutes les catégories de créanciers soient impliqués de façon équitable, quelle que soit la nature des créances en jeu.

    Nous devons aussi nous tenir prêts, dans les situations où l'approche coopérative sur laquelle nous avons fondé notre approche trouverait ses limites, à recourir à des solutions plus coercitives qui démontreraient notre volonté de parvenir à un véritable partage de l'effort au sein de la communauté des bailleurs de fonds. La politique de prêts en arriérés du FMI figure au nombre des instruments à notre disposition. Je souhaite que nous établissions un code de conduite pour l'association du secteur privé à la résolution des crises, et que ce code devienne partie intégrante des recommandations du FMI.