Économie mondiale : de bonnes nouvelles menacées par les tensions commerciales

Maurice Obstfeld
17 avril 2018

L’escalade récente des tensions commerciales constitue un risque croissant pour l’économie mondiale (photo: STRINGER/REUTERS/Newscom).

L’économie mondiale continue d’afficher une croissance généralisée. Dans ce contexte positif, la perspective d’un conflit commercial tout aussi généralisé présente une image discordante.

Il y a trois mois, nous avons mis à jour notre prévision de la croissance mondiale pour cette année et l’année prochaine dans une large mesure, à 3,9 % pour les deux années. Cette prévision repose sur la persistance de bons résultats dans la zone euro, au Japon, en Chine et aux États-Unis, tous ces pays ayant connu une croissance supérieure aux attentes l’an dernier. Nous prévoyons aussi une amélioration à court terme pour plusieurs autres pays émergents et pays en développement, notamment une reprise dans des pays exportateurs de produits de base. L’accélération de l’investissement et surtout du commerce demeure le moteur de l’expansion de l’économie mondiale.

En ce qui concerne les plus grands pays, nos projections de croissance pour 2018 sont de 2,4 % pour la zone euro (en hausse de 0,5 point par rapport à nos projections d’octobre 2017), de 1,2 % pour le Japon (en hausse de 0,5 point), de 6,6 % pour la Chine (en hausse de 0,1 point) et de 2,9 % pour les États-Unis (en hausse de 0,6 point). La croissance américaine sera stimulée en partie par une relance budgétaire largement temporaire, qui explique plus d’un tiers de notre révision à la hausse pour 2018 par rapport à nos prévisions d’octobre dernier.

En dépit des bonnes nouvelles à court terme, les perspectives à plus long terme donnent plus à réfléchir. Les pays avancés, qui sont confrontés au vieillissement de leur population, à la baisse de leur taux d’activité et à la faible croissance de leur productivité, ne retrouveront probablement pas la croissance par habitant qu’ils ont enregistrée avant la crise financière mondiale. Les pays émergents et les pays en développement présentent un tableau divers : parmi ceux qui n’exportent pas de produits de base, certains peuvent escompter une croissance à plus long terme comparable à celle d’avant la crise. Bon nombre de pays exportateurs de produits de base n’auront pas autant de chance, cependant, en dépit d’une amélioration des perspectives des prix de ces produits. Ces pays devront diversifier leur économie afin d’affermir leur croissance et leur résilience.

Escalade des risques

Au-delà des prochains trimestres, les perspectives sont exposées à des risques notables. Comme le décrit notre dernière édition du Moniteur des finances publiques, les niveaux d’endettement à l’échelle mondiale, tant privé que public, sont très élevés, ce qui risque de créer des problèmes de remboursement lorsque les politiques monétaires se normalisent tandis que bon nombre de pays font face à une croissance plus faible à moyen terme. Comme le note le dernier Rapport sur la stabilité financière dans le monde, les conditions financières mondiales restent généralement favorables en dépit du relèvement des taux d’intérêt directeurs, ce qui conduit à une nouvelle accumulation de sources de vulnérabilité sur les marchés d’actifs. Les risques géopolitiques ne doivent pas être ignorés, et, bien entendu, la récente escalade des tensions commerciales présente un risque croissant.

Les perceptions de ces risques pourraient déjà laisser des traces. Par exemple, si les indices des directeurs d’achats restent en territoire expansionniste, ils ont fléchi récemment, tant dans les pays avancés que dans les pays émergents, en partie à cause d’un recul des commandes d’exportations. Les conditions financières restent souples, comme nous venons de le noter, mais elles se sont durcies quelque peu depuis le début de l’année.

Au FMI, nous disons depuis un certain temps que l’expansion cyclique actuelle offre aux dirigeants une occasion idéale d’accélérer la croissance à plus long terme, de la rendre plus résiliente et de mieux en partager les bienfaits. La bonne période actuelle ne durera pas longtemps, mais une politique économique bien conçue peut prolonger l’expansion tout en réduisant les risques d’une fin déstabilisatrice. Les pays doivent reconstituer leurs amortisseurs budgétaires, adopter des réformes structurelles et mener leur politique monétaire de manière prudente dans un environnement qui est déjà complexe et difficile.

Tensions commerciales

La perspective de restrictions aux échanges commerciaux et de mesures de rétorsion menace de saper la confiance et de faire dérailler prématurément la croissance mondiale. Si certains gouvernements mettent en œuvre des réformes économiques de grande ampleur, les différends commerciaux risquent d’en détourner d’autres des mesures constructives qu’ils devraient prendre aujourd’hui pour améliorer et pérenniser les perspectives de croissance.

Le fait que les grandes économies flirtent avec une guerre commerciale en période d’expansion économique généralisée semble peut-être paradoxal, surtout lorsque cette expansion dépend autant de l’investissement et du commerce. Cependant, en particulier dans les pays avancés, l’optimisme des populations quant aux bienfaits de l’intégration économique a souffert au fil du temps de la tendance de longue date à la polarisation des emplois et des salaires, conjuguée à la persistance d’une croissance médiocre des salaires médians. Bon nombre de ménages n’ont guère ou pas du tout profité de la croissance.

Ces tendances s’expliquent davantage par les progrès technologiques que par le commerce, et même dans les pays où le retour de bâton n’est pas notable, le scepticisme de la population quant à la capacité des dirigeants à réaliser une croissance robuste et inclusive s’est propagé. La désillusion des électeurs risque de conduire à des développements politiques qui pourraient déstabiliser une série de politiques économiques à l’avenir, au-delà de la politique commerciale.

Les gouvernements se doivent d’affermir la croissance, de mieux en partager les bienfaits, d’augmenter les opportunités économiques en investissant dans les ressources humaines et d’accroître le sentiment de sécurité des travailleurs face aux prochains progrès technologiques qui pourraient transformer radicalement la nature du travail. Les différends commerciaux détournent de ce programme d’action vital plutôt que de le faire avancer.

Les tensions commerciales ont commencé à s’aggraver début mars avec l’annonce par les États-Unis de leur intention d’appliquer des droits de douane sur l’acier et l’aluminium pour des raisons de sécurité nationale. Cette annonce a orienté plusieurs négociations bilatérales visant à réduire le déficit commercial américain avec certains partenaires commerciaux. Cependant, ces initiatives ne modifieront guère le déficit courant américain multilatéral ou global, qui tient principalement à des dépenses agrégées supérieures au revenu total. Les mesures budgétaires adoptées récemment par le gouvernement américain creuseront en fait le déficit courant américain. Par rapport à notre projection d’octobre 2017, qui précédait les modifications apportées récemment aux impôts et aux dépenses, nous nous attendons à ce que le déficit courant américain en 2019 soit supérieur d’environ 150 milliards de dollars.

Les déséquilibres courants peuvent jouer un rôle économique essentiel, mais lorsqu’ils deviennent excessifs, ils comportent des risques, notamment celui de conduire à des différends commerciaux. Dans l’environnement mondial actuel, la charge de la réduction des déséquilibres mondiaux excessifs devrait être partagée grâce à une action multilatérale : tant les pays en situation de déficit que ceux en situation d’excédent doivent adopter des politiques macroéconomiques qui alignent mieux leurs dépenses sur leur revenu.

Cependant, même en l’absence de déséquilibres mondiaux excessifs, il convient, pour faire face à des pratiques commerciales inéquitables, y compris en matière de propriété intellectuelle, de disposer d’un système fiable et équitable de résolution des différends qui s’inscrit dans un cadre multilatéral solide et fondé sur des règles. Il est possible de renforcer le système actuel plutôt que de risquer une fragmentation bilatérale du commerce international. S’ils sont conformes aux règles multilatérales, des accords plurilatéraux peuvent aussi conduire à un commerce plus ouvert. À cet égard, l’accord global et progressif de partenariat transpacifique, qui concerne 11 pays, et la zone de libre-échange continentale en Afrique, qui en concerne 44, sont prometteurs.

Chaque gouvernement peut faire beaucoup de son côté pour promouvoir une croissance plus vigoureuse, plus résiliente et plus inclusive. Cependant, il reste essentiel de coopérer à l’échelle multilatérale pour s’attaquer à une série de problèmes en dehors de la gouvernance du commerce mondial. Il s’agit notamment du changement climatique, des maladies infectieuses, de la cybersécurité, de l’imposition des entreprises et de la lutte contre la corruption. L’interdépendance mondiale ne cessera de s’intensifier et à moins que les pays ne l’abordent dans un esprit de collaboration et non de conflit, l’économie mondiale ne pourra prospérer.

************

Obstfeld, Maurice
Maurice Obstfeld est le Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI, en disponibilité de l’université de Californie, à Berkeley, où il est professeur d’économie Class of 1958 et anciennement directeur de la faculté d’économie (1998–2001). Professeur à Berkeley depuis 1991, il a auparavant occupé les postes de professeur titulaire à l’université Columbia (1979–86) et à l’université de Pennsylvanie (1986–89), et de professeur invité à Harvard (1989–90). Il a obtenu son doctorat en économie au MIT en 1979, après avoir étudié à l’université de Pennsylvanie (licence, 1973) et au King’s College de l’université de Cambridge (maîtrise, 1975).



DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

Relations publiques    Relations avec les médias
Courriel : publicaffairs@imf.org Courriel : media@imf.org
Télécopie : 202-623-6220 Télécopie : 202-623-7100