Guider le monde vers plus de coopération, et non moins

Vitor Gaspar, Sean Hagan et Maurice Obstfeld
22 août 2018

Dans un monde plus interdépendant que jamais, les pays peuvent faire beaucoup de choses lorsqu’ils s’unissent (photo: Anton Sokolov/iStock by Getty Images)

Les pays coopèrent lorsqu’ils estiment que cela sert leurs intérêts aussi bien économiques que politiques. La coopération mondiale au lendemain de la deuxième guerre mondiale (à travers un système de règles, de principes communs et d’institutions) a favorisé d’importants progrès économiques et sociaux et affranchi des millions de personnes d’une pauvreté abjecte. Lorsque des pays se sont joints il y a dix ans afin de coordonner leurs politiques macroéconomiques, ils ont empêché que la Grande récession ne devienne une autre Grande dépression. Le premier sommet du G-20 organisé en novembre 2008, a réuni les principaux pays avancés et de grands pays émergents comme le Brésil, la Chine et l’Inde. Il symbolisait un besoin urgent de coopération. En effet, les pays peuvent faire beaucoup de choses lorsqu’ils s’unissent.

Or, à une période où l’économie mondiale est plus complexe que jamais et connaît des difficultés communes à tous les pays, ceux-ci se montrent moins disposés à agir collectivement. Le système de coopération mondiale est aujourd’hui sous tension.


Il existe des raisons compréhensibles de remettre en question les avantages persistants de la coopération internationale aujourd’hui. Les inégalités économiques dans les pays se creusent, surtout dans les pays avancés. Bon nombre de ménages n’ont guère tiré avantage de la croissance économique et de nombreuses communautés ont souffert des pertes d’emplois et d’industries toutes entières. Les électeurs sont donc plus enclins à prêter l’oreille lorsque des politiciens affirment que les engagements mondiaux empêchent de résoudre les problèmes internes.

Cependant, renoncer à la coopération internationale serait une erreur et recréerait certaines des conditions qui ont causé les crises passées. Mais la coopération internationale ne peut se faire sans soutien politique national. Par conséquent, les pays sortiront perdants à moins que les dirigeants ne démontrent les avantages concrets de la coopération internationale aux électeurs.

Une coopération internationale sous tension

Deux principaux facteurs sapent la confiance dans les avantages de la coopération économique.

Premièrement, bien que l’innovation technologique et l’expansion des échanges mondiaux aient contribué à une réduction considérable des inégalités entre habitants de différents pays, ils sont en partie responsables du creusement des inégalités au sein de nombreux pays avancés. L’opinion publique semble tenir le commerce pour principal coupable de cette situation, d’où sa méfiance à l’égard d’une plus grande expansion des échanges par une intégration économique sans cesse croissante.

Deuxièmement, la réussite même de la coopération internationale a, au fil du temps, réduit la proportion de l’activité économique qui se déroule dans les pays avancés, notamment en Europe, aux États-Unis et au Japon, tout en augmentant celle des pays émergents.

Le graphique montre cette évolution frappante depuis 1950. Les avantages que les États-Unis et d’autres pays avancés tirent de la contribution à des biens publics mondiaux comme le commerce sont de plus en plus partagés avec d’autres pays.

Cela pourrait expliquer pourquoi la réussite de la mondialisation et de la coopération internationale menées par les États-Unis (sur le plan de l’augmentation des échanges et des revenus par habitant à travers le monde) a, paradoxalement, érodé le soutien du public à la coopération aux États-Unis et dans d’autres pays avancés. Il est plus difficile de sauvegarder la coopération dans le monde multipolaire d’aujourd‘hui.

Le besoin permanent de coopération internationale

Malgré ces difficultés, les pays ont besoin de plus et non moins de multilatéralisme. Pourquoi ? Parce que le monde est devenu plus interdépendant que jamais.

Pour commencer, la révolution technologique a accru les connexions et les complexités à travers le monde. Les idées circulent partout. La production s’internationalise par le biais des chaînes d’approvisionnement mondiales, car les pays ont de plus en plus besoin d’intrants d’autres pays pour leurs exportations.

La liste des problèmes communs est intimidante. Elle comprend les changements climatiques, le déclin de la biodiversité, le risque de pandémies et de bactéries multirésistantes, la raréfaction de l’eau potable, la dégradation des océans, la cybercriminalité, le terrorisme, les migrations de masse et l’évasion fiscale.

Les frontières nationales ne sont pas à la hauteur de ces défis ; ces derniers requièrent une coopération entre les pays.

L’intégration de notre monde favorise aussi des pratiques commerciales néfastes à la société comme les trafics d’êtres humains, de stupéfiants et d’armes, ainsi que des flux transfrontaliers anonymes de fonds mal acquis. Une fois de plus, les autorités d’un pays ne sont pas en mesure d’y faire face toutes seules. Des efforts concertés s’imposent.

Recueillir une plus grande adhésion

Cela dit, les pouvoirs publics ne peuvent résister à la tentation de politiques égocentriques que si la coopération peut obtenir l’adhésion du grand public. Pour ce faire, elle doit donner l’impression d’atténuer des préoccupations légitimes et largement répandues quant aux coûts de la mondialisation. Dans le cas contraire, les électeurs seront davantage à la merci de dirigeants politiques faisant retentir les sirènes de l’auto-suffisance.

En d’autres termes, tous les dirigeants doivent mener des politiques pour aider les victimes des bouleversements liés aux échanges ou aux progrès technologiques. Cela signifie également qu’il faut promouvoir des politiques qui réduisent les inégalités, élargissent les horizons économiques en investissant dans les personnes, accroissent la transparence de la gouvernance (en particulier des régimes fiscaux) et réduisent la corruption.

Ces dernières années, le FMI a davantage insisté sur ces questions dans tous les aspects de ses conseils aux pays.

Un certain degré d’humilité sera également nécessaire pour accroître le soutien à la coopération. L’époque grisante de l’après-guerre, où les pays cédaient formellement des pans de leur souveraineté, y compris en matière de taux de change, est révolue. Le moyen de coopération le plus important est le droit « souple », par lequel les pays s’engagent collectivement à appliquer de bonnes pratiques, comme les Principes fondamentaux de Bâle pour un contrôle bancaire efficace, plutôt que le droit « dur » ou des obligations juridiquement contraignantes.

La coopération mondiale a contribué à étendre le bien-être et à ouvrir des débouchés de façon impressionnante au cours des 70 dernières années. Elle doit désormais prouver son efficacité face aux défis du 21e siècle. Pour relever ces défis, il sera indispensable de recourir à de nouveaux modes de coopération, d’améliorer la communication et d’appliquer un programme d’action mondial recueillant l’adhésion du public au sens large.

Bref, le monde a besoin d’un nouveau multilatéralisme.

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Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est directeur du département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant d’intégrer le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu, celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le bureau des conseillers de politiques européennes de la Commission européenne de 2007 à 2010, et a été directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne ; il a également étudié à l’Université catholique portugaise.



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