L'Afrique face à la crise financière mondiale, Discours prononcé à l’occasion de la semaine de l’Afrique 2009, Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du FMI

le 19 mai 2009

Discours prononcé à l’occasion de la semaine de l’Afrique 2009
Dominique Strauss-Kahn, Directeur général, FMI
Washington DC, le 19 mai 2009

Je tiens tout d’abord à souhaiter la bienvenue au FMI aux ambassadeurs et représentants du corps diplomatique africain. Vous le savez, nous sommes profondément déterminés à travailler aux côtés de nos pays membres africains et ne sommes que trop conscients des difficultés qu’ils connaissent. Dans cette conjoncture éprouvante, nous faisons de notre mieux pour répondre à leurs besoins. Il y a de cela deux mois, j’ai rencontré les dirigeants africains en Tanzanie et nous avons adopté un message conjoint à l’intention du sommet du G-20 de Londres. Dans quelques jours, j’aurai de nouveau le privilège de fouler le sol africain en me rendant en République démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire. Je souhaiterais aujourd’hui évoquer les redoutables défis économiques que doit relever le continent et l’aide que nous lui apportons.

Je ne vous apprendrai rien en disant que nous vivons un effondrement économique sans précédent. L’économie mondiale vit la pire des récessions des soixante dernières années, ce que j’appelle la «Grande Récession». D’après nos projections, l’économie mondiale devrait connaître en 2009 une contraction de 1,3 %. La singularité de cette récession ne tient pas simplement à son intensité, mais aussi à son ampleur. La crise est partie d’un secteur du marché immobilier aux États-Unis pour se propager ensuite comme un feu de poudre à l’ensemble de la planète, touchant d’abord les pays avancés, puis les pays émergents et, enfin et sans doute de la façon la plus dure, les pays à faible revenu, y compris en Afrique.

À maints égards, l’Afrique est une victime innocente du tsunami financier qui ravage la planète. Elle n’avait pas commis les erreurs des pays avancés responsables de cette crise. Loin s’en faut, la région avait en grande partie fait ce qu’il fallait, en adoptant des politiques macroéconomiques prudentes et en accumulant des réserves. La conjoncture était en outre favorable — les cours des matières premières étaient élevés et le commerce florissant, et la communauté internationale attachait une grande priorité à l’aide et à l’allégement de la dette.

Tout cela s’est traduit par une période de stabilité macroéconomique et de croissance forte et soutenue. En Afrique subsaharienne, la croissance a été en moyenne de 6 % à partir de 2000 et le taux d’inflation a été ramené à un seul chiffre — une prouesse remarquable, souvent passée inaperçue aux yeux de la communauté internationale.

Cependant, ces dernières années, la mauvaise fortune s’est acharnée sur l’Afrique. D’abord frappée par la crise alimentaire et énergétique, qui a mis son économie à rude épreuve, elle voit désormais s’abattre sur elle la crise financière mondiale. Certes, celle-ci a été lente à se manifester dans toute son ampleur, mais elle montre son visage et le coup sera dur. D’après nos prévisions, la croissance de la région devrait se limiter à 1½ % en 2009. L’inflation, quant à elle, ne se modère que lentement, vu la persistance des effets du renchérissement des produits alimentaires et énergétiques de l’an dernier.

Pourquoi l’Afrique est-elle frappée de plein fouet? Après tout, les politiques mises en œuvre dans les différents pays n’y sont pratiquement pour rien et les liens financiers avec le reste du monde sont modestes. La réponse tient en fait à l’intensité et à l’ampleur de la crise. L’activité étant en berne partout ailleurs, et vu l’effondrement sans précédent du commerce mondial, les débouchés des exportations africaines rétrécissent comme peau de chagrin. Par ailleurs, les cours des matières premières sont en net repli et les envois de fonds marquent le pas. Au plan financier, quand bien même les banques africaines ont évité les actifs toxiques, les flux de capitaux privés diminuent, qu’il s’agisse d’investissements de portefeuille ou d’investissements directs étrangers. Heureusement, certains pays – notamment les producteurs de pétrole – ont accumulé suffisamment de réserves de change pour amortir le choc.

Les enjeux — ne le perdons pas de vue — sont plus importants que dans les autres régions du monde, compte tenu de la vulnérabilité de la population africaine. Selon la Banque mondiale, cette année, près de 50 millions de personnes pourraient grossir les rangs des pauvres — ceux qui gagnent moins de 2 dollars par jour — si les besoins de financement ne sont pas satisfaits. Trois millions d’enfants de plus pourraient mourir d’ici 2015 si la crise persiste. Nous devons à tout prix éviter cela.

Comment réagir? D’abord quelques mots sur la riposte qui devrait être celle des pays, puis je parlerai de l’aide que peut apporter la communauté internationale et, en particulier, le FMI.

• D’abord, la politique budgétaire. Quitte à simplifier à outrance, la politique budgétaire doit enrayer la crise et non l’aggraver. Comme vous le savez, le FMI n’a cessé de préconiser une relance mondiale là où la marge de manœuvre budgétaire le permet. Grâce à une discipline budgétaire récemment acquise et à l’allégement de leur dette, de nombreux pays africains disposent d’une certaine latitude en la matière. Dans la mesure du possible, nous recommandons de laisser jouer les stabilisateurs automatiques, ce qui en substance revient à prendre en charge l’augmentation des déficits à mesure que ralentit la croissance. Il est cependant des pays où les contraintes de financement et de viabilité de la dette limitent la marge de manœuvre. D’ailleurs, dans certains cas, l’ajustement budgétaire risque d’être inévitable. En tout état de cause, tous les pays devront impérativement renforcer et cibler leurs dispositifs de protection sociale, ou pour le moins faire en sorte de ne pas couper les crédits — cela est vital pour éviter que les populations les plus vulnérables ne soient emportées par le raz-de-marée de la crise.

• Les pays africains peuvent également recourir au levier de la politique monétaire et de la politique de change pour amortir l’impact des turbulences. Un taux de change souple peut faciliter l’ajustement à un repli des cours des matières premières et au tarissement des flux de capitaux. La baisse des prix des produits de base a par ailleurs pour effet de dissiper les tensions inflationnistes dans la plupart des pays et, partant, de dégager une certaine marge de manœuvre sur le front monétaire.

• Enfin, dans le secteur financier, les gouvernements doivent être attentifs à la santé du système bancaire à mesure que la croissance s’essouffle, et être prêts à agir avec détermination.

Je voudrais maintenant évoquer le rôle d’accompagnement de la communauté internationale pour aider les pays à surmonter cette crise. L’Afrique a tout d’abord besoin de plus de financements, surtout à des conditions concessionnelles. Le moment serait particulièrement inopportun pour revenir sur l’engagement pris par les partenaires au développement à Gleneagles, lorsqu’ils décidèrent d’accroître l’aide en faveur de l’Afrique. Il est tout aussi vital de combattre les tendances protectionnistes et de faire en sorte que les marchés s’ouvrent davantage aux produits africains.

Le FMI a lui-même un rôle primordial à jouer et nous sommes déterminés à répondre aux besoins de la région. Je suis heureux de signaler que les dirigeants de la planète se sont engagés à doubler notre capacité d’accorder des prêts concessionnels aux pays à faible revenu, et nous envisageons d’ajouter 6 milliards de dollars de ressources concessionnelles durant les 2-3 années à venir.

Pour essentielle qu’elle soit, la mobilisation des ressources n’est pas suffisante. Les financements du FMI doivent également devenir plus modulables. Nous devons mieux adapter nos programmes de prêt aux besoins des pays membres. Nous avons déjà doublé les limites d’accès sur tous nos concours financiers, y compris pour les pays à faible revenu, pour faire comprendre aux pays que nous pouvons répondre à leurs besoins. La facilité de protection contre les chocs exogènes a été réaménagée de manière à nous donner les moyens de réagir vite, en effectuant des décaissements élevés et immédiats lorsque les circonstances l’exigent. Nous avons par ailleurs entrepris de modifier nos dispositifs de prêts concessionnels pour les rendre plus souples et plus utiles.

Nous travaillons également à l’allégement de la conditionnalité. Les conditions dont sont assorties les programmes récents ont été plus clairement alignées sur les grands objectifs de réforme et sur les particularités locales. C’est cette même souplesse qui permet d’accorder aux pays une plus grande marge de manœuvre dans les efforts qu’ils déploient pour s’adapter à la crise. Je tiens à souligner que les objectifs budgétaires ont été relâchés dans près de 80 % des programmes mis en œuvre par les pays africains avec l’appui financier du FMI. Dans le même ordre d’idées, nous avons entrepris de revoir nos politiques en matière de limites d’endettement, afin de les rendre plus flexibles.

Dans tous nos programmes de prêt, nous restons déterminés à protéger les populations les plus pauvres et les plus vulnérables. Nous ne recommandons jamais de couper les dépenses de santé ou d’éducation, et près du tiers de nos programmes dans les pays à faible revenu sont dotés d’objectifs explicites de maintien, voire d’augmentation, des dépenses sociales. C’est là une responsabilité que nous assumons pleinement.

Notre présence en Afrique prend, dans une grande mesure, la forme de l’assistance technique. Le continent reçoit en effet un tiers de notre assistance technique et nos centres régionaux en Tanzanie, au Mali et au Gabon jouent un rôle déterminant. J’ai le plaisir de signaler que nous ouvrirons deux nouveaux centres régionaux d’assistance technique en Afrique, et j’espère que cela se fera cette année.

Pour conclure brièvement, le FMI n’est pas seul à venir en aide à l’Afrique; il ne saurait l’être. Pour aider l’Afrique à surmonter la crise, tous les partenaires au développement doivent donner suite à leurs engagements. Il va de soi que nous avons chacun notre rôle et, autant que faire se peut, nous devons éviter que nos activités se chevauchent. Cela ne doit cependant pas nous empêcher d’œuvrer de manière concertée. Merci de votre attention.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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