Comment pérenniser la dynamique de croissance en Afrique

le 13 mai 2016

Allocution de David Lipton
Premier Directeur général adjoint, FMI
Université de Strathmore, Nairobi, Kenya, 9 mai 2016

Texte préparé pour l’intervention

Je tiens à remercier l’université de Strathmore de me permettre de prononcer cette allocution sur les perspectives économiques régionales de l’Afrique subsaharienne. Je tiens aussi à remercier George Njenga, Doyen de l’École de commerce de Strathmore, d’avoir organisé cet événement. J’apprécie grandement d’avoir ainsi l’occasion de partager mes vues et mon analyse des perspectives de la région avec des étudiants, des professeurs et des économistes.

L’Afrique vient de connaître quinze années de croissance et de développement remarquables. Ces progrès économiques considérables ont contribué à transformer l’idée que se fait le monde de cette région, et ont engendré de nouveaux espoirs pour l’avenir. Cependant, au cours de l’année écoulée, les perspectives se sont assombries pour certains pays, car des développements extérieurs influent sur bon nombre des facteurs qui expliquent la réussite économique qu’a connue l’Afrique récemment.

Aujourd’hui, ce sont ces développements récents que je souhaiterais évoquer avec vous : je commencerai par les progrès considérables qui ont été accomplis depuis le milieu des années 90, puis je me pencherai sur les raisons du ralentissement récent. Enfin, je soulignerai comment l’Afrique peut maintenir sa croissance en appliquant des politiques économiques de qualité qui peuvent garantir des perspectives favorables à moyen terme.

Mon message est simple : l’Afrique subsaharienne a parcouru beaucoup de terrain en peu de temps, et il y a tout lieu de penser qu’elle peut continuer de se développer en réagissant comme il se doit.

La résurgence de l’Afrique

Commençons par ce qu’on a appelé « l’essor de l’Afrique ». Après 1995, le continent africain a enregistré une croissance vigoureuse, et ses indicateurs de développement social et humain se sont améliorés de manière impressionnante. Plus de deux tiers des 45 pays de la région ont connu une croissance ininterrompue pendant dix ans ou plus. Des millions d’Africains en ont profité. En particulier, le niveau d’instruction a progressé et la mortalité infantile a diminué vivement. Au Kenya, par exemple, la scolarisation primaire a progressé de 25 points et la mortalité des enfants de moins de cinq ans a diminué de 6½ points.

Les échanges commerciaux de l’Afrique ont augmenté rapidement aussi, principalement en réaction à la demande des pays émergents, en particulier la Chine, qui ont surpassé les pays avancés en tant que principaux partenaires commerciaux du continent.

L’Afrique est devenue une destination importante des flux de capitaux en provenance tant des pays avancés que des pays émergents. Les pays pré-émergents, tels que le Kenya, le Sénégal et la Zambie, ont émis des euro-obligations et se sont intégrés davantage aux marchés financiers mondiaux.

Ces progrès remarquables sur le plan des indicateurs économiques et sociaux ont été accomplis grâce à trois facteurs :

(i) des améliorations de la gouvernance qui ont permis de mettre en place un climat des affaires et un environnement macroéconomique qui sont davantage propices à l’investissement,
(ii) une hausse des cours des produits de base qui a profité aux pays exportateurs de ressources naturelles, en particulier aux huit pays de la région qui exportent du pétrole,
(iii) des conditions financières mondiales accommodantes, qui ont stimulé les flux de capitaux et qui ont permis à des pays tels que ceux que je viens de mentionner de faire appel aux marchés internationaux à des conditions abordables.

Un moment difficile

Vous étudiez le commerce et l’économie : je suis donc sûr que vous savez très bien que l’environnement extérieur est devenu bien moins favorable au cours de l’année écoulée. Au niveau mondial, l’année 2016 va être marquée de nouveau par une croissance modérée, qui devrait atteindre 3,2 %, à peine au-dessus des 3,1 % de l’an dernier. Cette prévision s’explique par des réalignements macroéconomiques importants : i) le ralentissement et le rééquilibrage de l’économie chinoise ; ii) une nouvelle baisse des cours des produits de base, en particulier du pétrole; iii) un ralentissement de l’investissement et du commerce, corollaire du point précédent, et iv) un repli des flux de capitaux à destination des pays émergents et des pays en développement.

L’Afrique subsaharienne ressent particulièrement les effets de la baisse des cours des produits de base et du durcissement des conditions de financement. En conséquence, la croissance vigoureuse des dernières années a fléchi rapidement.
La croissance s’est affaiblie sensiblement en Afrique saharienne en 2015, pour atteindre 3½ %, soit le taux le plus faible depuis 15 ans. Ce ralentissement devrait persister en 2016 : une croissance de 3 % est prévue, soit environ la moitié du taux auquel l’Afrique s’était habituée.

Le ralentissement actuel est particulièrement prononcé dans certains des plus grands pays qui sont aussi des pays exportateurs de produits de base (par exemple, Angola, Nigéria et Afrique du Sud) et, plus récemment, dans les pays touchés par la sécheresse en Afrique orientale et australe (par exemple, Éthiopie et Zambie). Il est à noter que si nous excluons le Nigéria et l’Afrique du Sud des prévisions, la croissance régionale est plus élevée de 1 point.

Jusqu’à présent, le tableau que je vous peins est assez négatif. Mais il ne dit pas tout. En fait, beaucoup de pays africains continuent d’enregistrer une croissance vigoureuse : un tiers des pays de la région connaissent une croissance supérieure à 5 % cette année. Cela correspond à la tendance récente, comme on peut le voir ici sur cette diapositive concernant les pays importateurs de pétrole.

C’est particulièrement le cas ici au Kenya et de manière plus générale dans la Communauté de l’Afrique de l’Est. Les pays qui composent cette communauté devraient enregistrer une croissance de 6 % cette année. De la même manière, la croissance restera rapide en Côte d’Ivoire (8 ½ %), au Sénégal (6 ½ %) et dans beaucoup de pays à faible revenu de la région, qui continueront de bénéficier de la baisse des prix du pétrole.

Facteurs et risques externes

Permettez-moi d’en dire un peu plus sur quelques-uns des facteurs externes qui ont une influence sur les perspectives. Le choc sur les cours des produits de base est évidemment de grande envergure. Pendant la période de 18 mois qui s’est terminée fin 2015, les cours du pétrole brut ont diminué davantage que lors de toute période similaire depuis 1970. Il en va de même pour d’autres produits de base, en particulier le minerai de fer, dont le cours a diminué encore plus que celui du pétrole. Nous ne prévoyons pas que ce choc prendra fin d’ici la fin de la décennie. Bien qu’à l’heure actuelle les cours des produits de base se redressent après avoir été au plus bas pendant des années, il subsiste un risque non négligeable qu’ils baissent de nouveau, pour peser davantage sur les perspectives de croissance des pays producteurs.

Tout cela est étroitement lié à l’évolution de l’économie chinoise. Si l’on exclut les produits de base, cette région a toujours dégagé un déficit commercial avec la Chine. Mais pendant l’essor des cours des produits de base, l’Afrique subsaharienne a dégagé un excédent commercial avec la Chine. Cet excédent considérable s’est transformé en un déficit en moins d’un an. Il n’y a aucune raison de penser que la Chine va retrouver la croissance vigoureuse qui a tiré la croissance mondiale après la crise financière de 2008. On n’en est plus là. Mais la Chine restera une force dans l’économie mondiale. Le rééquilibrage de l’économie chinoise risque de s’effectuer plus rapidement que prévu dans l’édition d’avril 2016 du rapport du FMI sur les Perspectives de l’économie mondiale. Si c’est le cas, la croissance en Afrique subsaharienne pourrait être encore plus faible.

En outre, les conditions financières plus dures vont persister aussi. L’incertitude qui entoure l’évolution des marchés financiers devrait accroître le coût de l’argent pour les emprunteurs africains.

Le ralentissement de la croissance économique mondiale a entraîné un durcissement considérable des conditions de financement. L’aversion pour le risque a manifestement augmenté, ce qui conduit à un recul brutal des flux de capitaux à l’échelle mondiale. L’an dernier, par exemple, les pays émergents ont enregistré des sorties nettes de capitaux d’environ 200 milliards de dollars, contre des entrées nettes de 125 milliards de dollars en 2014. Cet argent va dans des endroits sûrs. Si les flux de capitaux à destination de l’Afrique subsaharienne étaient plus faibles que prévu en raison de l’évolution défavorable des marchés mondiaux, les possibilités de financement extérieur des pays pré-émergents de la région pourraient être plus limitées. Cela aussi aura des conséquences négatives sur la croissance

Facteurs et risques internes

Quels sont les facteurs internes et régionaux ? À notre avis, il s’agit principalement de mettre en œuvre en temps opportun les ajustements qui sont rendus nécessaires par le ralentissement économique. Sans ces ajustements, certains pays risquent de rencontrer des problèmes de financement et de devoir opérer un ajustement encore plus abrupt par la suite.

La sécheresse actuelle en Afrique orientale et australe constitue un autre risque aussi. Elle pourrait se prolonger ou faire sentir ses effets à plus grande échelle. Heureusement, le Kenya n’est pas touché. De la même manière, une intensification des problèmes de sécurité dans la région aurait un impact macroéconomique généralisé sur le commerce, l’investissement, le tourisme et la mobilisation des recettes. Je sais que vous êtes bien conscient de ce problème, et je tiens à affirmer sans équivoque que le FMI sera à vos côtés pour l’affronter.

Il est peut-être facile de regarder ce qui se passe aujourd’hui et de tirer hâtivement des conclusions peu encourageantes quant aux perspectives de l’Afrique subsaharienne. Mais je pense que cela est bien trop pessimiste.

Nous restons optimistes en ce qui concerne les perspectives de croissance à moyen terme de la région. En particulier, les principaux moteurs de la croissance, y compris un meilleur climat des affaires et une évolution démographique favorable, restent en place.

Il faut agir

Mais pour réaliser le potentiel de la région, les dirigeants africains doivent agir maintenant. C’était le message de notre dernier rapport sur les Perspectives économiques régionales de l’Afrique subsaharienne, publié la semaine dernière et disponible sur le site Web du FMI.

Il est urgent d’agir surtout dans les pays exportateurs de ressources naturelles, dont la riposte jusqu’à présent a généralement été insuffisante. Étant donné l’augmentation des déficits budgétaires, la baisse des réserves de change et les sérieuses contraintes de financement, l’ajustement est aujourd’hui inévitable. Il s’agit notamment de réduire les déficits budgétaires et, pour les pays qui ne font pas partie d’une union monétaire, d’assouplir le taux de change.

Les pays qui n’exportent pas de produits de base, parmi lesquels le Kenya, sont mieux placés pour faire face au ralentissement économique. Beaucoup de ces pays enregistrent des déficits budgétaires et courants élevés depuis quelques années, car ils ont tiré parti des conditions de financement favorables pour s’attaquer au déficit considérable de leurs infrastructures. Maintenant, ces pays doivent recalibrer leur politique économique en fonction de leurs possibilités limitées de financement intérieur et extérieur. Ils doivent s’appuyer sur leur solidité actuelle pour limiter l’augmentation de la dette publique, poursuivre une politique monétaire prudente qui a pour objectif une inflation basse et accumuler des réserves de change. Ils réduiront ainsi leur vulnérabilité à une détérioration plus grave du climat économique.

La situation actuelle rappelle aussi qu’il reste à achever un programme de réformes encore considérable. Il est temps de faire avancer ce programme. Les pays doivent trouver les moyens de mobiliser davantage de recettes intérieures et de créer une assiette fiscale durable en dehors du secteur des produits de base. C’est le moyen le plus durable de financer le développement social et le développement des infrastructures, deux domaines importants. Par ailleurs, les pays doivent maintenir l’élan qui les mènera à leurs objectifs de développement à plus long terme en établissant un meilleur ordre de priorité parmi leurs dépenses de développement. La liste des réformes est longue : diversification de l’économie, transformation structurelle, développement du secteur financier et bonne gouvernance. Toutes ces réformes sont plus indispensables que jamais si l’Afrique souhaite créer de nouvelles sources de croissance et veiller à ce que le niveau de vie de sa population continue de s’améliorer.

Le FMI est un partenaire proche de l’Afrique, et nous lui apportons notre aide en ce moment difficile. Le FMI adapte ses conseils de politique économique aux problèmes particuliers que les pays d’Afrique subsaharienne rencontrent. Nous complétons ces conseils par de l’assistance technique et de la formation en abondance, notamment grâce à nos cinq centres d’assistance technique dans la région et à l’Institut de formation pour l’Afrique qui se trouve à Maurice.

Le FMI fournit aussi une aide financière considérable, notamment en accordant des prêts à taux d’intérêt nul aux pays membres les plus pauvres. Et nous innovons. Par exemple, le Kenya est le premier pays d’Afrique subsaharienne à tirer parti des accords de précaution prévus par le FMI. Cela signifie que le pays a accès à 1,5 milliard de dollars et peut utiliser ces ressources si des événements externes défavorables créent un besoin de devises supplémentaires.

Conclusion

En conclusion, il va de soi que l’Afrique est confrontée à une nouvelle réalité difficile. L’environnement extérieur n’est pas aussi favorable qu’il ne l’était jusqu’en 2014, mais il subsiste beaucoup de raisons d’être optimiste. L’Afrique, et le Kenya, a toutes les raisons d’envisager l’avenir de manière positive. Nombreuses sont les mesures qui doivent être prises sur le front des réformes pour faire face à ce nouveau contexte, mais les succès du passé montrent que la région peut relever ce défi.

Ce sont les étudiants présents ici aujourd’hui qui devront le relever dans les années à venir. Je suis convaincu que vous apporterez des contributions importantes à une région qui peut poursuivre sa trajectoire ascendante tout au long du XXIe siècle.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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