L'adieu à l'Afrique Allocution prononcée par Michel Camdessus, Directeur général du Fonds monétaire international

le 19 janvier 2000

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Allocution prononcée par Michel Camdessus,
Directeur général du Fonds monétaire international
à la clôture de la Conférence au sommet des Chefs d'État africains
à Libreville, le 19 janvier 2000

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Monsieur le Président,
Messieurs les chefs d'État et de gouvernement,
Excellences, Mesdames, Messieurs,

Vos compliments immérités, ce qui m'a été dit au cours des séances à huis clos, ce que j'ai entendu dans la déclaration de Libreville, les marques si chaleureuses de votre amitié et de votre affection, m'obligent à faire quelque chose qui est peut-être dangereux et, en tous cas, inhabituel pour un directeur général du FMI : laisser un instant parler son cœur.

Messieurs les Présidents : merci, du fond du cœur, pour treize ans de confiance et de soutien inébranlable. Au cours de ces treize ans jamais, jamais—et avec quelle fierté je le dis—jamais, un seul de vos votes ne m'a manqué. Il m'est arrivé d'être mis en minorité, je l'étais avec vous; de gagner : nous gagnions ensemble; et votre soutien unanime aujourd'hui pour ces nouveaux instruments du FMI destinés à aider les pays pauvres est ma plus belle récompense.

Monsieur le Président, Messieurs les chefs d'État et de gouvernement, merci aussi pour vos paroles si généreuses de remerciement pour mes efforts. Elles sont trop généreuses en ce qui me concerne. Après tout, il est vrai, comme vous le dites, que je n'ai jamais contracté le virus de l'afro-pessimisme. Je ne suis qu'un homme qui a l'Afrique au cœur. Non pas une Afrique théorique, mais l'Afrique de ses hommes et femmes, du sourire de ses enfants, des marchés que j'ai arpentés, de ses villages, de ses chants, de ses danses, de ses éclats de rire : ce rire dont le monde des riches a perdu le secret. Mais vos paroles sont justifiées pour ce qui est du travail de tous ceux qui m'ont si généreusement fourni leur inspiration et leur soutien au FMI au cours de ces treize ans. Je dois citer beaucoup de monde :

  • vous tous, ici et, parmi vous, tous ces grands leaders de l'Afrique dont je suis si fier d'être devenu l'ami, à commencer par vous, Monsieur le Président;

  • vous tous, Messieurs les Présidents, mais permettez-moi aussi de le dire : ces grands Africains qui ont représenté l'Afrique au FMI : les administrateurs et comment ne pas saluer d'abord le plus éminent d'entre eux, le Président Festus Mogwe, mes amis Barnabas Dlamini et Omar Kabbaj, et ceux qui vous représentent en ce moment, M. Morais, et l'architecte numéro 1 de cette conférence de Libreville, M. Barro Chambrier, un homme dont votre pays peut être légitimement fier de le compter parmi ses enfants;

  • et aussi ces grands Africains, ces hommes d'immense stature, qui ont dirigé le Département Afrique au cours de ces treize ans : Alassane Ouattara, Mamoudou Touré, Goodall Gondwe; et nul ne s'étonnera que je cite, avec eux, Akis Calamitsis et mon ami Stanley Fischer, dont chacun connaît la fibre africaine. C'est très simple, Monsieur le Président, je dois tout à leur sagesse, à leur vision, à leur courage.

Monsieur le Président, merci aussi pour ce qui restera dans notre histoire la déclaration de Libreville. Elle sera, croyez-moi, la Bible de notre action au cours des années qui viennent: il y a là l'essentiel des consignes que je passerai, dans quelques semaines, à mon successeur. Il ne s'agit nullement d'un communiqué de plus, plus ou moins incantatoire, mais de la déclaration de chefs d'État qui savent comme l'a si bien dit Monsieur le Vice-Président du Ghana que «la solution est entre leurs mains». C'est votre déclaration. Nous vous la devons, nous l'honorerons.

Messieurs les Présidents, une fois de plus vous avez montré le chemin et ouvert des voies nouvelles. Beaucoup ont souligné le caractère historique de ce sommet. J'hésite toujours à employer ce mot; mais disons, en tout cas, que l'on s'en souviendra longtemps. Oui, car l'histoire du monde est en suspens. La mondialisation est la chance et le défi de ce siècle. L'histoire hésite entre ses risques et ses chances. Beaucoup y voient surtout une menace. Ils ont tort, car, bien gérée, gérée ensemble par tous les pays, elle est d'abord une extraordinaire chance pour l'unité fraternelle du monde, une extraordinaire chance pour les pauvres du monde.

Mais c'est aussi un combat, et c'est en Afrique que ce combat se déroule. C'est en Afrique que l'avenir du monde se joue, parce que c'est là surtout que sont les plus pauvres du monde. C'est là surtout—comme aurait dit le Général de Gaulle—que se trouvent les forces qui n'ont pas encore donné: les richesses économiques, les richesses humaines, et je pense d'abord à toute la contribution que peuvent et doivent apporter les femmes d'Afrique pourvu qu'on leur donne leurs chances. De toutes façons, elles les prendront.

Oui, Messieurs les Présidents, l'économie mondiale doit s'intégrer à l'Afrique et l'Afrique s'intégrer à l'économie mondiale, dans un partenariat qui peut changer et humaniser la mondialisation. Je le dis, du fond de ma conviction, l'Afrique humanisera la mondialisation. Elle l'humanisera parce qu'elle est le berceau de l'espèce humaine, elle l'humanisera parce qu'elle est maîtresse d'humanité et la terre du plus riche des humanismes, celui de la diversité, de la créativité des expressions artistiques et des valeurs de solidarité—solidarité des générations et solidarité communautaire de vos villes et villages.

Messieurs les Présidents, chacun des derniers siècles a voulu illustrer une grande valeur universelle : le XIXe, la liberté, le XXe—sans grand succès—l'égalité. Pour un monde qui s'unifie, le XXIe doit être celui de la fraternité. Et ceci fera de l'Afrique le continent du XXIe siècle, car, malgré tous les conflits qui la déchirent encore, l'Afrique veut et doit rester le continent de la fraternité.

* * * * *

Messieurs les Présidents, chers amis, de tout cœur, à vous tous, au nom de mon épouse Brigitte que vous avez si justement mentionnée dans vos hommages, et en mon nom personnel, à tous, merci.





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