Déclaration Liminaire - Allocution de M. Alassane D. Ouattara, Directeur général adjoint du Fonds monétaire international

le 4 mars 1999

Allocution de M. Alassane D. Ouattara,
Directeur général adjoint du Fonds monétaire international
à la Conférence sur les crises et la sécurité internationale
de l'Académie de la paix et de la Sécurité Internationale
Monaco, le 4 mars 1999

Monsieur le Secrétaire Général, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c'est un grand plaisir pour moi de participer à nouveau à vos travaux sur les crises et la sécurité internationale. Il ne faut pas remonter bien loin dans le temps pour trouver matière à réflexion sur ce thème. L'année écoulée a été marquée par une succession de crises, et le mot contagion a peut-être été le plus utilisé, dépassant par là les frontières de son domaine de prédilection "la virologie". Certaines de ces crises étaient de nature seulement politique, tandis que d'autres plutôt d'ordre économique. Mais cette distinction est-elle réellement utile et n'y a-t-il pas lieu de rappeler à quel point le politique et l'économique sont étroitement liés?

Nous avions espéré voir ce siècle s'achever sur une note plus encourageante, donnant ainsi le ton du prochain millénaire. Mais il nefaut pas désespérer. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis la grande dépression des années 30 et les deux guerres mondiales qui ont marqué la première moitié de ce siècle. Faut-il rappeler que pour les pays qui ont adopté des politiques vertueuses et favorables à la croissance économique et à la stabilité financière, qui ont ouvert leurs frontières au commerce extérieur et se sont mutuellement soutenus lorsque des ajustements étaient nécessaires, les cinquante dernières années ont constitué une période de prospérité sans précédent. Les récents événements, bien qu'ils constituent un revers — et aient causé des coûts sociaux très graves — ne démentent en rien cette réussite.

Pour situer le décor de nos discussions, j'aimerais, si vous me le permettez, analyser brièvement les perspectives de l'économie mondiale telles que les voit le Fonds monétaire international. Il semble que les crises financières des économies de marchés émergents qui ont débuté en Asie à la mi-1997 ont été contenues — encore que, à l'évidence, nous ne sommes pas totalement sortis d'affaire, comme le prouvent les récents événements du Brésil. Le FMI s'attend à une croissance mondiale de 2 ¼  % cette année, quasiment inchangée par rapport à 1998. Certes, c'est là un résultat plus faible que la forte croissance mondiale enregistrée au milieu de la décennie. Mais avec des politiques saines, et un peu de chance, la croissance pourrait dépasser 3 % l'an prochain et s'approcher de son potentiel, entre 4 et 4 ¼ %, au début du prochain millénaire.

Quelles sont les raisons d'espérer? D'abord, la plupart des économies industrialisées se portent raisonnablement bien, en particulier les États-Unis — dont la santé est en fait remarquable. Les banques centrales de la plupart des pays industrialisés ont baissé leurs taux d'intérêt ces derniers mois, reconnaissant qu'à l'échelle mondiale il a moins lieu de s'inquiéter de l'inflation, actuellement maîtrisée, que de la croissance, qui a besoin d'être soutenue. En Europe, où le lancement de l'Euro a été une réussite, les taux d'intérêt ont convergé vers les niveaux plus réduits en vigueur dans les principaux pays de la zone. Mais si le récent ralentissement de la croissance persiste, de nouvelles baisses des taux restent possibles dans la période à venir.

Deuxièmement, les pays d'Asie touchés par la crise ont mis en place avec détermination les programmes de stabilisation et de réforme élaborés en accord avec le FMI, créant ainsi la reprise de la croissance. C'est particulièrement le cas pour la Thaïlande et encore plus pour la Corée où la croissance est répartie à un rythme plus élevé que prévu. L'économie indonésienne, devrait, quant à elle, enrayer son déclin, à tout le moins, voire même rebondir dans la seconde partie de cette année.

Troisièmement, les pays ont résisté, dans leur majorité, à la tentation de prendre des mesures protectionnistes ou isolationnistes, y compris lorsqu'ils étaient en butte à une forte concurrence et à des difficultés financières.

Quatrièmement, divers dispositifs ont été mis en place à l'échelle internationale afin de mobiliser assez de ressources pour porter assistance aux pays en crise. L'augmentation des quotes-parts du FMI est en place, et les Nouveaux accords d'emprunt peuvent être activés à tout moment. Le Japon s'est engagé, avec "l'initiative Miyazawa", à fournir un appui financier aux pays d'Asie touchés par la crise. Et le Groupe des Sept a proposé, pour sa part, de renforcer les mécanismes financiers du FMI et de la Banque mondiale afin d'endiguer les effets de la contagion sur les marchés financiers.

J'ai dit, avec un peu de chance, parce qu'il va de soit qu'il subsiste des incertitudes et des risques non négligeables, loin s'en faut:

  • forte incertitude quant aux perspectives de reprise au Japon, le pays industrialisé le plus en difficulté. L'économie demeure déprimée, quoique l'activité semble s'être stabilisée dernièrement, après dix-huit mois de déclin.

  • forte incertitude au sujet de la reprise des flux de capitaux privés vers les marchés émergents, lesquels demeurent à des niveaux très faibles depuis la crise russe en août dernier.

  • incertitude sur l'ampleur de la récession qu'entraîneront au Brésil les mesures prises pour stabiliser le cours du réal, mis en flottement, et éviter une résurgence de l'inflation. La contagion de la crise brésilienne est restée limitée, mais il est peu probable que l'Amérique latine dans son ensemble affiche une croissance en 1999.

  • préoccupation concernant l'ajustement par le reste du monde à la répartition très inégale des ajustements qui se sont produits dans les courants d'échanges mondiaux, du fait des excédents considérables enregistrés par les pays asiatiques touchés par la crise. L'essentiel de cet ajustement a été absorbé par les États-Unis, qui ont ainsi opportunément contribué à détendre les tensions sur d'autres marchés. Mais si l'énorme déficit des transactions extérieures courantes des Etats-Unis perdurait, il pourrait avoir un effet déstabilisateur sur les parités entre le dollar, l'euro et le yen.

  • le risque existe que les ajustements considérables et inévitables des échanges déclenchent une résurgence des pressions protectionnistes.

  • et, enfin, la frénésie qui s'est emparée des marchés boursiers suscite une inquiétude considérable, en particulier aux États-Unis, où les gains de patrimoine, liés à la hausse des prix des actifs, ont soutenula croissance de la demande intérieure et suscité une forte baisse du taux de l'épargne privée.
  • En définitive, si ces risques venaient à se concrétiser, même de manière relativement modérée, la croissance mondiale pourrait être inférieure aux 2 ¼ % projetés pour cette année. L'issue dépendra, comme toujours, des politiques mises en oeuvre.

    Sur ce point il n'existe pas de recette universelle. La politique à mener variera d'un pays à l'autre, en fonction des impératifs et de la situation économique de chacun. Cela étant, on peut énoncer quelques principes généraux. Depuis quelques mois, on assiste à une détente généralisée des politiques monétaires, détente justifiée étant donné l'absence de pressions inflationnistes. Il s'ensuit que dans une grande partie du monde, les politiques macroéconomiques, notamment la politique monétaire, ont contribué à stimuler l'activité économique.

    Mais la possibilité de mener des politiques expansionnistes se heurte à deux obstacles importants. Le premier est que certaines économies de marchés émergents doivent continuer d'appliquer des politiques macroéconomiques relativement restrictives pour corriger les déséquilibres budgétaires ou extérieurs insoutenables, si elles désirent retrouver la confiance des investisseurs et être en mesure de faire face aux évolutions défavorables des marchés financiers comme des marchés de produits de base. Le second est que la plupart des pays d'Amérique du Nord et d'Europe occidentale demeurent confrontés à des problèmes budgétaires non négligeables à moyen terme, dus en partie au vieillissement de leurs populations. Il n'est donc pas souhaitable, dans ces conditions, d'envisager un relâchement de leurs politiques budgétaires au-delà de ce qui découle, de manière quasi automatique, du ralentissement de la croissance qui entraîne la diminution des recettes fiscales et l'augmentation des dépenses sociales.

    La zone Euro peut néanmoins contribuer à la reprise. J'ai déjà mentionné les possibilités d'un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire en cas de faiblesse persistante de la croissance. En outre, la réussite de l'Union économique et monétaire (UEM) créera un marché des capitaux européen plus vaste et plus dynamique, qui offrira de nouvelles possibilités aux épargnants comme aux emprunteurs du monde entier. Cela devrait favoriser la croissance européenne à moyen terme, avec tout ce que cela implique pour l'économie mondiale. Cela ouvre également des perspectives nouvelles pour la coopération internationale — domaine où le FMI se réjouit de jouer un rôle de premier plan.

    Mais les enjeux demeurent de taille pour que l'UEM réalise tout son potentiel. Dans le domaine budgétaire, la tâche de ramener les budgets vers l'équilibre ou un léger excédent n'est pas encore achevée. Mais c'est dans l'amélioration du fonctionnement des marchés du travail et des produits, la réforme des programmes de dépenses publiques et l'allégement de la pression fiscale qu'il s'agit à présent de progresser. Ces progrès sont indispensables si l'Europe veut réaliser pleinement tout son potentiel de création d'emplois et de croissance durable.

    En résumé, nous vivons des temps de pleine mutation de l'économie mondiale. Il nous faut tirer toutes les leçons des dernières crises financières d'Asie, du Brésil et de Russie, adapter à la fois le système monétaire et financier international et les institutions internationales au nouvelles réalités, si nous voulons établir ensemble les fondations d'un millénaire de paix et de prospérité, un sujet que je me propose d'aborder plus longuement samedi matin.

    Je vous remercie.



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