Accompagner la reprise européenne dans un monde en rapide mutation, Christine Lagarde, Directrice générale du Fonds monétaire international

le 18 juillet 2014

Christine Lagarde
Directrice générale du Fonds monétaire international
La Fondation Robert Schuman
Paris, 18 juillet, 2014

Texte préparé pour l’intervention

Introduction

Bonjour. Je suis heureuse d’avoir aujourd’hui l’occasion de prendre part à ce débat important et opportun sur l’avenir de la zone euro. Je suis reconnaissante à M. Giuliani de m’y avoir conviée et le remercie de ses aimables propos d’introduction.

J’ai grand plaisir à me retrouver aux côtés de mon collègue et ami, Wolfgang Schäuble—et à reconnaître dans l'assistance nombre de visages familiers.

Notre dialogue d’aujourd’hui est inextricablement lié à la pensée de Robert Schuman et nous ne pouvons que nous en féliciter. Le « Père de l’Europe » a voulu garantir à ce continent un avenir de stabilité et de paix.

Dans sa célèbre Déclaration de 1950, il envisageait la Communauté européenne du charbon et de l’acier comme « le ferment d'une communauté plus large et plus profonde entre les pays. »

L’histoire lui a pour une large part donné raison, mais, comme en 1950, l’Europe reste confrontée à des enjeux importants qui pèsent sur son avenir.

Dans le cadre de notre dialogue, j’aimerais évoquer les grandes tendances de fond qui détermineront le cadre dans lequel les Européens devront relever les défis immédiats pour ensuite tracer le chemin vers une Europe plus dynamique, mieux intégrée et capable de produire ce fameux “ferment” nécessaire pour une croissance vigoureuse et durable.

1.    Les tendances lourdes

Commençons donc par les grandes tendances susceptibles d'entraîner de profonds bouleversements. J’en citerai trois déjà à l'œuvre aujourd'hui.

D’abord, la mondialisation et l’interconnexion du commerce mondial qui, entre 1950 et 2007 a connu une expansion annuelle de 6,2 pour cent en moyenne, et a contribué à une augmentation moyenne du PIB réel de 3,8 pour cent par an.

L'accélération des flux commerciaux et financiers a fait progresser la croissance et le bien-être à l’échelle mondiale, mais a aussi engendré de redoutables défis, tels que l'accroissement des inégalités, de plus en plus visibles de par le monde, sans résoudre ni bien sûr éradiquer la pauvreté dans toutes les économies.

Dans les décennies à venir, cette puissante dynamique de la mondialisation — technologies de la communication, flux financiers et mouvements migratoires — continuera à forger le monde dans lequel nous vivons.

Ensuite, l’évolution démographique. Dans l’Union Européenne, l’espérance de vie s’est allongée de 15 ans depuis les années 1950. Et le taux de dépendance — le rapport entre inactifs et actifs — va passer d’environ 30 % aujourd’hui à environ 60 % en 2060.

D’autres économies, notamment en Asie, connaîtront le même phénomène de vieillissement démographique, dont les conséquences, tant sociales que politiques ou économiques, vont s’avérer redoutables.

Enfin, l’innovation technologique. Le petit smartphone dans notre poche a une puissance de calcul 1.000 fois supérieure à celle des ordinateurs qui ont servi à envoyer les capsules Apollo sur la lune et possède 16 fois plus de mémoire. Il est aussi 25 fois plus petit, et coûte bien entendu beaucoup moins cher.

A bien des égards, le progrès technologique a un effet révolutionnaire: il nourrit les exigences des consommateurs mais il rendra par ailleurs obsolètes beaucoup de métiers traditionnels.

Ces tendances de fond créent tout à la fois des opportunités et des défis.

2.    Les défis du présent

J’en viens à ma deuxième question: tout en gardant à l’esprit cette mutation de l’environnement mondial, quels sont les grands défis auxquels les décideurs sont confrontés aujourd’hui?

La bonne nouvelle, c’est que l’économie européenne est en train de se remettre de la crise. La confiance se raffermit et les marchés financiers sont plutôt bien orientés, peut être trop bien orientés. La moins bonne nouvelle c'est que cette reprise est fragile et pas encore équilibrée notamment au sein de la zone euro.

Comment entretenir cette reprise et la renforcer pour qu’elle engendre une croissance solide, durable et plus inclusive? A défaut, il sera difficile de s’attaquer aux séquelles de la crise que sont le chômage et la dette, l'un et l'autre trop élevés pour ne pas grever lourdement l'avenir.

Il y a en fait un vrai risque de cercle vicieux, où la persistance d’un taux de chômage et de ratios dette/PIB élevés menacerait l’investissement et plomberait les perspectives de croissance.

Que doit faire l’Europe? D’abord, s’attaquer aux obstacles structurels qui nuisent à l’innovation, à la création d’emplois et à la productivité.

Comme Mario Draghi l’a signalé la semaine dernière lors de la conférence à la mémoire de Tommaso Padoa-Schioppa:

« La législation de l’UE peut ouvrir les marchés. Mais seules les réformes structurelles permettront aux entreprises et aux individus de tirer pleinement parti de cette ouverture. »

Je suis en parfait accord avec cette analyse. Si des avancées sont incontestables dans un certain nombre de pays de la zone euro, il reste beaucoup à faire.

Si tous les pays de la zone réduisaient de 10-20 % l’écart qui sépare aujourd’hui les marchés des produits et celui du travail des pratiques optimales de l’OCDE, le PIB de la zone euro en 2019 pourrait, d’après nos estimations, être supérieur de 3½ % à nos prévisions actuelles.

Ces réformes structurelles devraient aller de pair avec d’autres mesures que nous avons soulignées lors des récentes consultations avec la zone euro au titre de l’article IV (dont le rapport a été publié lundi):

  • La politique monétaire doit rester accommodante jusqu’à ce que la demande privée se soit complètement rétablie et que la BCE ait atteint son objectif de stabilité des prix. Une inflation obstinément faible peut miner la reprise. 
  • La politique budgétaire de la zone euro est principalement neutre, ce qui est approprié. En cas de réduction significative des taux de croissance, il est impératif de laisser fonctionner les stabilisateurs automatiques budgétaires.
  • Par ailleurs, les pays disposant de marges budgétaires suffisantes doivent pouvoir engager une politique déterminée d’investissements publics.
  • Il nous parait nécessaire de poursuivre de manière convaincante l'assainissement des bilans pour étayer la confiance et permettre le redémarrage du crédit et de l’investissement.
  • Les banques devraient ainsi continuer à tirer parti des conditions financières favorables pour mettre à niveau leurs fonds propres. Le renforcement des systèmes nationaux de règlement des faillites contribuerait à redresser les bilans des sociétés.
  • Il faut également parachever les travaux sur l’union bancaire. Des progrès importants ont été accomplis, mais il reste nécessaire de mettre en place un dispositif de soutien budgétaire commun pour rompre le lien entre les banques et les États souverains.

3.    Vers une Europe plus dynamique et plus intégrée

J’en viens à mon troisième et dernier point: la nécessité d’une meilleure intégration économique. (Au risque d’en décevoir certains, je me garderai bien ici d’aborder la dimension politique d’une pareille intégration). Il y a, à mon sens, trois thèmes économiques pertinents.

Premièrement, il est impératif d’entretenir une population active hautement qualifiée qui puisse à loisir se déplacer d’un pays à l’autre. Dans la recherche de personnel qualifié, la concurrence mondiale est féroce, et la zone euro ne doit pas gaspiller ses talents.

À cet égard, le fait que le chômage des jeunes demeure si élevé —en moyenne de 24 % dans la région —est tout simplement tragique. Un jeune chômeur à l'aube de l’âge adulte, perd rapidement ses compétences et ses talents ainsi que la faculté d'en acquérir de nouveaux et son employabilité future s’en trouve forcement impactée.

Qui plus est, à cause du vieillissement rapide de sa population, l’Europe doit de plus en plus compter sur ses jeunes travailleurs pour soutenir l’économie et préserver le système de protection sociale.

Je n’irai pas par quatre chemins: l’Europe dépend de cette génération à la fois pour tenir son rang dans une économie mondiale de plus en plus compétitive et pour prendre en charge les retraites des baby boomers.

Elle doit équiper sa jeunesse pour la mettre ou la remettre au travail; il en va de sa survie. Il serait ici utile de considérer le succès et l’utilité de programmes tel qu’Erasmus, ou l'utilisation extensive du MOOC européen en étroite liaison entre les mondes éducatifs et du travail. Les besoins sont là, et les solutions optimales doivent être identifiées et mises en œuvre.

En second lieu, des marchés régionaux profonds de capitaux plus développés et diversifiés peuvent financer l’innovation, l’investissement et la croissance à long terme. En particulier, la titrisation des prêts aux PME pourrait réduire le recours aux prêts bancaires et alléger les contraintes de crédit des entreprises. Cela favoriserait les investissements transfrontaliers et doperait l’expansion des autres formes de financement.

Par ailleurs, il importe de combattre la fragmentation financière et de permettre la libre circulation transfrontalière des liquidités. Le Mécanisme de supervision unique (MSU), qui sera opérationnel d’ici la fin de l’année, devrait aider à cet égard.

En outre, de manière plus générale, l’union bancaire signifie que, où qu’elles soient implantées en Europe, les banques doivent pouvoir prêter n’importe où à des conditions concurrentielles, en se soumettant aux mêmes normes prudentielles que les autres banques actives sur le même marché.

Troisièmement, des marchés nouveaux, ouverts et plus efficaces encouragent la productivité et la compétitivité. Les accords de libre-échange avec de grands partenaires commerciaux ouvriront de nouveaux débouchés pour les produits de la zone euro.

L’intégration plus poussée avec les marchés mondiaux améliorerait la productivité et raccorderait les pays aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Et la mise en œuvre de la Directive sur les services ouvrirait l’accès à des professions protégées et dynamiserait la concurrence.

Conclusion

Pour conclure, permettez-moi de citer à nouveau la Déclaration de 1950:
« L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait. »

Je pense avoir mentionné ici quelques de domaines où des réalisations concrètes sont nécessaires, et en tout cas possibles. J’ai sans doute soulevé plus de questions que je n’aifourni de réponses, mais je sais que pour trouver des solutions à ces problèmes cruciaux, un dialogue comme le nôtre est un pas dans la bonne direction.

Je suis sûre que sous les auspices de la Fondation, et en telle compagnie, nos discussions seront fructueuses. Je vous remercie de votre attention.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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