Soixantième anniversaire du Club de Paris Notes préparées pour le discours d’ouverture de la Directrice générale

le 1 juillet 2016

Je tiens à remercier le Secrétariat d’organiser cette importante cérémonie, qui célèbre à la fois six décennies d’action collective très réussie entre les créanciers publics, et l’adhésion de la Corée qui rejoint désormais le Club de Paris. La splendeur de ce lieu, le Centre de Conférences Pierre Mendès, se prête tout à fait à cette occasion et évoque assurément pour moi nombre de souvenirs de l’époque où j’étais Ministre des Finances ici même…

Cette double célébration nous donne aussi l’occasion de prendre la mesure des facteurs qui ont contribué au succès du Club de Paris et en ont fait le forum mondial pour la mobilisation du secteur public. Elle nous invite aussi à faire le point des mesures qui peuvent être prises pour que le Club de Paris garde toute son efficacité et sa pertinence dans les décennies à venir.

Du point de vue du FMI, le Club de Paris a joué un rôle inestimable dans la résolution d’un certain nombre de crises difficiles. Toutefois, avec l’apparition de nouvelles vulnérabilités et les mutations structurelles en cours dans le paysage du financement public, je vois trois grands domaines dans lesquels le Club de Paris devra continuer de s’adapter : je crois en effet qu’il doit 1) ouvrir ses portes à de nouveaux membres pour faire entrer d’autres grands créanciers publics, (2) poursuivre les innovations en matière de financement comme dans ses récents accords, et 3) remédier aux difficultés soulevées par les obligations souveraines détenues par les États.

Partenaire indispensable dans les crises de la dette

Lorsque j’étais Ministre des Finances, j’ai toujours considéré le Club de Paris comme une force indispensable de progrès pour le système financier international. Mais j’ai pu mesurer encore plus clairement à quel point cela était vrai lorsque j’ai pris mes fonctions de Directrice générale du FMI.

Comme vous le savez, la principale responsabilité du FMI est de maintenir la stabilité du système financier international. La bonne santé des pays souverains débiteurs est au cœur de ce système. C’est pourquoi le FMI s’emploie activement à préconiser des politiques prudentes pour assurer que ses membres maintiennent la viabilité de leur dette.

Cela étant, il peut se produire des circonstances dans lesquelles des pays souverains ne sont pas en mesure d’honorer intégralement leurs obligations de paiement. Le FMI est souvent sollicité pour apporter un appui financier dans de telles situations, mais dans la mesure où nous ne pouvons prêter que si la dette est viable, une certaine forme de restructuration de la dette en général s’impose. Dans ce contexte, lorsqu’une dette publique doit passer par une restructuration, le pays débiteur doit parvenir à un accord avec chacun de ses créanciers publics.

Sans l’existence d’un forum bien établi qui assure la coordination entre les créanciers publics, ce processus pourrait s’avérer chaotique, interminable et onéreux pour le débiteur, les créanciers, et l’ensemble du système. Mais heureusement, avec le Club de Paris, nous avons un tel forum, bien établi, fiable et performant, qui a su continuellement adapter ses pratiques au fil des ans, en apportant notamment des «assurances de financement» pour les programmes suivis par les pays débiteurs, ce qui permet au FMI d’accorder un prêt dans les plus brefs délais pour venir en aide à un pays membre qui en a besoin.

Restructuration de la dette souveraine sur le terrain

C’est là une vision à 30.000 pieds d’altitude de la force de progrès que constitue le Club de Paris dans le système financier international. Toutefois, ce n’est que sur le terrain qu’il est possible d’apprécier pleinement la véritable contribution du Club, là où apparaît au grand jour la réelle complexité des diverses situations de crise.

Les restructurations de dette souveraine sont des situations intrinsèquement difficiles. Le pays débiteur est dans une situation où son économie est affaiblie et sa population souffre de la crise. En conséquence, le temps presse pour le pays débiteur. Du côté des créanciers en revanche, les points de vue et les intérêts sont souvent très divergents. Il est même parfois difficile de réunir toutes les informations sur les créances. C’est là que le Club de Paris a si admirablement réussi, en réunissant les créanciers publics autour d’une même table et en parvenant dans des délais très courts à des accords consensuels exhaustifs.

Prenez par exemple les cas de l’Iraq (2004) et du Nigéria (2005), où la base de créanciers publics était complexe et où les créanciers s’orientaient tous dans des directions différentes. Le Club a joué un rôle essentiel en contribuant à aboutir à des solutions dans ces circonstances difficiles.

Un autre exemple assez récent, qui a mis en évidence la réactivité et l’agilité du Club de Paris est celui de la Grenade, où il est intervenu rapidement pour apporter les assurances de financement au FMI, bien avant qu’un accord ne soit conclu avec les créanciers du secteur privé. D’ailleurs, la mobilisation du secteur privé s’est avérée être un processus fort complexe, mais l’appui immédiat du Club de Paris a permis de préparer le terrain pour le financement du FMI, ce qui a permis d’ancrer à la fois la restructuration du secteur privé et un solide train de mesures pour replacer la Grenade sur la voie de la viabilité extérieure.

Un autre exemple encore, d’une importance historique, a été le rôle du Club de Paris dans la résolution d’une myriade de créances souveraines détenues par la Fédération de Russie après l’effondrement de l’Union soviétique, pour la plupart sous forme d’arriérés. En faisant entrer la Russie dans le Club de Paris en 1997, et par un vaste partage d’informations, il a été possible de mettre en place un cadre solide d’apurement de ces arriérés, conformément au principe de comparabilité de traitement du Club de Paris.

Le Club de Paris a encore joué un rôle très spécial en permettant à certains pays de se réinsérer dans l’économie mondiale, en leur accordant un allègement de la dette au moment de leur ouverture sur le monde après des années d’isolement. Le Myanmar en 2013 en est un exemple. Un autre exemple, quelque temps auparavant, est celui de la Pologne, qui a bénéficié d’un allègement de sa dette, a redémarré sur de nouvelles bases, et ne l’a jamais regretté…!

Voilà déjà quelques exemples fort importants, et je n’ai même pas encore mentionné l’initiative PPTE. Sur les 39 pays admissibles ou éventuellement admissibles à l’aide au titre de l’initiative PPTE, 36 pays, après avoir atteint leurs points d’achèvement, bénéficient actuellement d’un allégement intégral de leur dette de la part du FMI et d’autres créanciers. C’est là, à mes yeux, l’une des réussites les plus méritoires jamais enregistrées par la communauté internationale, car elle a donné un nouveau souffle de vie à un certain nombre des pays les plus pauvres de la planète. Sans le Club de Paris, sans son inlassable communication et son étroite coopération avec les institutions financières internationales, une initiative aussi ambitieuse n’aurait jamais pu voir le jour.

Se préparer à relever les nouveaux défis du financement public

Après ce rappel des succès enregistrés par le Club dans le passé, je voudrais maintenant me tourner vers le présent et l’avenir. Quelles sont les vulnérabilités de la dette aujourd’hui ? Quels sont les changements structurels dont nous devons tenir compte et quelles sont, en conséquence, les mesures à prendre pour se préparer à relever les nouveaux défis du financement public.

  • La crise financière mondiale et la crise de la dette souveraine dans la zone euro nous ont rappelé que le problème de viabilité de la dette n’est pas réservé aux pays en développement. En effet, la dette des pays avancés reste élevée et même si la situation s’est améliorée depuis 2008, les économies ne sont pas encore toutes totalement sorties d’affaire.
  • La plupart des pays émergents et en développement n’ont pas été aussi gravement touchés par la crise financière mondiale, mais d’autres événements survenus depuis lors ont été moins cléments : le cycle exceptionnellement favorable des produits de base, en particulier, s’est inversé et a frappé de plein fouet les pays exportateurs. Les perspectives de croissance sont également de plus en plus incertaines, compte tenu du récent ralentissement de l’activité en Chine. En outre, l’augmentation de l’endettement privé présente des risques, de même qu’un resserrement de la liquidité mondiale. Nous avons effectivement constaté une nette augmentation des vulnérabilités de la dette chez certains pays pré-émergents ainsi que chez certains petits États vulnérables aux catastrophes naturelles.

Face à ces inquiétudes conjoncturelles, il est légitime de penser que la dette souveraine restera à l’ordre du jour de la politique internationale pendant encore un certain temps, de même que la nécessité de disposer d’un forum performant pour assurer la coordination entre les créanciers publics.

Il est également important de souligner trois évolutions structurelles qui ont modifié le paysage du financement public.

  • Premièrement, l’apparition de nouveaux créanciers mondiaux tels que la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, et en effet la Corée. C’est là une évolution positive car elle traduit les progrès enregistrés au prix de durs efforts par ces pays sur la voie de la prospérité au fil des décennies. Mais elle entraîne aussi de nouvelles difficultés pour assurer la coordination entre créanciers publics, en particulier lorsqu’ils ne sont pas membres du Club de Paris.
  • Deuxièmement, la diversité croissante aussi des formes de financement souverain. Depuis une dizaine d’années environ, nous assistons à une flambée d’émissions d’obligations souveraines, suivies de l’achat de ces titres par des entités souveraines étrangères telles que des fonds souverains et des banques centrales. Dans la mesure où ces créances sont détenues à des fins d’investissement, elles s’apparentent à des créances privées et à ce titre ne concernent pas le Club de Paris. Cela étant, ces créances obligataires peuvent présenter des opportunités et des risques, en particulier lorsqu’il s’agit de résoudre efficacement des crises de dette souveraine.
  • Enfin, l’importance du développement durable est de plus en plus largement reconnue à l’échelle internationale. Un pays peut avoir l’air très solide financièrement mais beaucoup moins si l’on envisage les coûts futurs que représentent l’épuisement des ressources et les externalités environnementales négatives pour les moyens de subsistance de sa population. Les créanciers publics doivent de plus en plus tenir compte de cet impératif plus vaste de viabilité lorsqu’ils envisagent des accords de restructuration.

Domaines d’action pour l’avenir

Ces évolutions conjoncturelles et structurelles ont de toute évidence leur importance pour le Club de Paris et pour son rôle de coordonnateur des créanciers publics. La question est la suivante : comment le Club de Paris peut-il s’adapter à ces évolutions tout en assurant à l’avenir le même niveau d’efficacité et de réussite que par le passé? Je vois trois grands domaines d’action:

Premièrement, il est important que le Club de Paris ouvre ses portes à de nouveaux membres et fasse entrer d’autres grands créanciers publics mondiaux pour améliorer sa représentativité et maintenir sa pertinence à long terme. L’adhésion de la Corée est extrêmement positive à cet égard et il est à espérer qu’elle servira de catalyseur pour faire venir également d’autres créanciers. Les initiatives en direction de nouveaux membres éventuels doivent s’inscrire dans un esprit d’ouverture et de volonté d’adaptation, tout en maintenant ces principes fondamentaux sur lesquels repose le travail du Club de Paris et qui lui ont été extrêmement bénéfiques dans la pratique pour apporter jusqu’à maintenant des réponses rapides et efficaces. Les principes de travail du Club de Paris et leur finalité devront faire l’objet d’une communication et d’une explication rigoureuses.

Deuxièmement, le Club de Paris doit rester innovant, et à cet égard, deux projets récents sont déjà tout à fait bienvenus.

  • Prenez tout d’abord la «clause ouragan» accordée par le Club de Paris à la Grenade lors de la restructuration de sa dette en novembre 2015 : c’est là un exemple d’une solution taillée sur mesure pour un petit pays très vulnérable aux catastrophes naturelles. Je sais également que des travaux sont en cours pour proposer des prêts anticycliques, qui permettraient aux débiteurs d’obtenir un allégement automatique du service de la dette lorsque la conjoncture est difficile. Il est important que la communauté internationale et le Club de Paris envisagent sérieusement de telles propositions. Je peux vous dire que le FMI lui-même est actuellement en train d’examiner la possibilité plus vaste d’instruments financiers flexibles en fonction des circonstances des pays, que nous prévoyons d’analyser avec nos membres au début de l’année 2017.
  • Une autre innovation qui relève des questions de développement durable dont j’ai parlé tout à l’heure consiste à échanger la dette contre la protection de l’environnement, solution que le Club de Paris a négocié avec les Seychelles en février 2015, en étroite collaboration avec l’association américaine de protection de la nature «Nature Conservancy». Ce type d’échange, qui allège le poids de la dette du débiteur en échange de son engagement en faveur de la protection des aires marines constitue une solution triplement gagnante.

Troisièmement, nous devons remédier aux difficultés soulevées par les autres formes de financement souverain, notamment les obligations négociables détenues par d’autres États ou leurs entités. Pour être claire, je ne vois pas de raison pour le Club de Paris de traiter d’obligations souveraines détenues à des fins d’investissement. Ces titres ne peuvent pas recevoir le même statut privilégié que celui dont bénéficient les créances publiques contractées aux fins de la politique publique. Nous pourrions toutefois nous pencher sur la possibilité d’intensifier le partage d’informations, l’analyse et la coordination entre les entités publiques étrangères qui détiennent ces obligations dans le contexte d’une restructuration. Les questions fondamentales à cet égard sont les suivantes : ces entités publiques peuvent-elles travailler ensemble pour permettre d’accélérer une restructuration lorsqu’elle s’avère nécessaire, ce qui aboutirait à un résultat net positif pour l’ensemble du système financier mondial, et quel rôle peut et doit jouer le Club de Paris à cet égard.

Nous sommes à l’aube d’une période fascinante, qui certes, ne sera pas sans difficulté. Mais forts de notre historique collectif qui nous a permis de trouver les solutions ensemble, je suis convaincue que nous réussirons. J’estime que le Club comprend bien les problématiques fondamentales auxquelles il est confronté et a déjà commencé à envisager les mesures à prendre. Ses réponses devront être fondées sur l’analyse et le dialogue entre créanciers. Je sais que la prochaine séance va porter sur «le nouveau paysage de la restructuration de la dette publique» et j’attends avec intérêt d’écouter vos échanges.

Merci!

Département de la communication du FMI
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