Rencontre avec Annalisa Fedelino, chef de mission du FMI pour le Liban

Affiché le 10 mars 2016 par le blog du FMI

Dans ce premier blog d’une nouvelle série, Annalisa Fedelino, Sous-directrice du Département Moyen- Orient et Asie centrale, nous parle de son rôle de chef de mission pour le Liban, de son travail sur les principaux problèmes macroéconomiques du pays et de son expérience au FMI.

Le Liban reste en proie à une série de chocs majeurs qui frappent la région. Le plus grave de ces dernières années est la crise des réfugiés en provenance de Syrie, pays avec lequel le Liban partage sa plus grande frontière. Les réfugiés syriens, dont le nombre dépasse le chiffre colossal d’un million, représentent près d’un tiers de la population libanaise. Cette présence revêt une ampleur d’autant plus considérable si on la compare aux flux que reçoivent depuis peu les pays européens, et dont les médias se font si largement l’écho.

Cette présence massive de réfugiés pèse non seulement sur l’économie, mais aussi sur le tissu social et sur le paysage politique du Liban. La croissance a fortement diminué, passant d’une moyenne de 8 % entre 2008 et 2010 à environ 1 % en 2015. De plus, les secteurs traditionnels de l’économie — immobilier, bâtiment et tourisme — ont été particulièrement atteints, surtout en 2015. À cela s’ajoute l’impasse politique : cela fait près de deux ans que le pays n’a pas de président.

Tant que la crise syrienne ne sera pas résolue, les chances d’une reprise durable au Liban seront limitées et la confiance des consommateurs et des investisseurs restera hésitante. Si l’on élargit la perspective au reste du monde, le relèvement des taux d’intérêt américains, particulièrement important pour le Liban dont la monnaie est rattachée au dollar, aura aussi un impact négatif sur le coût du financement et le service de la dette. Côté positif, la baisse des prix du pétrole a apporté une bouffée d’oxygène salutaire aux revenus libanais, mais elle n’a pas suffi à compenser les vents contraires nationaux et régionaux.

En tant que chef de mission, je dirige une équipe au siège du FMI, à Washington, et au Liban. Lors de nos visites sur place, nous faisons le point de la situation économique, nous évaluons les perspectives macroéconomiques et nous conseillons le gouvernement sur les mesures à prendre. À cette fin, nous rencontrons un large éventail de parties prenantes pour mieux comprendre la réalité sur le terrain, établissons un dialogue et cherchons à formuler de bonnes recommandations de politique générale. Outre le Ministère des Finances et la Banque du Liban, nos interlocuteurs traditionnels, nous rencontrons des représentants des autres départements ministériels, du secteur privé et de la communauté internationale. Nous rencontrons aussi des dirigeants du secteur bancaire, étant donné le rôle vital que joue ce secteur dans l’économie libanaise. Il est important pour notre équipe de rencontrer un maximum d’interlocuteurs, car les enjeux du pays sont multiples et complexes et nécessitent une démarche réfléchie et adaptée. Pour vous donner une idée de notre plan de travail, nous venons d’effectuer une visite au Liban au début de février 2016 et nous nous préparons maintenant à ce que nous appelons la consultation au titre de l’article IV, qui comprendra une mission en mai 2016. Au terme de cette visite, nous rédigerons un rapport que nous présenterons au Conseil d’administration dans le courant de l’été, et qui pourrait être publié par la suite (cliquer ici pour accéder aux rapports (en anglais)).

Quelles sont les principales priorités d’action au Liban et en quoi le FMI peut-il aider?

La stabilité macroéconomique du Liban est tributaire du maintien de la confiance et de la sécurité. Il convient de féliciter les autorités pour avoir maintenu la sécurité dans une conjoncture régionale particulièrement difficile. Il sera également vital d’asseoir la confiance pour continuer d’attirer d’importants flux de capitaux (dépôts, envois de fonds et investissement direct) et couvrir les considérables besoins de financement du Liban. À cet égard, trois grands chantiers se dégagent. Premièrement il faut promouvoir un environnement propice à la création d’emplois et à la croissance. Chaque année, nombreux sont les Libanais hautement qualifiés qui émigrent faute de débouchés. Nous nous efforçons de fournir des exemples de pays qui ont mis en œuvre des réformes, de telle sorte que le Liban puisse mieux mettre en valeur son riche capital humain.

Deuxièmement, il est nécessaire d’opérer un ajustement budgétaire afin d’atténuer les vulnérabilités économiques et de placer la dette sur une trajectoire viable. La dette publique représente près de 140 % du PIB et sans ajustement elle risque de s’alourdir davantage. Une dette publique lourde a un coût : à l’heure actuelle les charges d’intérêt absorbent les deux tiers des recettes fiscales globales, soit plus de 9 % du PIB. Or ces ressources pourraient être affectées à des fins productives. Bien sûr, les efforts budgétaires ne sont ni agréables ni faciles, et ils le sont d’autant moins dans un contexte où la croissance est faible et les besoins en matière de dépenses considérables, en particulier pour les services publics et l’infrastructure. Nous nous efforçons donc d’être constructifs en proposant des solutions qui atténuent les retombées négatives éventuelles de l’ajustement budgétaire sur la croissance. Par exemple, le très faible niveau actuel des prix du pétrole est une occasion unique pour renforcer les recettes, qui ont diminué de près de 3 % du PIB depuis 2011. Les taxes sur les carburants, qui avaient été réduites, voire supprimées, lorsque le pétrole était très cher en 2011-12, devraient désormais être relevées pour tenir compte de la nouvelle conjoncture mondiale des cours du brut. Outre qu’elles contribueraient à réduire le déficit budgétaire, la mobilisation et le recouvrement d’un plus gros volume de recettes dégageraient aussi une marge de manœuvre pour accroître certaines dépenses jusque-là négligées. L’investissement public est un exemple particulièrement parlant : actuellement il n’est que de 1 ½ % du PIB.

Ceci nous amène au troisième domaine. En partie à cause du très faible niveau d’investissement public, il est urgent pour le Liban de mettre à niveau ses infrastructures déficientes, qui sont aujourd’hui encore plus sollicitées par la forte présence de réfugiés. Il est également possible d’accroître l’investissement en infrastructure en impliquant davantage le secteur privé. À n’en pas douter, le Liban dispose d’un considérable capital financier et humain pour entreprendre cette tâche. La participation du secteur privé nécessitera des réformes de la réglementation pour optimiser le cadre législatif du Liban, par exemple pour promouvoir les partenariats public-privé d’une manière transparente et saine (voici d’ailleurs plusieurs années qu’une loi-cadre à ce sujet est en souffrance au Parlement). Ce ne sont là que quelques exemples des initiatives qui pourraient être mises en œuvre. Compte tenu de la conjoncture actuelle de faible croissance, quelques changements concrets d’orientation pourraient suffire à changer considérablement la donne.

Les enseignements personnels que je tire de mon travail actuel

Cela fait environ 21 ans que je suis au FMI. Au fil des ans, j’ai eu l’occasion exceptionnelle de travailler sur plusieurs pays et sur différents dossiers. J’ai notamment appris qu’il est très important pour les services du FMI de savoir se mettre à la place des autorités lorsqu’ils conduisent leurs analyses et élaborent leurs recommandations, afin de mieux comprendre les contraintes auxquelles elles sont confrontées. Par ailleurs, nous apportons notre perspective internationale sur les enjeux à traiter, et nous cherchons à fournir des exemples des stratégies qui ont porté leurs fruits – et de celles qui ont échoué – dans d’autres pays dans des circonstances comparables. Nous nous efforçons de le faire de manière constructive et respectueuse, même si parfois notre message est difficile. Il est important de chercher à maintenir le dialogue avec nos interlocuteurs et de continuer à travailler pour parvenir à un terrain d’entente et à une vision partagée.

Qu'y a-t-il de particulier dans mes fonctions actuelles?

Au début de ma carrière au FMI, j’étais économiste au sein de l’équipe chargée du Liban. Aujourd’hui, une quinzaine d’années plus tard, me voici de retour dans un pays qui a beaucoup changé depuis ma première visite. Mais aujourd’hui comme hier, je suis impressionnée de voir à quel point les Libanais sont fiers de leur pays, à quel point ils y croient. Je suis tout aussi impressionnée par la résilience que le pays continue d’afficher en dépit des nombreux chocs auxquels il a été soumis au fil des ans. En tant que chef de mission, j’espère continuer à travailler de manière constructive avec les autorités pour aider le Liban, pays qui regorge de talents, à réaliser son magnifique potentiel.
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Annalisa Fedelino est chef de mission pour le Liban et Sous-directrice au Département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international. Elle a travaillé dans plusieurs départements du FMI, notamment au Bureau du budget et au Département des finances publiques. Ressortissante italienne, Mme Fedelino a plus de vingt ans d’expérience comme économiste au FMI, et a travaillé sur un éventail de pays et de dossiers. Elle est titulaire d’un doctorat d’économie de l’Institut universitaire européen et a effectué un échange universitaire à l’Université de Californie à San Diego avant d’entrer au FMI. Elle est mariée (à un économiste du FMI) et mère de trois enfants.



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