Les pays à faible revenu face à la crise financière mondiale -- Mesures prises à l'échelon national et international, Allocution prononcée par Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du FMI

le 17 septembre 2009

Allocution prononcée par Dominique Strauss-Kahn,
Directeur général du Fonds monétaire international
Des ressources pour l’avenir, Washington DC
17 septembre 2009

Tel que rédigé pour allocution

Bonjour, c’est avec grand plaisir que je prends part, avec vous, à cette réflexion que j’estime essentielle, sur la situation des pays à faible revenu dans la crise économique mondiale actuelle. Permettez-moi de remercier Nancy Birdsall et le Center for Global Development d’avoir pris l’initiative de nous réunir.

Il y a presque six mois exactement, j’ai fait une communication comparable à celle-ci à la Brookings Institution. Peu de temps après, j’ai rencontré les dirigeants des pays Africains en Tanzanie, d’où nous avons adressé un message commun à la réunion des dirigeants du G-20 de Londres pour leur demander de ne pas oublier les pays les plus durement affectés. Au Sommet de Londres, le G-20 s’est engagé à doubler la capacité du FMI à accorder des crédits aux pays à faible revenu.

Les nouvelles que je vous apporte ce matin sont contrastées. Côté négatif, comme nous le craignions, les pays à faible revenu ont été durement frappé par la crise mondiale, plus durement que nous ne le pensions en mars dernier. Côté positif, les décideurs ont réagi avec détermination et de manière plus volontariste que par le passé. Et parallèlement au desserrement des politiques macroéconomiques dans les pays, les financements du FMI leur apportent la bouffée d’oxygène dont ils ont âprement besoin. Conjuguée à l’amorce d’une reprise de l’activité mondiale, cette modulation des politiques mises en œuvre est, à mon sens, porteuse d’espoir. Il n’empêche que les pays à faible revenu restent extrêmement vulnérables et que leurs besoins de financement sont colossaux, ce qui ne permet aucun relâchement des efforts engagés.

Je voudrais d’abord décrire brièvement la crise dans les pays à faible revenu et les mesures prises pour y faire face, avant d’aborder le rôle du FMI, à cet égard.

La crise dans les pays à faible revenu

Nul n’ignore que les pays à faible revenu sont les victimes innocentes de cette crise. Ils n’ont pas commis les erreurs des pays avancés. Au contraire, plusieurs d’entre eux ont fait ce qu’il fallait ces dernières années, c’est-à-dire, affermir leur solde budgétaire, réduire leur endettement, maîtriser l’inflation, libéraliser les marchés de produits et porter leurs réserves à des niveaux confortables. Aidés par l’allègement de la dette, ils tiraient enfin profit de la mise en œuvre de pénibles réformes qui ont abouti à la plus longue période de prospérité économique des temps modernes dans les pays à faible revenu, en particulier dans les pays subsahariens.

Puis est arrivé ce revers de fortune, avec d’abord, le choc des prix alimentaires et pétroliers. Commençant à peine à reprendre leur souffle, les pays à faible revenu ont été frappés de plein fouet par la crise financière mondiale. Dans certains cas, le taux de croissance de ces pays pour 2009 tombera à moins de la moitié de son niveau d’avant la crise, ce qui est plus grave que nous ne le pensions en mars dernier.

Les effets de la crise se font ressentir par différents canaux, ce qui n’en souligne que davantage la portée planétaire et le caractère multiforme.

Les échanges commerciaux sont au point mort, sous l’effet de la récession mondiale. Les exportations de biens et de services des pays à faible revenu risquent de chuter de 16 % cette année.

Les envois de fonds — une manne essentielle pour de nombreuses familles dans les pays à faible revenu — ont aussi fortement diminué. Ils pourraient chuter de près de 10 %, ce qui serait un dur revers après des années de forte croissance.

Eu égard au marasme économique dans les pays avancés, nous pensons que les flux d’IDE à destination des pays à faible revenu pourraient chuter de 25 % cette année.

Et les flux d’aide n’ont pas été à la mesure des promesses de Gleneagles.

Quid, des circuits financiers? Et bien les banques des pays à faible revenu se sont généralement tenues à l’écart des prêts hypothécaires à risque et des produits financiers complexes. Il n’empêche que certains établissements bancaires ont des problèmes de liquidité et se heurtent à des coûts de refinancement prohibitifs — ce qui n’est guère surprenant dans un environnement mondial incertain. La quantité de prêts improductifs s’accroît avec la dégradation des conditions économiques. Tout ceci freine l’expansion du crédit, ce qui accroît le ralentissement général de l’activité.

Je m’attends à une reprise de l’activité en 2010, et à ce que les pays à faible revenu tirent parti alors de la poussée de la demande mondiale. Mais rien est acquis. Le rythme de la reprise mondiale est loin d’être garanti et les pays pauvres pourraient subir le contrecoup de la crise durant plusieurs années encore. Il y a aussi le risque permanent de nouveaux chocs. La sécheresse qui continue de sévir en Afrique de l’Est en est un cruel exemple, entraînant la hausse des prix des denrées alimentaires de base et pesant lourdement sur les budgets des États. Une grave pénurie alimentaire menace près de 17 millions de personnes qui pourraient donc avoir besoin d’une aide alimentaire d’urgence.

Ne perdons pas de vue les enjeux. De l’avis de nos collègues de la Banque mondiale, quelque 90 millions d’êtres humains risquent de tomber dans la pauvreté extrême. Dans les pays à faible revenu, cette crise peut être une question de vie ou de mort. Elle peut déclencher des troubles sociaux, l’instabilité politique, voire la guerre. Voilà l’impératif : aider les pays subsahariens non seulement parce que les ressources que nous mettons à leur disposition sont indispensables à leur croissance, mais aussi parce qu’il faut préserver la paix.

Les mesures prises par les pays à faible revenu en riposte à la crise

Je voudrais maintenant passer à quelque chose de positif. C’est toujours le cas quand les solutions viennent de l’intérieur. En menant des politiques de qualité, nombre de pays subsahariens se sont donnés les moyens d’affronter la tourmente. C’est nouveau, parce qu’il n’y a pas si longtemps, plusieurs pays à faible revenu confrontés à des difficultés financières de cette ampleur, auraient été contraints de couper les dépenses publiques, d’imposer des restrictions aux importations ou simplement de cesser d’honorer leurs dettes, aggravant ainsi la crise.

Mais les temps ont changé. Les pays ont considérablement amélioré la situation de leur endettement, en se donnant la marge de manœuvre nécessaire pour mener à bien des politiques contracycliques. Selon nos estimations, près du tiers des pays à faible revenu présente un risque faible à modéré de surendettement, fruit de la mise en œuvre de politiques de qualité, ajoutées à un surcroît d’aide et d’allègement de dette.

À l’évidence, les politiques budgétaires doivent permettre d’endiguer la crise et non de l’aggraver. C’est ce que nous observons. Plus des trois-quarts des pays à faible revenu ont pu laisser leur déficit se creuser malgré la contraction de leurs recettes. Dans un tiers de ces pays, des politiques volontaristes de relance budgétaire ont été mises en place. Comme vous le savez, le FMI prône, et ceci depuis un certain temps, une relance budgétaire globale dans les pays qui peuvent se le permettre. D’aucuns ont dit qu’il s’agit là d’un luxe réservé aux pays riches. Il n’en est rien.

Une marge de manœuvre budgétaire présente aussi l’avantage de protéger les pauvres et les plus vulnérables des ravages de la crise. Pour bien des personnes dans ces pays, lorsque les prix des denrées alimentaires triplent, que le chômage augmente, que les flux d’envois de fonds tarissent, les transferts sociaux sont la seule issue de secours. Je me réjouis de voir que les gouvernements ont fait de leur mieux pour préserver les dispositifs de protection sociale. Des 27 pays à faible revenu pour lesquels on dispose de données, 26 ont pu maintenir ou accroître les dépenses sociales, ce qui n’est pas un mince exploit dans l’environnement actuel.

Mais nous ne devons pas non plus minimiser les risques. Trop souvent, les pays financent leur déficit en empruntant sur le marché intérieur, face à la baisse des financements extérieurs concessionnels. Il va sans dire qu’au fur et à mesure que la reprise s’affermira, les mesures de relance devront être éliminés et les déficits réduits, afin d’assurer la viabilité de la dette. Les pays ne devraient pas non plus être forcés à se serrer la ceinture trop tôt, au risque de compromettre la reprise, pour la simple raison qu’ils ne peuvent accéder à des financements à des conditions raisonnables. D’où l’importance cruciale de l’augmentation des concours financiers concessionnels.

L’augmentation des ressources du FMI

Ceci m’amène au volet suivant de mon propos. La communauté internationale doit épauler les pays à faible revenu par des financements concessionnels, sans quoi, le coût de la crise ne sera que plus élevé, poussant plus de gens encore dans la misère.

Je suis fier de constater que le FMI joue pleinement son rôle, allant au-delà de ce que les dirigeants du G-20 ont préconisé au sommet de Londres en avril dernier. Nous procédons à une augmentation de nos prêts concessionnels à hauteur de 17 milliards de dollars EU jusqu’en 2014 en privilégiant les décaissements en début de période, afin de mettre 8 milliards de dollars EU à la disposition des pays les deux premières années, c’est-à-dire, quand cette assistance est la plus nécessaire. Mettons tout ceci en perspective. L’assistance fournie sur la période 2009-10 sera plus du triple des montants disponibles avant la crise. C’est certes sans précédent, mais les circonstances l’imposaient. Pour que les pays puissent en tirer parti, nous avons doublé le plafond des montants que les pays peuvent nous emprunter.

Les pays membres du FMI ont également souscrit à une nouvelle allocation de 250 milliards de dollars EU de droits de tirage spéciaux, avoirs de réserve auxquels les pays peuvent recourir à vue. Tous les États membres en obtiennent une part qui est proportionnelle à leur quote-part. Pour les pays à faible revenu, cela représente 18 milliards de dollars EU de ressources qui peuvent être utilisées pour consolider les réserves ou si leur niveau est adéquat, pour alléger les contraintes financières.

La réaménagement des prêts concessionnels

Au-delà de savoir combien nous pouvons prêter, il importe aussi d’en connaître les modalités. Nous entendons accorder des prêts à décaissement accéléré, moins coûteux et mieux ciblés. Nos récentes réformes ont transformé notre façon de répondre aux besoins des pays à faible revenu.

Nous avons d’abord abaissé le coût des financements. Un taux d’intérêt nul sera appliqué à nos prêts concessionnels jusqu’à fin 2011. Par la suite, une fois la crise derrière nous, ces taux seront plus concessionnels qu’auparavant. Notre engagement vis-à-vis des pays à faible revenu est à long terme.

La crise a aussi montré qu’il ne suffit pas de jeter tous les pays à faible revenu dans un même panier. Les besoins varient d’un pays à l’autre et nous devons leur apporter une réponse personnalisée. C’est pourquoi le FMI a mis en place différents guichets afin d’assouplir ses financements et de mieux les adapter aux besoins des pays.

Jusqu’a présent, la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) constituait le pivot de l’appui du FMI aux pays à faible revenu. Il a été conçu pour remédier aux profondes difficultés de balance des paiements qui exigent des solutions structurelles à long terme. Aujourd’hui, certains pays restent confrontés aux mêmes difficultés. Nous pouvons désormais leur donner accès au mécanisme qui fait suite à la FRPC — la Facilité élargie de crédit (FEC) — dont les financements sont destinés aux pays qui requièrent une assistance pluriannuelle.

Pour d’autres, tel n’est pas le cas. Certains pays à faible revenu ont accès à des sources de financement classiques en temps normal. Ils ne font appel au FMI que face à un problème spécifique entraînant un besoin de financement ponctuel, ce qui s’apparente à la situation de plusieurs pays émergents et montre aussi que les pays à faible revenu s’affranchissent de certaines contraintes financières. Nous avons créé, pour ces pays, la Facilité de crédit de confirmation, reprenant le dispositif du guichet de financement des pays émergents, à savoir, des prêts à court terme mais assortis de conditions concessionnelles. Il peut être fait appel à ce mécanisme à titre de précaution. Le pays peut ne pas avoir immédiatement besoin du financement mais ce guichet lui garantit un recours en cas de besoin de financement d’urgence du FMI.

Il existe une troisième option. Certains pays ont besoin de financement alors que — pour différentes raisons — un programme d’ajustement n’est pas forcément adapté à leur situation. Ils peuvent être victimes d’une catastrophe naturelle ou d’un choc externe ou encore avoir une capacité institutionnelle qui ne permet pas la mise en œuvre d’un politique d’ajustement. Dans ces cas, la Facilité de crédit rapide (FCR) peut être mise action assez vite, pour de faibles montants et à des conditions allégées.

J’ai bon espoir que cette approche plus souple des modalités de financement, offrant “une facilité pour toutes les circonstances”, permettra de répondre aux besoins spécifiques de chaque pays.

Une nouvelle approche de la conditionnalité

Ce n’est un secret pour personne que nos programmes de financement sont critiqués ça et là depuis des années. D’aucuns ont estimé que nos conditions étaient trop lourdes, inquisitrices, voire inappropriées. J’accepte certaines de ces critiques. Nous avons pu commettre des erreurs mais nous en avons toujours tiré les leçons. Mais je pense que la FRPC a été un succès. Les pays qui ont exécuté des programmes de longue haleine durant les vingt dernières années ont connu une plus forte accélération de leur croissance que ceux dont la coopération avec le FMI a été plus distante.

Il n’en demeure pas moins que nous devons veiller à ce que la médication ne soit pas préjudiciable au malade. Depuis quelques années, nous allégeons la conditionnalité de nos prêts en la centrant sur les mesures indispensables à la stabilité macroéconomique à la réduction de la pauvreté et à la croissance. Une multitude de conditions embrassant des domaines très éloignés les uns des autres, peut nuire à l’efficacité et induire une perte de légitimité. Les conditions figurant dans les programmes appuyés par les ressources du FMI ont été réduites d’un tiers par rapport à il y a une dizaine d’années. Elles sont désormais centrées, à près de 40 %, sur l’amélioration et la responsabilisation de la gestion des deniers publics, à travers le contrôle des dépenses publiques et de l’administration fiscale. Presque tout le monde s’accorde à reconnaître que ce sont là des volets essentiels qui appellent des améliorations. Comme nous l’espérions, cette nouvelle approche suscite une meilleure appropriation des programmes, donnant lieu à plus de réformes dans les pays aujourd’hui que par le passé.

Nos récentes réformes vont encore plus loin. Désormais, nos prêts ne comportent plus de conditions contraignantes reliées à des mesures spécifiques. Les programmes sont plutôt axés sur la réalisation d’objectifs généraux de réforme, offrant aux gouvernements une plus grande marge pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés.

Nous devons aussi faire en sorte que les programmes n’aillent pas à l’encontre des mesures contracycliques des pays. Durant la crise des prix des produits alimentaires et pétroliers, nous avons revu les objectifs d’inflation en hausse pour tenir compte de leur poussée vertigineuse. Face au ralentissement de l’activité que nous observons, les programmes permettent des déficits budgétaires accrus, sans négliger la protection des plus vulnérables. Les budgets de la plupart des pays à faible revenu qui appliquent un programme prévoient une augmentation des dépenses sociales, tout en veillant à mieux les cibler, afin qu’elles profitent directement aux populations démunies.

Je dois ajouter un autre élément. Nous savons tous que les pays à faible revenu n’ont pas les infrastructures suffisantes pour assurer leur développement. Dans le passé, les programmes mis en œuvre n’autorisaient que des prêts hautement concessionnels, excluant en règle générale, le type de crédit du secteur privé qui est nécessaire pour accroître les investissements. Désormais, le FMI entend assouplir son approche des niveaux d’endettement en intégrant aux divers programmes un abaissement des seuils de vulnérabilité de la dette, pour permettre aux pays de recourir à des prêts concessionnels et non concessionnels. Avec le temps, nous nous attendons à ce qu’un nombre accru de pays tirent parti de cette souplesse et nous les y aiderons.

Conclusion

Pour conclure, nous devons veiller à ce que toute reprise de l’activité mondiale profite également aux pays à faible revenu. Ces pays en ont désespérément besoin pour se maintenir à flot et disposer des marges de manœuvre nécessaires pour sortir de la crise. Nous devons aussi nous tenir prêts à les aider à surmonter leurs difficultés, et la sécheresse en Afrique de l’Est montre bien que les épreuves peuvent surgir plus tôt que nous ne le pensons.

Le FMI est prêt à relever ce défi, mais il ne peut le faire seul. Nous estimons qu’il faut aux pays à faible revenu, 55 milliards de dollars EU environ de financements extérieurs supplémentaires cette année et l’année suivante. Le FMI peut fournir à peu près le tiers de ce montant, avec l’allocation de DTS et l’augmentation de sa capacité de prêts concessionnels. D’autres institutions internationales apportent leur contribution mais les bailleurs de fonds doivent aussi jouer leur rôle. La poursuite de l’accroissement de l’aide, atteignant au minimum le niveau des engagements de Gleneagles est impérative.

Dans des moments comme ceux que nous vivons, la tentation du repli sur soi est grande, parce que tous les pays veulent d’abord résoudre leurs propres problèmes, en répondant avant tout à des impératifs et à des revendications politiques internes. Je le comprend parfaitement. Mais la communauté internationale ne peut ignorer les besoins des pays à faible revenu, d’autant que les pays pauvres sont en train de payer le prix des erreurs des pays riches. Tous les pays doivent résister à la tentation de réduire leur aide ou de prendre des mesures commerciale ou financières protectionnistes. Si tel n’était le cas, les pays les plus pauvres en souffriraient, remettant en cause des années de progrès. Si tel est le cas, la démocratie serait mise en péril. Voilà l’éventualité que j’invite chacun de nous à faire tout ce que ce qui est en son pouvoir pour éviter qu’elle se matérialise.

Je vous remercie.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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