Les perspectives économiques des Amériques et la nouvelle architecture financière - Allocution prononcée par Michel Camdessus, Directeur général du Fonds monétaire international

le 2 juin 1999

99/13 (F)

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Allocution prononcée par Michel Camdessus1
Directeur général du Fonds monétaire international
à la Conférence de Montréal
le 2 juin 1999

Permettez-moi tout d'abord de vous dire mon plaisir d'être parmi vous aujourd'hui, non seulement parce que cette conférence traite d'un thème d'avenir et non seulement en raison de votre approche positive de la mondialisation, mais aussi de l'extraordinaire diversité des pays ici représentés. Vous venez, pour certains, de pays industrialisés, pour d'autres, d'économies de marchés émergents, pour d'autres encore, de pays en développement à faible revenu, qui nous rappellent par leur présence ici que nous devons faire en sorte que tous les pays se voient offrir la possibilité d'avoir leur part entière des fruits de la mondialisation.

Au cours des deux dernières années, le monde a souffert sa plus grave crise en cinquante ans. Ce que je voudrais expliquer aujourd'hui, c'est pourquoi un certain optimisme — qui ne doit certes pas aller jusqu'à l'euphorie — reste justifié, mais doit aussi être tempéré par un grand réalisme et être accompagné par un effort soutenu de tous — secteur public, secteur privé, institutions internationales — pour faire avancer la réforme qui a été engagée, au plan national comme au plan international.

Je tiens tout d'abord à confirmer qu'à notre avis, le pire de la crise asiatique est passé et que les Amériques devraient en tirer profit.

Aux États-Unis et au Canada, la longue phase d'expansion économique a été le produit des politiques macroéconomiques prudentes menées par les deux pays depuis le début des années 90. La politique monétaire a fait tomber l'inflation à de bas niveaux et le spectaculaire assainissement budgétaire opéré dans les deux pays a attiré des fonds dans le secteur privé, contribuant à une forte progression de l'investissement. Aux États-Unis, la demande globale s'est accrue récemment à un rythme dépassant les estimations globalement acceptées, tandis que le taux de chômage est tombé à des niveaux inconnus depuis trente ans. Dans cette situation, sila croissance rapide de la demande intérieure devait se maintenir, l'économie pourrait approcher rapidement de ses limites, avec un risque de recrudescence des tensions inflationnistes. Dans le même temps, la faiblesse de la reprise en Europe et la lenteur du renversement de la conjoncture au Japon, en particulier, montrent que ces pays doivent prendre de nouvelles initiatives pour faciliter le retour à un meilleur équilibre de la croissance économique mondiale.

Plus au Sud, il y a matière aussi à un optimisme prudent. Depuis deux mois environ, nous constatons un regain de confiance chez les investisseurs, et certains faits tendent à indiquer que la chute de l'activité a été moins accusée que prévu, en particulier au Brésil. Il semble que l'on ait atteint le creux de la vague et un redressement s'esquisse même dans certains cas. Cela nous a amenés à réviser en hausse nos prévisions — nous prévoyons à présent que l'activité sera inchangée dans l'ensemble de la région en 1999 et connaîtra quelque expansion en l'an 2000. Autre fait frappant, la crise brésilienne n'a eu que des retombées relativement modérées sur d'autres pays, notamment l'Argentine, le Chili et le Mexique. Il est certes prématuré de crier victoire, mais il faut féliciter ces pays de la fermeté de leur action, qui leur a permis de bien résister au choc. Depuis plus de dix ans, leurs saines politiques macroéconomiques ont permis de dompter l'inflation et de réduire l'absorption imputable au secteur public, tandis que de vastes réformes ont renforcé les économies, en particulier les secteurs financiers. Je suis convaincu que cette crise a conduit de nombreux pays à prendre conscience, devant le risque toujours présent de forte instabilité des flux de capitaux, de la nécessité de réagir sans atermoiement ni retard face aux pressions extérieures, et que de nombreux investisseurs apprennent à établir des distinctions entre les économies. Espérons que ces enseignements seront bien compris et qu'ils resteront longtemps dans les esprits; ils sont particulièrement précieux pour quelques-uns de ces pays encore aux prises avec de grandes difficultés.

Et les autres pays des Amériques : ceux d'Amérique centrale et des Caraïbes? Il faudra plus longtemps pour remédier à la misère persistante et aux cataclysmes naturels — qui semblent revenir si souvent frapper les mêmes pays — que pour surmonter la crise des marchés émergents. Je reviendrai à ces pays dans un instant, car, j'en suis convaincu, leur sort doit être au premier rang de nos préoccupations, à l'orée du XXIème siècle. D'ailleurs, je peux vous assurer que leurs besoins ne sont pas oubliés : des accords bénéficiant d'une aide de notre guichet concessionnel, la FASR2, sont actuellement en vigueur avec les cinq pays les plus pauvres de l'Hémisphère. Deux de ces cinq pays sont déjà admissibles à bénéficier d'un allégement exceptionnel de leur dette au titre de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et deux autres pourraient bientôt le devenir. Quant à l'impact des cataclysmes naturels, une aide d'urgence a été versée en 1998 à quatre pays d'Amérique latine ou des Caraïbes dévastés par des ouragans. En outre, le FMI a participé activement aux efforts internationaux en faveur de la reconstruction de l'Amérique centrale après l'ouragan Mitch. Mais tous les pays, les plus avancés comme les plus pauvres, devraient tirer le plus grand profit de la réforme réussie dusystème monétaire et financier international, en dégageant des enseignements décisifs de la gravité de cette dernière crise. Où en sommes-nous de ce point de vue?

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La crise des marchés émergents a mis en lumière les faiblesses du système financier international tant du côté des débiteurs — au niveau de leurs politiques et de leurs institutions — que des créanciers, notamment pour ce qui est de la capacité et de la volonté des investisseurs d'évaluer les risques avec réalisme et de celles des autorités de contrôle d'assurer le suivi de leurs activités. Dans la communauté internationale, les raisons de ces crises, les moyens de les éviter ou de mieux les prévoir et les gérer ont fait l'objet d'analyses et de débats très poussés. Permettez-moi de tenter de vous décrire l'état d'avancement de cette réflexion et l'ampleur de la tâche qui reste à accomplir.

Mais d'abord, quelle sorte d'économie mondiale voulons-nous construire pour l'avenir? Un monde qui privilégie le libre jeu des forces du marché — libre échange et libre circulation des capitaux — que soutiendraient de solides systèmes financiers nationaux et une gestion saine des affaires publiques et des entreprises. Un monde où le secteur privé serait le principal moteur de l'investissement et de la croissance et où les investisseurs évalueraient les risques avec réalisme et opéreraient dans un cadre législatif et réglementaire bien défini, mais non oppressant (félicitons-nous d'ores et déjà du consensus qui existe sur ce point); un monde où la stabilité nationale et la stabilité mondiale seront fondées systématiquement sur une saine gestion macroéconomique. Je ne fais là que réaffirmer des idéaux familiers. Mais comment faire en sorte que ces qualités si souhaitables de notre nouvel ordre économique ne soient pas exposées en permanence aux risques de crise ou de contagion? Je crois que dans ce domaine il y a une valeur essentielle et une méthode fondamentale qui font l'unanimité.

  • La valeur essentielle, indispensable pour qu'il y ait le moindre progrès, c'est la transparence. La transparence est la règle d'or, le principe commun à la plupart des travaux sur la nouvelle architecture, l'expression d'un ensemble de relations matures entre participants au marché et pouvoirs publics.

  • La méthode fondamentale, c'est l'adoption de normes universellement acceptées dans un grand nombre de domaines afin de donner naissance à des marchés mondiaux véritablement modernes — et, j'oserai le dire, véritablement civilisés.

Mais pour que la transparence et les normes s'imposent progressivement, de gros efforts sont encore nécessaires sur de nombreux fronts : au sein des organisations internationales, au FMI en particulier, et dans tous les pays, y compris les marchés émergents, les pays en développement et les pays industrialisés de votre hémisphère.

Le FMI doit continuer simultanément à aider les pays à prévenir ou résoudre les crises et à jouer son rôle central dans la conception de la nouvelle architecture.

Nous devons bien entendu continuer à entretenir nos relations traditionnelles avec nos pays membres : la surveillance, ce dialogue de haut niveau sur la politique économique qui nous lie à chaque nation; l'aide financière, pour les pays confrontés à des difficultés de balance des paiements; l'assistance technique et la formation, pour aider les pays à se doter des capacités de gestion requises et à développer leur économie. Cette structure de base reste en place, mais son contenu se modifie et s'adapte, surtout à la lumière de la crise qu'ont traversée les marchés émergents d'Asie. Le FMI doit réagir plus vite, avec des programmes plus largement déployés, avec des ressources plus abondantes, et avec une collaboration plus large qu'auparavant.

En étroite coopération avec la Banque mondiale, nous avons redoublé d'efforts pour promouvoir la consolidation des secteurs financiers. À la suite de la crise mexicaine, le FMI a entrepris d'élargir le champ de sa surveillance, qui englobe désormais de façon systématique un bilan de santé du secteur financier. Les programmes que nous avons soutenus ces dernières années, notamment en Asie, en Russie et au Brésil, comprenaient tous un volet important de réforme du secteur financier. Nous nous sommes inspirés à cet égard des Principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace établis par le Comité de Bâle — et à l'élaboration desquels nous avions participé.

En ce qui concerne ces normes, auxquelles nous attachons tant de prix, la tâche à laquelle il faut maintenant s'atteler n'est pas mince : il faut les faire connaître, les faire appliquer et en assurer le suivi. Bien évidemment, nous devons nous attacher à diffuser les normes dont le FMI a l'initiative — diffusion des données; transparence des politiques budgétaire, monétaire et financière; et en collaboration avec d'autres organismes, normes applicables au secteur financier. Mais par ailleurs, si de nombreux organismes sont en train d'élaborer ou de mettre à jour leurs propres normes, ils auront besoin d'aide pour les diffuser. Le FMI sera invité à profiter des consultations qu'il tient régulièrement avec ses pays membres pour encourager l'adoption de normes et évaluer les progrès dans leur mise en application.

L'une des avenues prometteuses ouvertes par ces travaux, même si l'on est là à un stade expérimental, est l'établissement de rapports sur la transparence. Dans ce contexte, le FMI est appelé à faire le point avec les pays sur la conformité de leurs pratiques aux diverses normes qui sont en train d'être élaborées. Je suis heureux de dire que l'Amérique latine est une région qui, à cet égard, fait _uvre de pionnier : l'Argentine a été l'un des trois premiers pays, avec l'Australie et le Royaume-Uni, à préparer un rapport de cette nature, et j'encourage d'autres pays à suivre cet exemple.

Toujours dans le souci d'aider à prévenir les crises, le FMI a lancé une nouvelle initiative importante en créant la ligne de crédit de prévention (LCP) afin d'accorder des financements à titre de précaution aux pays dont l'économie est fondamentalement saine, mais qui sont menacéspar des effets de contagion en cas de crise. Ce nouveau guichet marque un tournant dans notre approche. La LCP est spécifiquement conçue pour aider les pays à prévenir plutôt qu'à guérir. Et l'un des critères importants sur lesquels on se fondera pour décider si un pays peut être admis à y recourir sera la mesure dans laquelle il respecte les normes reconnues au niveau international. Il est encore trop tôt pour identifier des pays, mais je n'ai guère de doutes qu'un certain nombre de candidats pourraient se trouver en Amérique latine.

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Voyons maintenant où en sont les pays de votre hémisphère, et dans quelle mesure les divers piliers de cette nouvelle architecture sont en place.

Les pays d'Amérique latine déploient depuis bien plus de dix ans des efforts résolus pour réformer leur économie, pratiquer une saine gestion économique et s'intégrer à l'économie mondiale. Ils ont redoublé d'efforts après la crise mexicaine de 1994-95. Les mesures adoptées pour renforcer les systèmes financiers ont pris diverses formes : renforcement de la supervision, mise en place de procédures d'évaluation des risques, de modalités de divulgation et de normes comptables améliorées; relèvement des normes de fonds propres; restructuration des actifs bancaires, privatisation des banques et ouverture de leur capital à des participations étrangères. Le Chili, l'Argentine, le Brésil, le Pérou et le Venezuela sont allés loin dans cette direction, et le Mexique s'est engagé récemment dans la même voie. En règle générale, lorsque la crise a frappé les pays de la région, au lieu de se réfugier derrière des barrières protectionnistes, ils se sont montrés résolus à réagir avec la plus grande fermeté.

Néanmoins, j'estime que l'on pourrait faire davantage : la libéralisation du commerce, la réforme des sociétés et l'efficacité du secteur public demandent des efforts constants. Et maintenant que les réformes commencent à produire leurs effets, quelques pays ont déjà entrepris d'aller au-delà des ratios prudentiels découlant des principes fondamentaux de Bâle. À mesure que le processus se poursuivra, comme le niveau d'engagement des banques de la région pourrait être plus grand que celui des banques internationales davantage diversifiées, les pays pourraient envisager de définir des normes régionales de solidité du secteur bancaire qui dépasseraient les minima internationaux. Y a-t-il un meilleur moyen pour la région de témoigner de sa vigueur?

Quelles seront les autres conséquences pour la région de la nouvelle architecture? J'espère que, à l'instar de tous les pays du monde, les pays d'Amérique latine vont montrer qu'ils sont résolus à gérer leur économie suivant les normes de transparence et de gouvernance les plus exigeantes. Pour ce faire, ils doivent aligner leur législation, leurs codes de conduite et leurs normes sur ceux qui sont acceptés au plan international — en matière de comptabilité, d'audit, de valeurs mobilières, d'assurance, de gestion de l'entreprise, de faillite et de systèmes de paiements et de règlements — et qui sont en cours de définition ou de révision. Dans le secteur public, la transparence est renforcée par trois codes que le FMI a conçus, ou qu'il est en traind'élaborer, de concert avec d'autres institutions. Il s'agit, en premier lieu, d'un code de diffusion des données destiné aux pays qui souhaitent mobiliser des fonds sur les marchés internationaux de capitaux; ce code est à présent pleinement opérationnel, et neuf pays des Amériques l'ont déjà adopté3. Le second, un code de transparence des finances publiques, qui est lui-aussi opérationnel, et le troisième, un code de transparence de la politique monétaire et financière auquel l'on met la dernière main devraient rendre la stratégie et l'action des autorités plus transparentes pour les participants aux marchés.

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Au Nord, je vois trois façons dont les pays industrialisés peuvent contribuer à asseoir cette nouvelle architecture sur des bases d'une solidité à toute épreuve.

  • Ils doivent donner l'exemple en appliquant les normes, nouvelles ou révisées, même si, évidemment, ils sont souvent, à beaucoup d'égards, déjà bien avancés dans cette voie. Par exemple, le projet de code sur la transparence des politiques monétaire et financière entraînera un changement profond de culture, changement qui, en fait a déjà commencé. Au lieu de s'appuyer sur une certaine «ambiguïté constructive» dans la conduite des politiques monétaire et financière, les banques centrales seront invitées à élaborer et à rendre publics les changements de politique dans un cadre transparent. Notre pays hôte, le Canada, est lui-même en première ligne dans ce domaine avec son cadre de politique monétaire. La fixation d'objectifs en matière d'inflation a rendu la conduite de sa politique plus transparente et l'application résolue de cette approche a été à l'origine d'une inflation faible et a grandement accru la crédibilité de la banque centrale.

  • Les autorités de réglementation et de surveillance et les participants au marché ont eux aussi un rôle à jouer. Les premiers groupes de travail du Forum sur la stabilité financière récemment créés par le G7 donneront des informations utiles sur le rôle dans l'instabilité financière des flux de capitaux à court terme des institutions financières à fort effet de levier et des centres financiers off shore. Autant de domaines auxquels les autorités de réglementation et de surveillance des pays industrialisés doivent accorder une attention particulière et le Canada a formulé des propositions fort intéressantes à cet égard. Cependant, les conclusions du forum auraient encore plus de poids si la participation àses délibérations dépassait le cadre du G7. En outre, les participants au marché devraient envisager de réviser et d'adapter leurs pratiques, notamment en revoyant de manière approfondie les modèles qu'ils utilisent pour évaluer les risques-pays.

  • Enfin, la demande d'assistance technique restera très forte pendant de nombreuses années encore, les marchés émergents et les pays en développement s'employant à renforcer leur système financier et à adopter les nouvelles normes. Les pays industrialisés constitueront un gisement important de compétences étant donné les ressources internes limitées de beaucoup d'organismes chargés d'établir les normes.

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Imaginez que tous ces efforts soient également développés dans l'ensemble du monde — ce qui avec des hauts et des bas est plus ou moins le cas. Vous conviendrez, je pense, que la communauté internationale est en train d'accomplir des progrès considérables, mais il reste beaucoup à faire. Permettez-moi de survoler avec vous les questions les plus urgentes ou les plus controversées.

Le premier domaine dans lequel des progrès s'imposent de toute urgence et où les secteurs public et privé doivent unir leurs efforts concerne leur rôle respectif dans la prévention et la résolution des crises. C'est la question la plus complexe dont nous ayons à débattre et, bien que l'on commence à y voir plus clair, il reste du travail à faire. L'objectif doit naturellement être de prévenir les crises. Le secteur privé peut y parvenir par une plus grande transparence et une meilleure gestion de ses affaires, en appliquant des normes acceptées au niveau international, en s'efforçant d'avoir des relations indépendantes avec l'État et, en ce qui concerne les institutions financières, en affinant l'évaluation, la gestion et la détermination du prix des risques. Dans ces conditions, si une crise se déclare, il devrait être possible de suivre une approche dynamique pour la résoudre. Nous avons beaucoup appris des diverses expériences de participation du secteur privé en Corée, en Thaïlande en Indonésie et au Brésil. Dans la poursuite de nos efforts, nous devrons donc réfléchir plus attentivement à d'autres initiatives pour faciliter une sortie ordonnée des crises lorsqu'elles se produisent. Cela devrait se traduire, à mon avis, par l'introduction de clauses d'action collective dans les contrats obligataires et, dans les cas extrêmes, la mise au point de dispositions appropriées permettant de suspendre les actions en justice afin de faciliter une sortie ordonnée de la crise.

Deuxièmement, rappelons-nous que les flux de capitaux ont joué un rôle crucial dans les avancées spectaculaires des dix dernières années, aussi bien que dans les crises. La communauté internationale s'est demandé s'il fallait élargir le mandat du FMI à la libéralisation des mouvements de capitaux et modifier ses compétences pour l'encourager à promouvoir ce processus. Cela peut se résumer à la question suivante : reconnaissant que le moment venu, la libéralisation des mouvements de capitaux est irréversible, sommes-nous prêts à accepter un processus anarchique, au coup par coup et potentiellement instable ou devons-nous essayer degérer ce processus de façon à consolider la stabilité économique et la croissance? À l'évidence, il est capital d'adopter une approche judicieuse et, avant de libéraliser complètement les mouvements de capitaux, s'assurer que les pays remplissent deux conditions: appliquer une politique économique saine et se doter d'un système financier robuste. Il est facile d'imaginer que nombre de pays ne rempliront pas ces conditions du jour au lendemain.

Le moment est donc maintenant venu de relancer la question de savoir s'il faut élargir la compétence du FMI à cet égard. Une certaine confiance a été rétablie sur les marchés mondiaux. On peut s'attendre à voir les flux de capitaux recommencer à augmenter et s'accompagner de nouvelles formes d'innovation. Plutôt que d'accepter le risque d'un retour à l'approche au coup par coup de ces dernières décennies, il est vital que les prochaines phases de l'intégration des marchés financiers mondiaux se déroulent dans un cadre bien structuré. Le rôle du FMI doit être à l'avenir d'aider les pays qui veulent avoir accès au marché des capitaux à le faire d'une façon qui renforce leur stabilité, leur sécurité économique, leurs investissements et leurs projets de développement.

Troisièmement, nous devons ajouter un pilier social à l'architecture financière internationale. Chaque pays doit clairement définir, dans son cadre de politique économique, des objectifs sociaux, appuyés le cas échéant par une assistance technique et financière extérieure. De même, la stabilité du système économique international exige d'intégrer à cette architecture un puissant pilier social. Les catastrophes qui ont frappé tant de pays d'Amérique centrale et des Caraïbes l'année dernière renforcent notre détermination à cet égard. La communauté internationale, avec en tête les Nations Unies et la Banque mondiale, s'attaque désormais ouvertement à cette question en définissant des principes et des codes de bonnes pratiques dont les pays pourront s'inspirer pour leur politique sociale.

Une quatrième question que nous examinerons avec attention dans les mois qui viennent est celle des régimes de change. Il est frappant de constater que les pays touchés par la crise ces deux dernières années appliquaient tous une forme quelconque de parité fixe ou de flottement rigoureusement dirigé. Nous devons nous demander si ces régimes sont défectueux en soi ou n'ont qu'une durée de validité limitée, qui correspond à certains stades de développement, à certaines périodes ou à certaines situations. On voit maintenant se dessiner, dans certains milieux du moins, une préférence pour des régimes proches de l'un ou l'autre des deux extrêmes que constituent le flottement libre, d'une part, et la caisse d'émission, d'autre part. Et l'Amérique latine ajoute une nouvelle dimension au débat avec l'idée de la dollarisation qui, sous sa forme extrême aboutirait à remplacer complètement et officiellement les monnaies nationales par une monnaie de réserve internationale. Mais le débat ne fait que commencer et l'on peut aussi rappeler l'événement historique que constitue la naissance de l'euro, qui offre un autre modèle : une approche régionale selon laquelle une monnaie unique pourrait être considérée comme l'objectif à long terme, le stade ultime d'un processus engagé pour parvenir à un degré élevé d'intégration économique entre un certain nombre de pays. Notons cependant que pour forger des liens économiques étroits, il n'est pas forcément nécessaire d'adopter une monnaiecommune. L'Accord de libre-échange nord-américain a renforcé l'intégration économique du Canada, du Mexique et des États-Unis, pays qui par ailleurs, continuent de laisser leurs monnaies flotter librement. Ce sont là quelques éléments parmi d'autres qui méritent d'être pris en considération dans cette réflexion qui peut tracer les contours de ce que sera l'intégration économique des Amériques à l'avenir. Quel que soit le régime adopté, ce sera en fin de compte la vigueur de la politique financière intérieure qui déterminera le succès de la politique de change.

Dans un domaine voisin, il me paraît de plus en plus indispensable d'affermir les liens et la volonté de coopération étroite entre les grands pays industrialisés, dans l'intérêt d'une croissance harmonieuse et de la stabilité monétaire internationale. Nous voyons se mettre en place un système tripolaire, avec notamment le lancement récent de l'euro. Or les résultats économiques des trois zones monétaires sont encore très disparates. Il est naturel que les préoccupations internes demeurent au premier plan dans le processus de décision de chaque pays, mais puisque les décisions d'une nation ont forcément des résonances dans le monde entier, il nous faut renforcer la coopération entre ces trois grandes zones monétaires car elles ne peuvent ignorer leurs responsabilités pour le maintien de la stabilité de l'ordre monétaire mondial.

Cinquièmement, nous devons redoubler d'efforts pour trouver le meilleur moyen d'intégrer dans l'économie mondialisée les pays en développement qui ne sont pas encore en mesure de tirer parti de la globalisation. Les obstacles sont énormes. L'une des priorités à l'heure actuelle doit être de renforcer l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et j'ai bon espoir qu'avec les nombreuses propositions avancées par la communauté internationale, y compris les propositions très constructives du Premier Ministre M. Chrétien, nous parviendrons bientôt à un accord sur une initiative renforcée qui permettra d'offrir un allégement de dette plus substantiel aux pays qui appliquent de vigoureux programmes d'ajustement et de réforme. Cependant, la mise en oeuvre de cette initiative ne lèvera que l'un des obstacles au développement dans un nombre limité de pays. De plus vastes efforts sont indispensables. Les pays industrialisés peuvent y contribuer en libéralisant leur commerce extérieur de façon à laisser entrer sur leurs marchés, pratiquement sans restriction, les exportations des pays les plus pauvres. Le moment est maintenant venu, et ce point est tout aussi important, pour les pays industrialisés de surmonter la «fatigue de l'aide» dont ils souffrent, à quelques notables exceptions près, depuis au moins dix ans et qui a fait tomber l'APD à son plus bas niveau par rapport au PIB depuis une génération. Toutefois, je défends moi aussi l'opinion que l'aide la plus généreuse doit aller à ceux qui sont prêts à s'aider eux mêmes en appliquant des réformes et des politiques économiques saines.

La dernière question a trait à la réforme institutionnelle du FMI et de ses organes directeurs.Depuis sa création, voici plus d'un demi-siècle, les activités du FMI sont officiellement régies par le Conseil des gouverneurs, qui compte maintenant 182 membres, un par pays. Les gouverneurs ont délégué au Conseil d'administration le soin d'expédier la plupartdes affaires courantes, sans pour autant lui donner le pouvoir politique de fonctionner sans la moindre supervision. Les Statuts ont été largement révisés dans les années 70 de manière à adapter les structures du FMI après l'effondrement du système de parités fixes de Bretton Woods. Les Statuts amendés prévoyaient la possibilité d'établir un collège de niveau ministériel, qui aurait charge de «surveiller la gestion et l'adaptation du système monétaire international...». Le consensus nécessaire pour établir un organe de décision officiel n'étant pas réuni, il fut convenu de créer à la place un «Comité intérimaire», qui remplit depuis lors un rôle consultatif. Nous nous trouvons là devant un paradoxe architectural troublant, puisque voilà des ministres qui donnent des conseils aux administrateurs qu'ils nomment, lesquels prennent les décisions. Ce devrait être le contraire.

Vingt-cinq ans ont passé, et à l'heure où nous nous efforçons de remédier aux défauts d'architecture mondiale, il serait fort judicieux de corriger cette anomalie institutionnelle. L'heure est venue, à mon avis, de traduire dans la réalité cette idée de l'établissement du Collège. Ce serait un geste essentiellement symbolique, mais néanmoins important qui démontrerait que, dans le système qui prend forme et où le FMI occupera une place centrale, sera appelé à faire davantage et s'intégrera plus étroitement dans un processus de décision qui influe de manière radicale sur la vie et les moyens d'existence de la plupart des habitants de la planète. Les gouvernements sont décidés enfin à prendre la pleine responsabilité des stratégies qu'il mène. En ce temps d'avancées constantes de la démocratie, les citoyens du monde entier pourraient ainsi mieux comprendre comment le FMI est dirigé et seraient assurés d'avoir une véritable représentation politique dans son administration. Curieusement, et à ma grande surprise, nous sommes encore loin d'un accord universel sur cette nécessité d'établir le Collège. Je crois qu'il s'agit d'une question à étudier très activement dans les mois qui viennent. Mais cela ne suffit pas.

Cette réforme symbolique devrait s'accompagner de mesures plus concrètes, de façon à ce que tous les pays se sentent véritablement représentés dans le processus de décision. Il serait bon aussi de modifier le mode de représentation des autres institutions (Banque mondiale, OMC et BIT en particulier), pour que les membres du Comité intérimaire, et ultérieurement du Collège, reçoivent tous les avis dont ils peuvent avoir besoin pour s'acquitter de responsabilités de plus en plus vastes.

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Voilà quelques-unes des questions qui se posent clairement à l'aube du XXIème siècle. Depuis deux ans, nous avons été mobilisés par la nécessité de résoudre les crises et de permettre aux pays de résister à la contagion. Par les mesures qu'ils ont prises, les pays d'Amérique, au Nord comme au Sud, ont montré au monde toute la valeur d'une politique économique forte et d'une réforme résolue des structures économiques. Pour rester en mesure de résister à la contagion, il sera crucial qu'ils continuent à faire preuve de souplesse et de promptitude à réagir dans l'élaboration de leur politique économique et à appliquer une stratégie de réformedynamique. Pour assurer l'avènement d'un ordre financier international plus sûr, propre à favoriser des progrès économiques plus durables, nous devons saisir l'occasion de faire avancer les réformes à plus long terme qui sont encore nécessaires et, par dessus tout, de permettre à un plus grand nombre de pays, y compris les pays en développement les plus pauvres, de partager les fruits de la mondialisation. La contribution du Canada, si présent et actif sur les nombreux fronts de la coopération internationale, qu'il s'agisse du traité bannissant l'usage des mines terrestres, du Tribunal pénal international, ou des activités de l'ACDI, peut être déterminante. Je suis convaincu que le monde peut compter sur vous pour favoriser des progrès nouveaux sur de multiples fronts. Vous témoignerez ainsi Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, de votre sens aigu de la responsabilité et de la solidarité internationale.


1Cette allocution a été prononcée pour partie en anglais et pour partie en français.
2Facilité d'ajustement structurel renforcée.
3La Norme spéciale de diffusion des données (NSDD) s'adresse aux pays qui souhaitent maintenir leur accès aux marchés internationaux de capitaux. Elle a été adoptée par 47 pays, dont 9 sur le continent américain : l'Argentine, le Canada, le Chili, la Colombie, El Salvador, l'Équateur, les États-Unis, le Mexique et le Pérou. Le Système général de diffusion des données (SGDD), moins contraignant, s'adresse aux pays qui n'ont pas souscrit à la NSDD et leur fournit un cadre en vue de l'amélioration de leurs statistiques et des conseils en vue de leur diffusion. Quarante-trois pays, dont 14 sur le continent américain, ont fait part de leur intérêt pour le SGDD.




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