Nous avons compris que nous ne serions pas à la fête lorsque les dirigeants du Groupe des vingt (G-20) ont demandé au FMI de leur exposer, à leur prochain sommet, en juin 2010, « ... les diverses options que les pays ont retenues ou envisagent pour faire en sorte que le secteur financier puisse prendre en charge une partie juste et substantielle du coût des interventions publiques pour la réfection du système bancaire.»
De nos jours, tout le monde a une opinion tranchée sur la taxation du secteur financier. Les contribuables qui ont réglé la facture du sauvetage du secteur financier au cours de la récente crise veulent récupérer leur mise, ou du moins ne pas se faire piéger à nouveau. Certains veulent qu’une plus grande partie des fonds qui irriguent le secteur financier servent les intérêts publics.
Les établissements financiers sont inquiets à l’idée de nouvelles taxes qui s’ajouteraient à la batterie de réformes de la réglementation qu’ils voient déjà se profiler. Et dans certains pays où le secteur financier a fort bien surmonté la crise, le gouvernement se demande pourquoi il devrait maintenant lui demander de l’argent. Nous avons dû prendre tous ces éléments en considération dans notre réponse aux dirigeants du G-20.
La semaine dernière, nous avons remis aux ministres des finances du G-20 un rapport d’étape centré sur la question qui nous avait été posée : comment faire payer le secteur financier pour le coût de l’intervention de l’État dont il bénéficie? Ce rapport est confidentiel, mais, — vous l’avez peut-être remarqué — il a déjà réussi à faire couler beaucoup d’encre. Permettez-moi donc de vous exposer notre point de vue.
Nous souhaitons examiner sereinement les sujets qui fâchent tant de monde. Les options que nous avons retenues jusqu’à présent — le rapport d’étape sera revu d’ici le sommet de juin — ne seront pas au goût de tout le monde (ou ne plairont peut-être à personne), mais peuvent, nous l’espérons, faire avancer le débat public qui s’annonce en proposant un cadre d’analyse économique et financière. Nous avons adopté en la matière une démarche prospective et non rétrospective. La réforme fiscale ne doit pas être mue par un esprit de revanche, mais par le souci de prévenir les crises futures et de s’y préparer.
Que faut-il faire?
Le but est de faire en sorte que les établissements financiers supportent le coût budgétaire direct que toute défaillance ou crise future imposera — et peut-être d’aller plus loin, compte tenu des conséquences économiques ruineuses de la défaillance des banques.
Nous devons aussi faire en sorte que ce genre de crise ait moins de chances de se reproduire et soit moins coûteux lorsque c’est le cas. Nous pensons qu’il y a deux sortes de taxes qui peuvent faire l’affaire.
Une «contribution à la stabilité financière» — Je viens enterrer César, pas le ressusciter
Si la crise a causé tant de dégâts et de désolation, c’est en partie parce que, bien souvent, les pouvoirs publics n’avaient pas les instruments nécessaires pour régler rapidement et de manière ordonnée le sort des établissements défaillants. Trop souvent, leurs deux seules options, aussi déplaisantes l’une que l’autre, étaient les suivantes : soit (1) laisser sombrer un établissement d’importance systémique et en subir les conséquences chaotiques, soit (2) y injecter suffisamment de fonds publics pour le maintenir à flot, confirmant ainsi ce que l’on soupçonnait déjà, à savoir qu’il y a des établissements qui sont effectivement trop importants pour qu’on les laisse faire naufrage. L’État n’avait aucun outil de «restructuration» — terme prenant une acception nouvelle pour bien des économistes — pour remédier aux défaillances des grands établissements financiers.
La «restructuration» signifie que les actionnaires sont lessivés, que l’équipe de direction saute et que les créances non garanties sont «ratiboisées» (dévaluées). La pilule est suffisamment amère pour que les propriétaires et les dirigeants des banques cherchent à réduire les effets pervers (causés par le fait qu’on prend des risques excessifs en pariant que quelqu’un d’autre en fera les frais si les choses tournent mal). Mais dans la plupart des pays, il n’y a pas de mécanismes de ce genre. Pour garantir la stabilité financière, il faut mettre en place ces garde-fous.
Alors pourquoi une contribution? La restructuration exige des liquidités, pour réduire l’incertitude des créanciers (et des créanciers des créanciers...) en donnant tout de suite quelque valeur à leurs créances. Et c’est aux banques de payer pour ça : cela fait ou devrait faire partie de leurs coûts d’exploitation, au même titre que leurs contributions aux fonds de garantie des dépôts ou que les frais d’entretien de leurs systèmes d’information. C’est ce que nous appelons une contribution à la stabilité financière (CSF).
Les établissements financiers prendraient vraiment en charge une part raisonnable des coûts de restructuration avant qu’une crise ne se produise, ainsi qu’une rallonge, si nécessaire après coup, sous forme de commissions (similaires aux cotisations de responsabilité pour la crise financière proposées aux États-Unis pour récupérer une partie des fonds publics).
Coût de la crise
Dans un premier temps, nous avons essayé de chiffrer le coût des aides publiques directes au secteur financier durant la récente crise. Résultat : jusqu’à présent, environ 2,7 % du PIB des pays avancés du G-20. Plus pour certains, moins pour d’autres — en particulier pour la plupart des pays émergents.
C’est une somme considérable, mais au cours de la crise, les risques étaient encore bien plus élevés : les garanties et autres engagements conditionnels représentaient en moyenne près de 25 % du PIB des pays avancés du G-20. Et cela n’inclut pas le coût budgétaire indirect de la récession et (dans une moindre mesure) des mesures de relance — qui provoque une envolée de l’endettement public et, ce qui est sans doute bien pire que tout, une perte de production cumulée d’environ 27 % du PIB.
La CSF serait au départ un simple prélèvement fonction de certaines variables du bilan (et éventuellement hors-bilan), mais serait ensuite affinée pour qu’il y ait une relation plus étroite avec la contribution de chacun des établissements au risque systémique — ce qui devrait les inciter à la réduire. Elle serait permanente (afin que ses effets bénéfiques perdurent, au moins jusqu’à ce que l’on estime que la réglementation a été suffisamment réformée pour résoudre le problème) et payable par tous les établissements financiers (parce qu’ils bénéficieront tous de la plus grande stabilité financière assurée par le mécanisme de restructuration).
La question de savoir si le produit de ces contributions doit être traité comme n’importe quelle autre recette fiscale ou versé à un fonds dédié est secondaire. En effet, l’incidence budgétaire est la même (à supposer bien sûr que l’existence ou non d’un fonds dédié n’affecte pas le reste des mesures publiques) : l’État a besoin d’émettre moins d’obligations, soit parce qu’il a plus de recettes fiscales, soit parce que le fonds dédié est un acheteur captif. Le principal argument en faveur d’un fonds dédié est que l’organisme chargé des restructurations disposerait immédiatement des ressources nécessaires.
Une «taxe sur les activités financières»
La TAF s’appliquerait à la somme des bénéfices et des rémunérations versées par les établissements financiers. Cela paraît simple, et au fond, ça l’est. Mais pourquoi imposer aux établissements financiers une taxe supplémentaire? C’est là, je le crains, que les choses se compliquent. Alors accrochez-vous.
La somme des bénéfices et de l’ensemble des rémunérations versées égale la valeur ajoutée. Par conséquent, une taxe de ce genre serait une sorte de taxe sur la valeur ajoutée ou TVA. Et cela ferait du sens, parce qu’à l’heure actuelle, la TVA ne fonctionne pas bien pour les services financiers, qui en sont pour une large part exemptés. Autrement dit, la TAF rapprocherait le traitement fiscal du secteur financier de celui des autres secteurs, ce qui freinerait la tendance du secteur financier à prendre, pour des raisons purement fiscales, trop d’étendue — ou de poids.
Supposons maintenant que la taxe ne frappe la rémunération qu’au-delà d’un seuil élevé et les bénéfices seulement à partir d’un taux de rendement «normal». L’assiette de la TAF ne serait dès lors pas une mauvaise approximation pour taxer les «rentes» — rendements dépassant le niveau concurrentiel — engrangées par le secteur. Certains pourraient penser qu’il est juste de taxer ces excédents.
Autre possibilité : ne taxer les bénéfices qu’à partir d’un seuil bien supérieur à la normale. Le fait de taxer ces rendements élevés en période faste pourrait permettre de corriger la tendance à prendre des risques excessifs des établissements financiers qui n’attachent pas suffisamment de poids aux résultats en période de vaches maigres (soit parce que leurs engagements sont limités, soit parce qu’ils se jugent trop importants pour qu’on les laisse faire faillite).
Quid d’une taxe sur les transactions financières?
Nous avons aussi envisagé la possibilité d’une taxe générale sur les transactions financières (TTF) — les derniers mois ne nous ont laissé aucun doute sur la faveur dont cette option jouit dans l’opinion publique. Il s’agirait d’une taxe exigible chaque fois qu’une action, une obligation ou tout autre instrument financier est acheté ou vendu ou que des devises sont achetées ou vendues.
Nos travaux ne sont pas achevés — il s’agit, rappelons-le, d’un rapport d’étape — mais si certaines formes de TFF sont sans doute viables (la plupart des pays du G-20 taxent déjà certaines transactions financières), nous ne pensons pas que ce soit le meilleur moyen d’atteindre le double objectif décrit plus haut. Une TTF ne vise pas à réduire le risque systémique et ne permet pas de taxer efficacement les rentes du secteur financier — la charge risque fort d’être répercutée sur le consommateur ordinaire.
En outre, les entreprises de services financiers sont très fortes pour inventer des moyens de circonvenir de genre de taxe (ce qui vaut aussi, il faut l’admettre, pour la CSF ou la TAF, mais dans une moindre mesure, à notre avis).
On peut se représenter la TAF comme une sorte de TVA et la TTF comme une taxe sur le chiffre d’affaires — et la plupart des pays se sont rendus compte depuis longtemps que la TVA rapporte plus; qu’elle est plus efficiente, dans le jargon des spécialistes. Mais cela ne signifie pas que la TTF est à exclure dans d’autres contextes — ce n’est simplement pas le moyen adapté à la fin recherchée.
Faut-il que tout le monde s’y mette?
Plusieurs pays qui n’ont pas eu à injecter des masses de ressources dans leurs établissements financiers ont une réticence naturelle à leur imposer des charges supplémentaires. Dans le même temps, les établissements financiers savent si bien jouer des arbitrages fiscaux et réglementaires que les pays qui veulent passer à l’action craignent de se faire couper l’herbe sous le pied par ceux qui s’y refusent.
Mais ce dilemme n’est pas si grave qu’il y paraît. S’il y a une leçon à tirer de l’histoire financière, c’est que nul ne doit s’imaginer qu’il est à l’abri des défaillances et des crises. De plus, si la CSF est convenablement modulée en fonction des risques, les pays dont le système financier est plus sûr auront simplement une contribution plus faible à verser. Et surtout, nous ne voulons à aucun prix réprimer ou étouffer le secteur financier en lui imposant une charge trop lourde; comme la chaîne alimentaire, il est trop vital pour la croissance économique.
Étapes suivantes
Ce que nous avons remis aux ministres du G-20 était un rapport d’étape et nous allons poursuivre nos travaux à la lumière des observations qu’ils ont formulées vendredi dernier. Nous resterons aussi à l’écoute des autres parties intéressées. L’un des aspects de notre travail qui a déjà été amplement souligné est que les initiatives sur le plan fiscal doivent être coordonnées avec d’autres sur le plan réglementaire — et nous avons donc des masses de calculs à affiner et bien des obstacles à surmonter. Nous espérons toutefois contribuer au débat sur ce qui compte vraiment, au bout du compte : comment réduire les risques et le coût de futures crises financières.