2020 fut une année d’extrêmes. Les voyages ont cessé pendant un certain temps. Les cours du pétrole ont connu de très fortes fluctuations. Le commerce des produits médicaux a atteint de nouveaux sommets. Les dépenses des ménages se sont orientées vers les biens de consommation au lieu des services et l’épargne a explosé, les gens restant chez eux dans un contexte de fermetures mondiales.
D’exceptionnelles mesures de soutien ont permis d’éviter une dépression économique mondiale, même si la pandémie a taxé lourdement les vies et les moyens de subsistance. La réaction mondiale, sous forme de grands changements dans les voyages, la consommation et le commerce, a également creusé les déséquilibres économiques dans le monde, comme en témoignent les soldes des transactions courantes, c’est-à-dire les transactions d’un pays avec le reste du monde.
Dans notre dernier Rapport sur le secteur extérieur, nous avons constaté que la réaction mondiale à la pandémie a encore augmenté les soldes mondiaux des transactions courantes (la somme des déficits et des excédents absolus de tous les pays), qui sont passés de 2,8 % du PIB mondial en 2019 à 3,2 % du PIB en 2020. Ces soldes devraient encore se creuser pendant que la pandémie continue de sévir dans une grande partie du monde.
Sans la crise, les soldes mondiaux des transactions courantes auraient continué à diminuer. Si les déficits et excédents extérieurs ne sont pas nécessairement préoccupants, des déséquilibres excessifs, supérieurs à ce que justifieraient les données fondamentales de l’économie et des politiques économiques appropriées, peuvent avoir des effets déstabilisants sur les pays en alimentant les tensions commerciales et en augmentant la probabilité d’ajustements perturbateurs des prix des actifs.
Une année sans précédent
Les fluctuations spectaculaires des déficits et des excédents des transactions courantes en 2020 sont attribuables à quatre grandes tendances alimentées par la pandémie :
- Les voyages ont diminué : La pandémie a entraîné une forte baisse du tourisme et des voyages, exerçant ainsi un impact négatif considérable sur les soldes des transactions courantes des pays qui comptent sur les revenus du tourisme comme l’Espagne, la Thaïlande et la Turquie, et entraînant des conséquences encore plus graves pour les petits pays qui dépendent du tourisme.
- La demande de pétrole s’est effondrée : La chute de la demande de pétrole et des prix de l’énergie s’est avérée relativement courte, les cours du pétrole ayant remonté au second semestre de 2020. Cependant, les pays exportateurs de pétrole, comme l’Arabie saoudite et la Russie, ont vu leur solde des transactions courantes diminuer fortement en 2020. Dans les pays importateurs de pétrole, la balance commerciale pétrolière a augmenté en conséquence.
- Le commerce des produits médicaux a explosé : La demande a bondi d’environ 30 % pour les fournitures médicales essentielles à la lutte contre la pandémie, comme les équipements de protection individuelle et les intrants et matériaux nécessaires à leur fabrication, avec des répercussions sur les importateurs et les exportateurs de ces biens.
- La consommation des ménages a changé : Les gens étant contraints de rester chez eux, les ménages ont remplacé leur consommation de services par des achats de biens de consommation. Ce changement s’est surtout manifesté dans les pays avancés, où l’achat de biens durables, tels que les appareils électriques utilisés pour permettre le télétravail et l’apprentissage en ligne, a augmenté.
Tous ces facteurs ont contribué à une plus forte augmentation du déficit des transactions courantes dans certains pays, qui ont acheté plus qu’ils n’ont vendu, ou à un plus grand excédent de transactions courantes, quand ils ont vendu plus qu’ils n’ont acheté. Une situation financière mondiale favorable, bénéficiant d’un soutien sans précédent de la politique monétaire des grandes banques centrales, a permis aux pays de financer plus facilement de gros déficits de transactions courantes. À l’inverse, lors des crises précédentes pendant lesquelles les conditions financières s’étaient fortement durcies, il était plus difficile de financer des déficits de transactions courantes, ce qui a plongé des pays dans la récession.
En plus de ces facteurs externes, la pandémie a donné lieu à des emprunts publics massifs pour financer les soins de santé et procurer un soutien économique aux ménages et aux entreprises, ce qui a entraîné d’importances conséquences inégales sur les balances commerciales.
Les perspectives
Les soldes mondiaux des transactions courantes devraient encore augmenter en 2021, mais cette tendance ne devrait pas durer. Les dernières prévisions des services du FMI indiquent que ces soldes diminueront dans les années à venir, à mesure que l’excédent de la Chine et le déficit des États-Unis baisseront, pour atteindre 2,5 % du PIB mondial d’ici 2026.
La réduction des soldes pourrait être retardée si de grands pays déficitaires, comme les États-Unis, entreprennent une nouvelle expansion budgétaire ou si le rééquilibrage des finances publiques est plus rapide que prévu dans les pays dont les transactions courantes sont excédentaires, comme l’Allemagne. Une résurgence de la pandémie et un durcissement de la situation financière mondiale qui perturberaient les flux de capitaux vers les pays émergents et les pays en développement pourraient également exercer une influence sur les soldes.
Malgré le choc de la crise et peut-être en raison de son impact mondial, les déficits et les excédents excessifs de transactions courantes sont restés globalement inchangés en 2020, représentant environ 1,2 % du PIB mondial. La plupart des facteurs de déséquilibre extérieur excessif sont antérieurs à la pandémie et comprennent des déséquilibres budgétaires ainsi que des distorsions structurelles et de compétitivité.
Rééquilibrer l’économie mondiale
Mettre fin à la pandémie pour tous les habitants de la planète est le seul moyen d’assurer une reprise économique mondiale qui empêche les divergences de se creuser davantage. Un effort mondial sera nécessaire pour aider les pays à assurer le financement des vaccinations et la préservation des soins de santé.
Une poussée synchronisée des investissement ou des dépenses de santé à l’échelle mondiale pour mettre fin à la pandémie et soutenir la reprise pourrait avoir des effets considérables sur la croissance mondiale, sans augmenter les soldes mondiaux.
Les États devraient s’efforcer de réduire les tensions commerciales et technologiques, et de moderniser la fiscalité internationale. L’élimination progressive des barrières tarifaires et non tarifaires, surtout pour les produits médicaux, devrait être une première priorité.
Les pays dont le solde des transactions courantes est très déficitaire devraient, lorsqu’approprié, réduire leurs déficits budgétaires à moyen terme et entreprendre des réformes visant à accroître leur compétitivité, notamment dans les politiques d’éducation et d’innovation. Dans les pays dont le solde des transactions courantes est très excédentaire et qui disposent encore d’espace budgétaire, les politiques économiques devraient soutenir la reprise et la croissance à moyen terme, notamment en augmentant les investissements publics.
Dans les années à venir, les pays devront procéder à un rééquilibrage simultané, tout en veillant à ce que la reprise repose sur des bases solides et durables.
*****
Martin Kaufman est sous-directeur au département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI, dont il dirige les travaux sur les questions liées au secteur extérieur, notamment le commerce, les flux de capitaux et les taux de change. Il travaillait auparavant au département Hémisphère occidental, où il était chef de mission pour le Brésil et le Mexique.
Daniel Leigh est chef de division au département des études du FMI. À ce titre, il dirige la division qui établit le Rapport sur le secteur extérieur, que publie l’institution. Au FMI, il a auparavant été chef de de division adjoint pour l’Amérique du Nord au sein du département Hémisphère occidental, chef de mission pour le Belize et le Suriname, et chef de division adjoint de la division du département des études qui produit les Perspectives de l’économie mondiale. Il a rédigé plusieurs articles et chapitres d’ouvrages consacrés à la macroéconomie internationale, en mettant l’accent sur la politique budgétaire et monétaire et l’établissement de prévisions. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’université Johns Hopkins et d’une maîtrise en économie de la London School of Economics.