Réduction de la pauvreté et croissance un agenda pour l’Afrique à l’aube du troisième millénaire -- Allocution prononcée par M. Michel Camdessus, Directeur général du Fonds monétaire international

le 18 janvier 2000

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Allocution prononcée par Michel Camdessus,
Directeur général du Fonds monétaire international
à l'ouverture de la Conférence au sommet des chefs d'État africains1
à Libreville, le 18 janvier 2000

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Monsieur le Président El Hadj Omar Bongo,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

C'est pour moi un privilège de me trouver à vos côtés aujourd'hui alors que vous ouvrez cette Conférence à laquelle vous nous avez conviés, pour réfléchir avec vous à un agenda pour l'Afrique à l'aube du troisième millénaire. La présence à Libreville de tant de dirigeants du plus haut niveau lance un signal fort. Elle indique au monde que l'Afrique est prête pour une nouvelle renaissance, et que le développement du continent—un développement centré sur l'amélioration du sort des plus pauvres d'entre les pauvres—est au coeur des préoccupations de tous les Africains. Permettez-moi donc de vous exprimer ma profonde gratitude, Monsieur le Président, et de remercier à travers vous le gouvernement et le peuple gabonais, pour avoir rendu cette conférence possible et nous avoir réservé un accueil aussi chaleureux bien dans vos traditions. Cette conférence revêt pour moi une importance toute particulière, puisqu'elle m'offre non seulement une chance de réfléchir avec vous une dernière fois à cette mission qui me tient tellement à coeur, mais aussi de m'assurer que les trois nouveaux instruments que nous avons créés à votre demande, répondent bien aux besoins de l'Afrique, qu'ils pourront s'adapter aux situations propres à chaque pays, et qu'ils vont être mis en oeuvre aussi vite que possible pour aider ce continent à saisir les chances de ce temps.

Au seuil de ce nouveau millénaire, l'occasion est là de relancer le combat pour le développement de l'Afrique. Les pays africains ont la possibilité de prendre, sous votre direction à tous, l'initiative non seulement de consolider les acquis de la dernière décennie, mais d'aller bien au-delà.

Vous savez tous comment et pourquoi, après l'euphorie des indépendances, l'Afrique s'est trouvée prise dans un cercle vicieux et semblait vouée à une inexorable pauvreté.

Mais la dernière décennie a vu de nombreux pays prendre résolument en main leur destinée, et ces efforts commencent à porter leurs fruits. Des mesures difficiles—et souvent douloureuses—ont été prises. Une première génération de réformes a mobilisé les forces du marché au service du développement : je pense à la libéralisation du commerce et des changes, à l'amélioration des incitations économiques par le démantèlement progressif des systèmes des contrôle des prix et de subventions, à la réforme des entreprises publiques et à la consolidation des systèmes financiers. Aujourd'hui l'effet de ces mesures courageuses est visible à travers le continent : l'inflation recule, les positions extérieures se redressent et surtout, le revenu des Africains recommence à augmenter. Vingt ans de tendances négatives ont été renversées. Les conditions d'une nouvelle renaissance sont réunies.

Mais nul mieux que vous n'est conscient du chemin qui reste à parcourir. Les conditions de vie de millions d'Africains ne se sont guère améliorées en l'espace de trente ans. Pour beaucoup, elles se sont même dégradées. Les progrès accomplis ces dix dernières années n'ont pas suffi à améliorer le sort des plus démunis, et nombre de pays continuent de manquer des ressources indispensables pour faire véritablement reculer la pauvreté.

Il faut donc faire plus, beaucoup plus! Il est temps que l'Afrique trouve une sortie à ce marasme pour s'engager, au contraire, dans un cercle vertueux de recul de la pauvreté, de croissance durable de haute qualité et de progrès social. Mais ce bond en avant demande plus que de la stabilité, plus que des institutions saines, plus même que des politiques de croissance. Il n'est possible que si tous les segments de la société, et en particulier les groupes les plus pauvres, sont partis au débat pour lancer cette nouvelle croissance et en bénéficier.

J'ai la conviction que nous avons aujourd'hui dans une conjoncture mondiale améliorée, une chance unique d'agir dans ce sens. À condition, toutefois, que nous tous—responsables africains, FMI et Banque mondiale, organisations multilatérales, communauté internationale—agissions tous ensemble pour tirer les leçons des succès et des échecs qui ont marqué ces dernières décennies et que nous soyons prêts à tenir les engagements qui ont été pris, dans le domaine du développement, par les conférences internationales qui se sont succédé, et où le monde entier a réaffirmé sa volonté de lutter contre la pauvreté en s'attachant, en particulier, à cet engagement central pris à Copenhague, par le Nord et le Sud ensemble, de réduire de moitié, d'ici 2015, la proportion de la population mondiale en situation de pauvreté absolue. Pour cela, chacun d'entre nous a un rôle à jouer. Soyez sûrs que nous-mêmes, institutions de Bretton Woods, sommes décidés à prendre toutes nos responsabilités. Vous nous avez rappelé quelles sont vos priorités : la pauvreté, la dette et la croissance. C'est notre réponse que je suis venu vous apporter aujourd'hui.

Mais vous nous avez rappelé aussi que c'est d'abord aux Africains eux-mêmes qu'il incombe de lutter contre la pauvreté, et que ce sont vos pays qui doivent être à l'avant-garde dans ce combat :

    · en définissant vos priorités et vos stratégies;

    · en y associant la société civile;

    · en favorisant l'initiative privée;

    · en lui offrant un environnement propice aux investissements, pour accroître ainsi le potentiel productif des économies africaines;

    · en invitant la communauté internationale—et bien sûr le FMI et la Banque mondiale—à vous apporter, si vous le souhaitez, leurs conseils de politique économique, leur assistance technique et financière et leur contribution à d'ambitieuses opérations d'allégement de la dette;

    · en menant de pair une action inlassable pour la paix, car, s'il est vrai, comme une voix éminente l'a proclamé que le développement est l'autre nom de la paix, nous constatons aussi tous les jours que la paix est l'autre nom du développement.

Que faut-il faire pour que tout ceci devienne réalité? Eh bien il s'agit maintenant de passer aux actes après la phase de réflexion de ces derniers mois. Nous nous sommes efforcés hier, avec les ministres présents à Libreville, d'en dresser un premier bilan. Les questions clés sont bien formulées par le document préparé par les ministres. Quel type de stratégie chaque pays doit-il adopter pour accélérer la croissance et faire reculer la pauvreté? Comment assurer au mieux la participation de la «société civile» et, d'abord, qu'entendons-nous exactement par là? Que peut faire le FMI, enfin, dans le cadre de sa nouvelle facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance? Les discussions que nous avons eues récemment au sein des conseils d'administration de la Banque mondiale et du FMI nous ont permis d'accomplir des avancées majeures sur ces différents points. Mais le débat n'est pas clos, et j'espère que nous pourrons bénéficier, durant cette conférence, de vos conseils sur la meilleure façon pour nous de soutenir votre action pour éradiquer la pauvreté.

Permettez-moi simplement de prendre acte des grandes lignes du consensus qui se dégage, à ce stade, pour une nouvelle approche; certains points semblent aller de soi :

    · La lutte contre la pauvreté est prioritaire pour vous tous et chaque pays doit conduire sa propre stratégie associant dans cette tâche l'ensemble des partenaires engagés dans l'effort de développement.

    · Ces stratégies doivent placer la lutte contre la pauvreté au coeur de la politique économique, tout en réaffirmant la nécessité d'assurer une croissance rapide «tirée» par le secteur privé.

    · Comme les causes de la pauvreté sont complexes, les stratégies pour y remédier doivent s'adapter à cette diversité et s'appuyer sur une analyse approfondie des tenants et des aboutissants de cette pauvreté.

    · Il nous faut déclencher et intensifier cette dynamique circulaire qui mène de la stabilité monétaire au renforcement des équilibres macroéconomiques à la réduction de la pauvreté et des inégalités, et de ces dernières à une stabilité accrue, et ainsi de suite.

    · Transparence et bonne gouvernance seront la clé du succès et de l'accroissement des apports financiers extérieurs publics et privés.

    · Nous ne devons ménager aucun effort pour que la série d'engagements pris par l'ensemble de la communauté internationale—Nord et Sud ensemble—à Copenhague et à l'occasion d'autres conférences sur le développement soient tenus avant les échéances de 2005 et 2015 qui ont été retenues. Comme souvenir de notre rencontre et de nos échanges vous trouverez un petit mémento de ces engagements2 qui lient tous et qui sont la clé d'un avenir meilleur pour nos enfants.

* * * * *

Que va faire le FMI de concert avec la Banque mondiale et les autres institutions?

Eh bien, je suis venu vous dire que nous sommes prêts à nous associer à vos stratégies de lutte contre la pauvreté. Pour cela, la Banque et le FMI s'emploient à renforcer leur collaboration pour mettre en commun leurs points forts. Vos stratégies seront la base de tous nos propres prêts concessionnels.

Dans le cas du FMI, et particulièrement pour les pays PTE, nous utiliserons la nouvelle facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC). Cette facilité représente une profonde réorientation de nos objectifs et de nos méthodes; la lutte contre la pauvreté, la réduction de la dette, la croissance et de la stabilité en seront les objectifs centraux. Notre mission fondamentale reste bien sûr inchangée : promouvoir une gestion macroéconomique prudente et des réformes axées sur le marché. Mais ces orientations seront intégrées dans un cadre d'action plus large, défini en fonction de vos propres choix et feront appel aux compétences des autres principaux partenaires, en particulier de la Banque mondiale et de la Banque africaine de Développement. L'expérience singulière de cette dernière, en particulier dans sa dimension régionale, sera précieuse, tout comme, cela va sans dire, celles des autres institutions des Nations unies qui partagent la même vision du développement humain, aux côtés de l'OUA.

Tout ceci va presque de soi. Mais alors que nous avançons dans cette voie, il se pose encore un certain nombre de questions. En fait, le document que vos ministres ont préparé pour la présente conférence recense bon nombre de ces questions et je me réjouis d'avoir l'occasion d'en débattre ici avec vous. Permettez-moi d'en citer quelques-unes.

    · Nous devons chercher tous ensemble à mieux comprendre les liens entre la croissance, la réduction de la pauvreté, le cadre macroéconomique et les institutions économiques et sociales.

    · La participation de la société civile est essentielle : il faut que la population s'approprie les grands choix économiques. Évidemment, ça ne va pas sans soulever beaucoup de questions. Comment un tel processus peut-il être efficace dans des pays où la société civile—en particulier dans ses segments les plus pauvres—n'est pas encore bien organisée, ou dans des pays où la démocratie est seulement en train d'établir son assise? Comment pouvons nous faire en sorte que ce processus renforce les capacités des gouvernements et des institutions élues? Cette approche sera-t-elle trop coûteuse pour les pays dont les capacités administratives sont limitées? Comment pouvons-nous assurer que le processus consultatif ne retarde pas excessivement la mobilisation d'une aide extérieure ô combien nécessaire?

    · Comment pouvons nous faire en sorte que les gouvernements qui ont à élaborer une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté reçoivent un apport suffisant d'aide extérieure? Comment le faire sans étouffer l'effort national, mais sans non plus donner l'impression aux autorités du pays que les institutions multilatérales ne s'impliquent pas puissamment dans le processus?

    · Quels mécanismes faut-il mettre en place pour reconnaître et promouvoir le rôle du secteur privé, intérieur et étranger, en tant que source d'investissement essentielle pour la croissance future et donc en tant que participant essentiel au processus?

    · Quelles modifications des mécanismes internationaux de coordination de l'aide pouvons-nous recommander à la communauté internationale des donateurs?

Enfin, permettez-moi de quitter un instant les sphères économiques et sociales pour aborder une question de la plus haute importance—la recherche de la paix, la fin des conflits qui déchirent tant de pays de ce continent. En tant que dirigeant d'une organisation internationale dont le domaine de compétence est l'économie, si je pense pouvoir m'engager sur ce terrain, c'est parce que les conflits ont des causes économiques et des effets économiques.

En fin de compte, la solution doit venir des pays eux-mêmes, comme l'a bien dit le Président Blaise Compaoré à l'ouverture du 34e Sommet de l'OUA: «Les Africains eux-mêmes sont les premiers responsables de la sécurité et de la paix. Aucun mécanisme ne saurait être viable s'il est imposé de l'extérieur. La paix doit être le fruit d'une dynamique interne, sans quoi il n'y aura pas de paix.» C'est pourquoi il est si encourageant d'entendre parler de la récente initiative de paix en Afrique orientale et centrale, ainsi que des progrès accomplis en Sierra Leone. Et c'est pourquoi aussi je souscris aux efforts déployés par de nombreux pays pour réduire ou contenir leurs dépenses militaires et j'encourage les autres à suivre leur exemple. Mais le reste du monde a un rôle à jouer ici aussi; il peut appuyer vos efforts, en restreignant les ventes et le financement de matériel militaire et d'armes légères, et en participant aux actions internationales qui visent à interdire la contrebande de matières premières et de ressources naturelles aux fins du financement de conflits armés. Mais je pense surtout que la «dynamique interne» pour la paix et le développement repose aussi sur des progrès rapides et convaincants dans la réduction de la pauvreté; ils atténueront les tensions à l'origine de tant de conflits. Unissons nos efforts pour y parvenir.

* * * * *

Monsieur le Président Bongo,
Excellences, Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi un instant de réflexion personnelle, fondée sur mes nombreuses années d'association à votre continent, au FMI et dans mon pays. Je perçois aujourd'hui en Afrique un renouveau d'espoir dans l'avenir, nourri de pragmatisme. Vos pays viennent de vivre vingt ou trente années exceptionnellement difficiles. Mais cette expérience a renforcé la détermination et la capacité de l'Afrique à chercher des solutions à ses propres problèmes. Votre présence aujourd'hui démontre votre détermination à trouver des solutions africaines dans un partenariat avec le reste du monde pour le développement. Au cours des vingt dernières années, le FMI est devenu de mieux en mieux équipé pour répondre aux besoins spécifiques de l'Afrique et la nouvelle FRPC constitue un nouveau pas important dans cette direction.

Les stratégies et les partenariats que nous examinerons au cours de cette conférence m'inspirent confiance et optimisme. Oui nous pouvons accomplir des progrès substantiels dans cette tâche monumentale qui est de réduire la pauvreté et d'engager l'Afrique sur la voie de la croissance et de la prospérité. Oui nous pouvons, oui, nous devons trouver les moyens de tenir nos engagements. Oui nous devons répondre à cette demande de tant de gens simples à travers le monde que le Président Mandela rappelait le 1er janvier dans une, admirable déclaration, je cite : «une chance de vivre une vie décente, d'avoir un toit et de quoi manger pour leurs enfants, une chance de pouvoir leur donner une bonne éducation, de pouvoir vivre dignement et d'avoir accès aux soins de santé nécessaires et à un emploi rémunérateur».

Monsieur le Président, les chances d'une nouvelle renaissance de l'Afrique sont réunies. Nous sommes à votre disposition pour en faire avec vous une réalité pour les peuples d'Afrique. Je vous remercie.


1Une partie de l'allocution a été prononcée en français et l'autre partie en anglais.

2Voir pièce jointe.


PIÈCE JOINTE

Engagements internationaux clés pour un développement durable:

Lutte contre la pauvreté extrême
Réduire de moitié au moins le nombre des habitants des pays en développement vivant dans la misère, d'ici 2015. (Copenhague)

Instruction primaire universelle
Assurer l'instruction primaire universelle, dans tous les pays, d'ici 2015. (Jomtien, Copenhague, Pékin)

Égalité des sexes
Faire progresser l'égalité des sexes et la promotion de la femme en supprimant, d'ici 2005, la disparité entre garçons et filles dans l'enseignement primaire et secondaire. (Le Caire, Copenhague, Pékin,)

Mortalité infantile
Réduire des deux tiers par rapport au niveau de 1990 la mortalité à la naissance et celle des enfants de moins de cinq ans dans chaque pays en développement, d'ici 2015. (Le Caire)

Mortalité maternelle
Réduire des trois quarts la mortalité maternelle entre 1990 et 2014. (Le Caire, Pékin)

Lutte contre la faim
Réduire de moitié le nombre des personnes souffrant de malnutrition par rapport au niveau actuel, d'ici 2015. (Rome)

Hygiène reproductive
Assurer l'accès aux services d'hygiène reproductive, par l'intermédiaire du système de santé primaire, à tous les individus en âge de se reproduire, à l'horizon 2015. (Le Caire)

Environnement
Mettre en place d'ici 2005 une stratégie nationale de développement durable dans tous les pays, de manière à inverser d'ici 2015 la tendance à la destruction des ressources écologiques, au plan national et au plan mondial. (Rio de Janeiro)





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