La volonté d’une prospérité partagée : le prochain chapitre de l’unité en Europe

le 14 février 2019

Introduction

Bonsoir — Guten Abend !

Merci M. Waigel pour vos aimables paroles, et merci à tous les membres du comité de la conférence européenne pour votre invitation. C’est un honneur d’être parmi vous ce soir.

Je m’en voudrais de ne pas vous souhaiter une joyeuse Saint-Valentin. Et quoi de plus romantique qu’une soirée passée à débattre des bienfaits de la convergence économique ? C’est en effet ce dont je vais vous parler ce soir.

Nous avons également un autre événement à fêter aujourd’hui. Comme vous le savez, nous commémorons en 2019 le trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. J’ai une question à vous poser à ce propos : la chute du Mur fut-elle un commencement, une fin, ou un milieu ? Réfléchissez-y.

Qu’est-ce qu’un commencement ? Les commencements débordent d’optimisme et portent la promesse de nouvelles réalisations. Dans ces moments, rien n’est plus fort que la volonté de construire un avenir meilleur. Cela correspond certainement à l’esprit qui régnait lorsque le Mur est tombé.

Qu’est-ce qu’une fin ? C’est le moment où, si tout va bien, le travail porte ses fruits. C’est le moment où les idées deviennent réalité. Voilà qui semble également décrire la chute du Mur de Berlin.

Mais qu’en est-il du milieu ? Le milieu est le moment de l’effort, du labeur et du sacrifice. Il nécessite de trouver un terrain d’entente là où cela semble impossible. Il me semble que cela décrirait également assez bien la signification de la chute du Mur pour l’Europe et pour le monde.

Gardez donc ma question à l’esprit ce soir — et quand j’en viendrai à la conclusion, j’espère que nous saurons comment y répondre.

Permettez-moi de commencer par le thème de la conférence de cette année — « L’Europe fonctionne » — parce qu’en dépit de difficultés bien connues, l’Europe a fonctionné, et plutôt bien. Il est important de reconnaître ce succès. L’histoire est importante. On ne plante pas de fleurs coupées.

Je me pencherai ensuite sur le prochain chapitre de l’aventure européenne. Les défis que l’Union européenne doit relever aujourd’hui requièrent un engagement sans faille en faveur de l’esprit de multilatéralisme et d’unité qui a présidé à sa création. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine qui m’intéresse : la relance de la convergence économique.

I. La réussite économique et politique de l’Union européenne

Commençons par un bref rappel historique. Nous sommes en 1949. L’économie européenne tente désespérément de se relever après la guerre. Des millions de personnes restent sans emploi. Des centaines de milliers de réfugiés se languissent dans des camps abritant les personnes déplacées. Ici à Munich, de nombreuses rues sont encore jonchées de décombres et de ruines.

Soixante-dix ans plus tard, l’Union européenne, forte de plus d’un demi-milliard de citoyens, constitue la deuxième économie mondiale. Elle est également le premier bloc commercial au monde. Si l’on inclut les pays avec lesquels l’Union a conclu des accords de libre-échange, dont les nouveaux accords signés avec le Canada et le Japon, ce bloc commercial représente aujourd’hui plus d’un tiers du PIB mondial.

Demain, cette ville accueillera des dirigeants du monde entier qui se réuniront pour coopérer sur les questions de sécurité internationale.

Si nous sommes parvenus jusqu’ici, c’est grâce au courage et à la créativité.

La promesse de l’Union européenne a toujours été tant économique que politique. Ses fondateurs étaient convaincus que la libre circulation des biens, des services, des investissements et des travailleurs déboucherait sur une économie interconnectée, gage de paix et d’une prospérité bénéficiant au plus grand nombre.

Cette promesse a été largement tenue, avec le plan Marshall qui a contribué, dans les années 40 et 50, à la reconstruction d’un continent ravagé par la guerre, avec la transition de la dictature à la démocratie dans les pays du sud de l’Europe dans les années 70, avec enfin la chute du Rideau de fer et la transformation économique de l’Europe de l’Est dans les années 90.

L’établissement du marché unique et la création de l’euro ont été deux jalons historiques dans la réalisation d’une Europe unie. L’Allemagne a joué à cet égard un rôle unique et déterminant.

Comme l’a déclaré M. Waigel, « l’Allemagne a apporté le deutsche mark à l’Europe et, ce faisant, elle a donné naissance à l’euro ».

Un thème commun traverse donc notre histoire : l’alliance des destins politiques et économiques est une entreprise extrêmement difficile, mais le jeu en vaut la chandelle. Cette alliance est aussi difficile à bâtir qu’à défaire. Et elle ne peut fonctionner que si sa réussite s’étend à l’ensemble de l’Europe, ce qui passe par la convergence économique.

Mais qu’entend-on exactement par « convergence » ?

Pour simplifier, cela signifie que les revenus dans les pays plus pauvres rattrapent ceux de leurs voisins plus riches.

Regardez ce qui s’est passé au cours des vingt dernières années.

Pendant cette période, la promesse de l’adhésion des anciens pays communistes à l’Union européenne a donné lieu à des réformes favorisant l’économie de marché et le renforcement des institutions, qui ont libéré le potentiel économique de ces pays.

Entre 1993 et 2017, le revenu réel par habitant a pratiquement doublé en République tchèque, en Hongrie et en Slovénie, il a été multiplié par plus de deux et demi en Slovaquie, en Estonie et en Pologne, et il a plus que triplé en Lettonie et en Lituanie.

Le FMI est fier d’avoir joué un rôle dans cette transition. Nous avions d’ailleurs créé un nouvel instrument de prêt conçu spécialement pour répondre aux besoins des anciens pays communistes.

Le succès appelle le succès.

Les réformes que les nouveaux États membres ont menées pour entrer dans l’Union européenne ont fait de ces pays des destinations attrayantes pour les investisseurs des membres historiques de l’Union.

Ceci a contribué à une intégration poussée des économies européennes, avec des chaînes logistiques européennes très complexes.

Les efforts des nouveaux États membres ont porté leurs fruits pour tous les pays de l’Union.

Entre la moitié des années 90 et 2007, le revenu réel par habitant a doublé dans les nouveaux États membres et augmenté de 42 % dans l’Europe des Quinze.

Mais la crise financière mondiale a freiné l’Europe dans son élan.

La convergence a cédé le pas à la survie. L’Union européenne s’est rassemblée pour sauver sa peau — et elle a bien fait.

Mais l’impératif de convergence n’a pas disparu pour autant et nous devons nous y atteler à nouveau.

Pourquoi ? Parce qu’une fois encore, l’Europe se trouve à un tournant de son histoire.

II. Les nouveaux obstacles à l’unité européenne

Depuis quelques années, des mouvements populistes remettent en question la valeur fondamentale de l’intégration.

Les migrations en provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord suscitent des inquiétudes quant à l’identité culturelle et à la sécurité. Le système commercial international, fondé sur des règles, fait l’objet de tensions sans précédent, alors qu’il a largement contribué à la croissance mondiale au cours des soixante dernières années.

Et la nouvelle génération du continent porte encore les cicatrices économiques de la crise financière mondiale : elle est à la recherche d’emplois de qualité et d’un avenir stable. Dans l’Union européenne, le risque de pauvreté concerne aujourd’hui un jeune sur quatre.

Face à ces problèmes, l’Europe doit à nouveau s’engager sur la voie d’une prospérité partagée.

Cette volonté retrouvée commence déjà à se manifester.

L’Union rappelle jour après jour au monde entier qu’elle soutient résolument un commerce libre et équitable, qu’elle défend le multilatéralisme et qu’elle s’efforce de réduire les inégalités à la source d’une grande part de nos dissensions.

Cela me rappelle cette phrase du chancelier Helmut Kohl : « Nous avons tous besoin de l’Europe, et pas seulement ceux qui vivent en Europe ».

Aujourd’hui, dans un monde qui remet en question la valeur de la coopération internationale, le monde a plus que jamais besoin de l’Europe.

Mais l’Europe doit avant tout réussir chez elle.

Pour y parvenir, elle devra relancer la convergence économique là où elle s’est enlisée.

Contrairement à la convergence qui se poursuit entre les États membres d’Europe centrale et orientale, la convergence entre les pays du nord et du sud de la zone euro a commencé à décrocher au cours des dernières années. La situation n’a fait qu’empirer depuis la crise.

Entre 2008 et 2017, dans les cinq pays du sud de la zone euro touchés le plus durement par la crise, la croissance annuelle moyenne du revenu réel par habitant était en fait négative.

Notre objectif doit donc être clair : relancer la convergence et veiller à ce que les fruits de la croissance économique soient largement partagés dans toute l’Union européenne. C’est ainsi que nous rétablirons la confiance dans le projet européen.

Les travaux du FMI montrent que les réformes des marchés des produits et du travail peuvent avoir un effet considérable sur la productivité, en particulier dans les pays plus pauvres.

Nous savons que cela ne sera pas simple. Mais comme pour tous les projets difficiles entrepris depuis la guerre, c’est en travaillant dur que nous assurerons une paix et une prospérité durables.

III. Relancer la convergence par des transformations structurelles

Je voudrais me pencher ce soir sur trois domaines de réforme. L’Union européenne peut apporter son concours dans chacun d’eux, mais par sa nature, elle ne peut qu’appuyer le travail de réforme mené au niveau national.

Souvenons-nous de ces mots de Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne : « Le modèle européen est en danger si nous oublions le principe de la responsabilité individuelle ».

Chaque nation doit assainir ses fondations pour renforcer tout l’édifice européen.

Quelles sont les réformes qui s’imposent ?

Marché du travail

Premièrement, les marchés du travail. Dans de nombreux pays du sud de la zone euro, le taux de chômage est bien trop élevé, en particulier chez les jeunes.

En Italie, en Grèce en Espagne, le taux de chômage s’établit entre 10 et 20 %, mais pour les jeunes, il dépasse les 30 %.

Comparons ces chiffres à ceux de pays du nord de la zone euro tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas, où le taux de chômage global est inférieur à 4 % et celui des jeunes à 7 %.

Le manque d’investissement dans l’éducation et la formation professionnelle est un facteur crucial , mais il faut y ajouter la question de la flexibilité du marché de l’emploi. Trop d’entreprises sont confrontées à des charges inutiles en matière de contrats, de recrutement et de licenciement.

Résoudre ce problème permettrait d’ouvrir des perspectives professionnelles à tous les citoyens, en particulier aux jeunes qui essayent de se faire une place sur le marché du travail ou de progresser dans leur carrière.

Au Portugal, par exemple, de récentes réformes du marché du travail offrent une plus grande souplesse aux entreprises. Celles-ci sont plus enclines à donner leur chance à de nouvelles recrues et à leur proposer des contrats à durée indéterminée au lieu de contrats temporaires.

Les réformes fonctionnent : la forte croissance de l’emploi observée ces dernières années au Portugal concerne principalement des emplois à durée indéterminée.

Climat des affaires

Le deuxième domaine important est le climat des affaires, qu’il convient de rendre plus attrayant pour les investisseurs.

Une fois encore, le Portugal montre l’exemple. Alors qu’il y a une quinzaine d’années, il fallait environ un mois pour y créer une entreprise, il faut aujourd’hui moins de cinq jours.

Les possibilités d’amélioration sont encore très nombreuses.

Dans de nombreux autres pays du sud de la zone euro, il y a largement matière à réduire les entraves à la concurrence dans des secteurs tels que les services professionnels ou le commerce de détail.

En matière d’investissement, et plus particulièrement d’investissement transfrontalier, le coût et la durée des procédures d’insolvabilité pour les entreprises constituent un sérieux obstacle.

Les pratiques varient fortement en Europe à l’heure actuelle : une procédure de faillite dure environ neuf fois plus longtemps en Grèce qu’en Irlande, par exemple.

La modernisation et l’harmonisation des régimes d’insolvabilité contribueraient à accroître les investissements et à créer de nouveaux emplois.

Investir dans l’innovation

Je voudrais enfin aborder un troisième et dernier domaine : les dépenses consacrées à l’innovation. Le sous-investissement dans l’innovation est un problème que connaissent tous les pays du sud de la zone euro.

Les dépenses de recherche-développement en Italie, au Portugal et en Espagne dépassaient en moyenne à peine 1 % du PIB entre 2000 et 2014.

C’est moins de la moitié de ce qu’y consacrent des pays comme l’Allemagne ou la France.

Pour promouvoir l’innovation, il faudra notamment faciliter le financement au moyen du capital-risque et améliorer la coopération entre le secteur public et le secteur privé en matière de recherche‑développement.

Les retombées pourraient être considérables. On estime ainsi qu’en Italie, l’amélioration de l’accès des entreprises aux financements favorisant l’innovation et l’augmentation de l’aide publique à la recherche‑développement pourraient accroître le PIB de 5 % sur le long terme. Cela se traduirait par une augmentation de 2.000 euros du revenu annuel moyen des travailleurs [1] .

Voilà trois grands domaines dans lesquels les pays peuvent progresser par eux-mêmes : marchés du travail, climat des affaires et investir dans l’innovation. Mais qu’en est-il du rôle de l’Union européenne ?

Celle-ci peut aider les pays à mettre en œuvre des réformes en leur apportant une assistance technique et des recommandations. Elle peut également consacrer plus de ressources au soutien des réformes et de l’innovation dans le prochain budget européen.

Mais il est peut-être plus important encore que l’Union européenne continue d’encourager la coopération économique entre les pays et de veiller à ce qu’aucun nouvel obstacle ne se dresse entre eux.

Une fois encore, le succès appellera le succès.

En établissant des liens de confiance entre les États membres, l’Union peut accélérer les avancées dans toute une série de chantiers difficiles sur le plan politique, qu’il s’agisse d’améliorer l’architecture de l’économie européenne ou de respecter les engagements vitaux pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat.

C’est ainsi que nous parviendrons à créer de nouveaux débouchés pour tous les citoyens européens et à garantir par la même occasion la stabilité pour la prochaine génération.

Conclusion

Revenons à présent à ma question initiale. La chute du Mur de Berlin constituait-elle un commencement, un milieu ou une fin ?

Je dirais qu’elle fut les trois à la fois. Elle marqua l’aube d’un nouvel espoir, la consécration de trente années d’efforts, et le défi d’une reconstruction.

Cela vaut également pour l’Europe aujourd’hui.

Le moment est venu de faire preuve de courage et de créativité.

Ce soir, j’ai cité des citoyens français et allemands. Dans un esprit d’unité, je voudrais terminer sur une citation britannique, que l’on doit à Churchill : « Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. Mais, c’est peut-être la fin du commencement. »

Si l’Union européenne puise dans ses racines pour trouver une voie assurant une prospérité partagée, je suis convaincue qu’un jour, nous repenserons à 2019 comme l’année du commencement d’un nouveau chapitre optimiste de l’histoire européenne.

Je vous remercie.

Département de la communication du FMI
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