Changer : Nouveaux défis et nouveaux partenariats pour la croissance en Afrique

le 10 mars 2009

Dominique Strauss-Kahn
Directeur général du Fonds monétaire international
Dar es-Salaam, le 10 mars 2009

C’est avec grand plaisir que je vous accueille à l’occasion de cette importante conférence sur l’Afrique. Je tiens à remercier mon ami le Président Kikwete et la nation tanzanienne, qui accueillent cet événement, ainsi que les nombreux autres partenaires qui ont rendu cette réunion possible. J’aimerais aussi féliciter le gouvernement tanzanien et la Banque de Tanzanie, en particulier, pour l’excellente organisation de nos travaux et pour ce magnifique centre de conférence.

C’est aussi un grand honneur pour moi de m’adresser à des représentants aussi éminents des États membres, du secteur privé et la société civile. Je m’attends à ce que nous ayons un débat animé sur les nombreux succès enregistrés par l’Afrique ces dernières années. Mais j’espère aussi que nous n’hésiterons pas à aborder certaines des épreuves plus difficiles auxquelles l’Afrique a dû faire face. Ce n’est qu’en examinant les uns et les autres, en effet, que nous pourrons tirer les leçons qui nous permettront de relever les défis à venir.

Nous sommes réunis ici à un tournant historique — un tournant pour l’Afrique, mais aussi pour le monde. Et les discussions que nous aurons au cours de ces deux journées trouveront, soyez-en sûrs, un écho à travers le monde.

La crise financière mondiale — que nous pourrions qualifier de «Grande Récession» — inscrit cette conférence dans un contexte qui est de nature à tempérer notre optimisme. Le FMI s’attend à ce que la croissance mondiale ralentisse pour s’établir au-dessous de zéro cette année; la plupart d’entre nous, je pense, n’ont jamais connu une telle situation. La poursuite du processus de réduction de l’effet de levier dans les établissements financiers de par le monde, conjuguée à l’effondrement de la confiance des consommateurs et des entreprises, affaiblit partout la demande intérieure. Le repli du commerce mondial se poursuit à un rythme alarmant, et les prix des produits de base se sont effondrés.

Même si la crise a été longue à atteindre les rivages africains, nous savons tous qu’elle arrive — et que son impact sera considérable. Cette «troisième vague» de la crise, qui frappe à présent les pays à faible revenu, ralentira la croissance économique, mettra à mal les budgets et fragilisera les comptes extérieurs. J’ajoute que la menace n’est pas seulement économique : il existe un risque réel que des millions de personnes retombent dans la pauvreté.

Nous devons faire en sorte que la voix des plus démunis soit entendue. Nous devons nous assurer que l’Afrique n’est pas laissée pour compte. Il ne s’agit pas seulement de protéger la croissance économique et le revenu des ménages — il s’agit aussi de contenir la menace de troubles civils, voire de conflits. Ce qui est en jeu, ici, ce sont les populations et leur avenir.

Quels enseignements pouvons-nous tirer des succès de l’Afrique pour aider la région à résister à la tourmente financière qui fait rage maintenant?

La dernière décennie a été remarquable pour le continent. La croissance de l’Afrique subsaharienne a atteint en moyenne 5 % par an, et même davantage dans certains pays : c’est le meilleur résultat enregistré depuis une quarantaine d’années. La pauvreté a chuté, et des progrès très sensibles ont été accomplis vers la réalisation d’autres Objectifs Du Millénaire (ODM) importants. Une conjoncture économique mondiale favorable — je pense notamment à l’envolée des prix des produits de base et au vif essor de la demande extérieure — a aussi contribué à ce résultat.

Je tire, pour ma part, trois leçons de ces dix ans de succès.

• Premièrement, la stabilité macroéconomique a porté ses fruits en permettant une croissance rapide. Cette stabilité a donné davantage confiance aux investisseurs intérieurs et étrangers dans les perspectives de l’Afrique, ce qui les a conduits à augmenter de façon spectaculaire leurs engagements, en termes de financements et de savoir-faire, dans la région.

• Deuxièmement, le renforcement de la gouvernance a joué un rôle clé dans l’amélioration de la gestion économique et financière. La consolidation des capacités institutionnelles a aidé à mettre en œuvre de bonnes politiques économiques, ce qui a eu pour effet de raffermir la confiance des investisseurs.

• Troisièmement, enfin, l’augmentation de l’aide des donateurs et les allégements de dettes, y compris par le FMI et les autres partenaires, ont joué dans bien des cas un rôle décisif.

La Tanzanie offre un bon exemple de réussite africaine. Il y a 25 ans, son économie était au plus mal, affligée de pénuries chroniques et d’une inflation débridée. Aujourd’hui, elle offre un visage radicalement différent : l’inflation est jugulée et la croissance a été en moyenne de 7 % par an depuis 2000, ce qui a entraîné une progression de 50 % du revenu réel par habitant.

La MKUKUTA, stratégie de développement conçue par le pays lui-même, est au cœur de cette réussite. C’est elle qui a ancré l’engagement de la nation en faveur de la stabilité économique. C’est elle aussi qui a canalisé un appui important des bailleurs de fonds et attiré l’investissement direct étranger, qui a atteint 4 % du PIB par an.

Cela dit, si nous applaudissons aux succès de l’Afrique, nous n’en constatons pas moins, avec préoccupation, que les acquis remarquables de l’Afrique depuis une dizaine d’années sont aujourd’hui menacés.

Alors que la croissance est presque partout au point mort, la demande de produits africains est en chute libre. Les recettes du tourisme vont probablement diminuer elles aussi, car les consommateurs, à travers le monde, se serrent la ceinture.

Les flux financiers se raréfient également. Le financement des échanges commerciaux devient plus difficile et plus coûteux, et les placements étrangers sur les marchés d’actions et d’obligations africains sont d’ores et déjà en recul. L’Investissement Direct Etranger (IDE) va sans doute être touché lui aussi. Enfin, n’oublions pas les envois de fonds des Africains partis travailler à l’étranger, qui sont essentiels à la survie des nombreuses familles restées au pays. Ces envois de fonds risquent également de diminuer maintenant que les travailleurs expatriés vont être confrontés aux tensions des marchés du travail.

L’impact conjugué de ces chocs réels et financiers sur la croissance en Afrique sera considérable. Selon nos prévisions, la croissance régionale se situera cette année autour de 3 % en moyenne — et sera donc inférieure de moitié à son niveau des cinq dernières années. Et ces prévisions pourraient même se révéler trop optimistes, compte tenu de la dégradation persistante des perspectives mondiales.

Le coût humain que pourrait avoir cette crise est encore plus préoccupant. La Banque mondiale estime que plus de 50 millions de ressortissants des pays à faible revenu, dont beaucoup vivent en Afrique, pourraient retomber en situation de pauvreté absolue — avec les conséquences sociales que l’on peut prévoir, telles que les maladies et la mortalité infantile. Les défis économiques et politiques lancés à l’Afrique sont à l’évidence formidable.

Que faire pour atténuer l’impact de cette crise?

La bonne nouvelle est que les pays africains sont aujourd’hui dans une bien meilleure posture qu’ils ne l’ont été pendant de nombreuses années. Certains d’entre eux, surtout les pays producteurs de pétrole, ont accumulé suffisamment de réserves de change pour amortir le choc extérieur. La diminution des dettes publiques et le niveau élevé de l’épargne donnent aux autres la possibilité de maintenir ou même d’accroître les dépenses publiques. Il importe de préserver en priorité les dépenses sociales bien ciblées et les investissements d’infrastructure à haute rentabilité.

La mauvaise nouvelle est que beaucoup de pays africains auront besoin d’un surcroît considérable de financements concessionnels pour surmonter cette crise et pour que la réalisation des ODM reste à leur portée. D’après les projections du FMI, 22 des pays à faible revenu les plus vulnérables, dont beaucoup sont situés en Afrique, auront besoin d’au moins 25 milliards de dollars de financements concessionnels supplémentaires rien que cette année pour maintenir leurs réserves de change à un niveau sûr. Si la situation économique et financière mondiale continue de se détériorer, les besoins de financement seront considérablement plus élevés.

Les partenaires au développement de l’Afrique doivent se mobiliser rapidement pour répondre à ces besoins de financement. Bien sûr, je comprends que des contraintes sans précédent pèsent sur les ressources budgétaires des pays avancés. Mais, comme l’a observé le Premier ministre Meles Zenawi lors du sommet d’Addis-Abeba le mois dernier, certains établissements financiers privés des pays avancés reçoivent davantage d’aide financière que l’ensemble du continent africain.

Au moment où la communauté internationale trouve des centaines de milliards de dollars pour combattre la crise, je trouve inacceptable de ne pas trouver des centaines de millions pour les pays à faible revenu. N’oublions pas que, il y a quelques années seulement, à Gleneagles, les partenaires au développement de l’Afrique se sont engagés à porter leur aide en faveur du continent africain à 50 milliards de dollars d’ici à l’année prochaine. Les bailleurs de fonds doivent aujourd’hui passer à l'action.

J’appelle aussi la communauté internationale à rejeter le protectionnisme, tant dans les échanges commerciaux que sur le plan financier. Il est primordial pour l’Afrique que les négociations commerciales du cycle de Doha soient menées à bien. Mais il faut aussi combattre le protectionnisme qui a lieu de façon «détournée», par le rapatriement des capitaux.

Comment le FMI peut-il aider l’Afrique face à ces défis redoutables?

En tout premier lieu, il faut que nous agissions sans attendre pour fournir aux pays membres africains les ressources financières dont ils ont besoin. L’année dernière, nous nous sommes mobilisés rapidement pour venir en aide aux pays touchés par la flambée des prix des produits alimentaires et des carburants. Nous avons conclu 15 nouveaux accords de financement avec des pays membres africains en 2008, contre 4 seulement en 2007, et augmenté les ressources disponibles au titre de 8 accords déjà en vigueur.

Pour l’avenir, je me suis fixé comme objectif de doubler, au moins, les ressources dont dispose le FMI pour accorder des prêts concessionnels. Pour cela, je demande instamment aux pays partenaires de m’apporter leur soutien, afin que l’Afrique puisse recevoir dès que possible des ressources additionnelles. J’espère que nous nous rapprocherons sensiblement de ce but à brève échéance.

Je voudrais aussi rendre plus souples les financements du FMI. Nous réfléchissons aux moyens d’améliorer l’octroi de financements à court terme aux pays qui en ont un besoin immédiat. Il est question de relever les plafonds d’accès, qui sont devenus de plus en plus contraignants. Nous nous efforçons aussi de rationaliser la conditionnalité et de mieux l’adapter à la situation particulière de chaque pays. Nous sommes en train de réexaminer nos politiques concernant les plafonds d’endettement en vue de les assouplir.

Pour ce qui est de l’assistance technique du FMI, nous allons la mettre davantage à la disposition des pays africains. Cela nous permettra de mieux épauler les efforts que l’Afrique consent elle-même pour renforcer les capacités techniques indispensables à une croissance soutenue à moyen terme. Nos trois centres régionaux d’assistance technique, au Gabon, au Mali et ici même en Tanzanie, sont une réussite, qui repose sur une forte adhésion au niveau local et une compréhension intime des réalités locales. J’ai le plaisir d’annoncer aujourd’hui que nous envisageons de développer ces centres et d’en ouvrir deux autres, en Afrique occidentale et en Afrique australe.

Enfin, nous devons mettre l’accent sur l’internalisation au FMI. Il faut en particulier mettre en œuvre les accords récemment conclus en vue du rééquilibrage des quotes-parts, et fixer le calendrier de la prochaine phase de la réforme de ces quotes-parts. J’espère fermement que nous serons en mesure de faire et l’un et l’autre cette année, ce qui aura pour heureuse conséquence de permettre à nos pays membres africains d’avoir davantage voix au chapitre.

Mais le FMI n’est pas tout : pour aider l’Afrique en ces temps troublés, il faudra forger de nouveaux partenariats et donner une nouvelle impulsion à ceux qui existent déjà.

Au niveau des États, le fait que le G-20 a décidé de jouer un rôle de premier plan dans la recherche d’une solution globale face à cette crise financière mondiale me paraît encourageant. Je crains toutefois qu’il ne soit pas vraiment à l’écoute de l’Afrique, ou des pays à faible revenu plus généralement. Certes, le G-20 est plus représentatif que le G-8, mais il y a encore 165 pays membres du FMI qui n’en font pas partie.

Il me semble donc que cette conférence est pour les pays africains un excellent tremplin pour faire passer des messages de la plus haute importance à l’intention du sommet des dirigeants du G-20 qui se tiendra à Londres le mois prochain. En cette occasion, le FMI peut se faire votre porte-parole.

Je souhaite aussi appeler le secteur privé et la société civile à redoubler d’efforts pour s’impliquer en Afrique. La forte hausse des flux de capitaux en direction de l’Afrique observée au cours des dix dernières années montre qu’il y a maintes possibilités d’investissement de toute première qualité sur le continent. C’est toujours le cas. Je conjure donc les investisseurs de ne pas tourner le dos à l’Afrique et de garder à l’esprit le rendement à long terme que peuvent rapporter les investissements dans cette partie du monde.

Pour ce qui est de la société civile, je suis convaincu que l’engagement fort déjà témoigné en faveur de l’Afrique au cours des dernières décennies s’approfondira encore en ces temps si rudes. Le FMI invite toutes les forces vives à formuler propositions et recommandations alors même que nous nous efforçons d’apporter un soutien toujours plus efficace aux pays africains.

Une dernière remarque, si vous me le permettez.

La communauté internationale se doit de venir en aide à l’Afrique à l’heure où ses besoins sont si grands. Ce n’est pas seulement pour nous un devoir moral en tant que citoyens du monde profondément inquiets du coût économique et social de cette crise pour l’Afrique, mais aussi une obligation historique, compte tenu de son passé colonial.

Cette aide sera cependant vaine à moins que l’Afrique elle-même prenne toute la mesure des enjeux auxquels elle est confrontée aujourd’hui. La réussite des efforts visant à surmonter cette crise mondiale et à assurer sur le long terme la prospérité de l’Afrique repose donc en définitive sur ses propres épaules. Je suis très impressionné à cet égard par le document de synthèse préparé par les ministres et gouverneurs africains pour cette conférence, et je me fais une joie d’étudier avec vous au cours de la journée les excellentes idées dont il regorge.

L’Afrique ayant résolument pris, au cours de la dernière décennie, le parti de la gestion macroéconomique avisée et de la bonne gouvernance, elle en a déjà recueilli d’énormes bénéfices sur le plan de la stabilité et de la croissance. À plus longue échéance, les idées et l’esprit d’innovation des Africains eux-mêmes sont essentiels pour assurer la réussite de leur continent. Ainsi que le déclara Julius Nyerere, qui fut l’un des plus illustres hommes d’État de l’Afrique et le père fondateur de la Tanzanie :

C’est en décidant par lui-même ce qu’est le développement, en décidant dans quelle direction il doit engager sa société et en donnant suite à ces décisions que l’Homme se développe. Car il ne se développe pas dans le vide, indépendamment de sa société et de son environnement, et il ne peut, assurément, devoir son développement à autrui.

C’est l’essence même des partenariats que j’évoquais tout à l’heure : un processus de collaboration, certes, mais conduit par les Africains, afin que le peuple de l’Afrique puisse réaliser tout son potentiel.

Je suis sûr que la réflexion que nous mènerons ensemble pendant les deux jours à venir sera des plus fructueuses.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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