Allocution devant le Forum international de la finance 2011, Christine Lagarde,Directrice générale du Fonds monétaire international

le 9 novembre 2011

Christine Lagarde
Directrice générale du Fonds monétaire international
Pékin, le 9 novembre 2011

Texte préparé pour l’intervention

Bonjour. C'est pour moi un grand plaisir et un privilège d'être ici parmi vous. Je tiens à remercier en particulier le président du Forum international de la finance, M. Cheng Siwei, et M. Han Seung-so, ancien Premier Ministre coréen, d'avoir eu l'amabilité de m'inviter aujourd’hui. C’est toujours un plaisir de revenir dans ce magnifique pays.

Je suis venue en Chine à de nombreuses reprises, mais c'est mon premier séjour en tant que Directrice générale du FMI ; c’est donc la visite d’une vieille amie de la Chine. Je suis heureuse de constater que la Chine et le FMI entretiennent d’aussi bonnes relations. La Chine est l'un de nos plus importants actionnaires. Je me réjouis donc d’écouter ce que vous avez à dire et d’échanger nos vues, ainsi que d’examiner les moyens par lesquels nous pourrions encore renforcer notre partenariat à l’avenir.

La montée en puissance de l'Asie dans l'économie mondiale est véritablement le succès économique déterminant des temps modernes. Aujourd'hui, ce n’est pas une surprise, c’est l'Asie qui tire la reprise de l'économie mondiale.

La Chine est clairement un des acteurs principaux de ce mouvement. Il suffit de regarder les progrès remarquables qu’elle a accomplis au cours des trois dernières décennies : 370 millions d’emplois ont été créés, un demi-milliard de personnes sont sorties de la pauvreté et la croissance annuelle a atteint 10 % en moyenne.

Quand je viens dans cette région, il n’est pas surprenant que je sois pleine d’espoir et d’optimisme.

Mais ce n'est pas dans le meilleur des contextes que je me trouve aujourd'hui parmi vous. De sombres nuages s'accumulent dans l’économie mondiale, et l'Asie devra y prêter grande attention.

Je juge encourageantes les mesures qui ont été prises récemment, par les dirigeants de la zone euro il y a quelques semaines et par ceux du G-20 il y a quelques jours. Mais les risques restent graves.

Je voudrais donc évoquer quatre thèmes avec vous.

Premièrement, l'état de l'économie mondiale.

Deuxièmement, les actions qui s'imposent pour rétablir la croissance mondiale.

Troisièmement, ce que la Chine pourrait faire de plus pour préserver son propre avenir économique.

Et quatrièmement, l'importance des changements en cours dans la gouvernance économique mondiale, en particulier pour ce qui est du rôle des pays émergents et de la Chine.

1. Les enjeux économiques mondiaux et régionaux

S'agissant du premier thème, comme je l'ai déjà dit, l'économie mondiale est entrée dans une phase dangereuse et incertaine. Les interactions négatives entre l'économie réelle et le secteur financier sont maintenant bien visibles. Par ailleurs, le chômage demeure à des niveaux inacceptables dans les pays avancés.

Si nous ne réagissons pas, et si nous ne réagissons pas ensemble, nous risquons d'être entraînés dans un tourbillon d'incertitude, d'instabilité financière et d'effondrement de la demande mondiale. En fin de compte, nous pourrions connaître une décennie perdue de croissance faible et de chômage élevé.

Tant d’autres régions ont encore du mal à se remettre de la crise financière mondiale, mais l'Asie rebondit encore. Elle est un vrai phare pour le monde — cela ne fait aucun doute.

Toutefois, l'Asie n'est pas à l'abri de l'évolution dans le reste du monde. Le commerce est très important, car la croissance régionale reste fort tributaire de la demande extérieure. Par ailleurs, les pays émergents d'Asie sont vulnérables aussi à l’évolution du secteur financier.

Dans notre monde de plus en plus interconnecté, aucun pays, aucune région ne peut faire cavalier seul. Nos succès ou nos échecs économiques nous lient tous les uns aux autres.

2. Les actions à entreprendre

J’en viens ainsi à mon deuxième thème : les actions à entreprendre à l’échelle mondiale. Comme les pays avancés sont au cœur des turbulences mondiales, ils ont une responsabilité particulière : ils doivent prendre les mesures nécessaires pour rétablir la confiance et rehausser la croissance.

À cet égard, comme je l'ai dit, je juge encourageant que les dirigeants de la zone euro se soient accordés le 26 octobre sur un ensemble de mesures qui permettra de rétablir la viabilité de la dette grecque, de recapitaliser les banques européennes, de renforcer les pare-feu pour contrer la contagion financière et d'établir les fondements d'une gouvernance économique solide dans la zone euro.

Lors du sommet de Cannes qui vient de se terminer, les pays du G-20 ont souscrit à cet ensemble de mesures et ont souligné qu'il fallait le mettre en application dans les meilleurs délais. C'est maintenant la priorité absolue.

De manière plus générale, nous devons aussi continuer de nous attacher à atteindre notre objectif primordial, à savoir une reprise vigoureuse, durable et équilibrée. Qu'est-ce que cela signifie pour les pays avancés ?

Il s'agit de bien doser les politiques budgétaires et monétaires de manière à favoriser la stabilité et la croissance. Il s'agit de prendre des mesures structurelles qui renforcent la compétitivité et créent des emplois, ainsi que de renforcer la réglementation financière afin de rendre le secteur financier plus sûr et de le remettre au service de l'économie réelle.

Bien entendu, le dosage des politiques diffère d'un pays à l'autre. Il n'y a pas de panacée. Chaque pays doit trouver le juste équilibre qui, conjugué à l'action des autres pays, débouchera sur le type de reprise que nous souhaitons — une reprise qui profite au plus grand nombre.

Permettez-moi maintenant de mettre l'accent sur un autre élément fondamental d'une reprise vraiment durable : il s'agit de la dimension sociale. Nous avons besoin de croissance, mais d'une croissance qui crée des emplois. Sans emplois, une génération de jeunes risque fortement de se retrouver coupée de l'économie productive et des liens qui font la société.

Nous avons besoin de croissance, mais d'une croissance qui soit solidaire. Comme les études du FMI le confirment, une répartition du revenu plus équitable est bonne pour la stabilité macroéconomique et une croissance durable.

Maintenant que j'ai évoqué ce que les pays avancés devraient faire, passons aux actions à entreprendre par l'Asie.

À l'heure actuelle, l'Asie fait face à un compromis difficile. Les pays doivent se préparer aux tempêtes qui pourraient les atteindre. Mais certains sont confrontés à des risques tenaces de surchauffe et d'instabilité financière, qui résultent de la persistance de l’accès facile au crédit.

Les pouvoirs publics devraient donc réagir avec souplesse à l'évolution de la situation.

Lorsque les tensions inflationnistes sont élevées et que les politiques monétaires sont accommodantes, un durcissement monétaire se justifie. Mais lorsque l'inflation est maîtrisée et qu'un pays est fort exposé aux dangers extérieurs, le durcissement monétaire peut attendre. De fait, certains pays de la région ont déjà cessé de durcir leur politique monétaire ou l’ont même assouplie. Cependant, comme les déficits budgétaires et les dettes sont plus élevés qu'avant la crise, pour la grande majorité des pays, il est approprié de continuer de les réduire.

Toutefois, si la conjoncture économique mondiale se détériore encore, il est logique de changer de cap rapidement et de déployer diverses mesures afin de protéger l'activité économique. Par exemple, les dirigeants peuvent desserrer les freins budgétaires, ponctionner leurs réserves ou recourir aux dispositifs régionaux de mise en commun des réserves, et réactiver les accords de swap des banques centrales. Le FMI est prêt à accompagner les arrangements financiers régionaux en Asie.

La dimension sociale que j'ai évoquée plus haut s'applique aussi directement à l'Asie. Elle se trouve au premier plan de la réflexion des dirigeants asiatiques, notamment chinois. Bien sûr, des progrès considérables ont été accomplis dans la réduction de la pauvreté. De vastes efforts ont été déployés aussi, et sont encore déployés, pour mettre en place de meilleurs dispositifs de protection sociale et investir davantage dans les infrastructures, la santé et l'éducation dans la région.

Cette stratégie présente deux avantages : elle débouche sur une croissance plus solidaire au profit des populations d'Asie et elle fournit des moteurs de croissance internes plus puissants, ce qui sera aussi bénéfique à l'économie mondiale.

3. Le rôle de la Chine

Permettez-moi maintenant de passer à mon troisième thème : le rôle de la Chine. Tout d'abord, je pense que, fondamentalement, la Chine est sur la bonne voie — une voie tracée en détail dans le 12e plan quinquennal.

Tout d'abord, elle réduit sa vulnérabilité interne — en ralentissant le rythme de croissance du crédit, en accroissant les provisions et les fonds propres, et en élargissant la portée des mesures macroprudentielles. Il reste possible d'utiliser la politique monétaire pour freiner la croissance du crédit.

Sur le plan budgétaire, la Chine en revient à juste titre à l'équilibre. Mais si les perspectives de croissance se détérioraient sensiblement, la politique budgétaire pourrait devenir la première ligne de défense, étant donné l'ampleur de la marge de manoeuvre et la capacité de déployer rapidement des ressources.

La Chine est aussi sur la bonne voie pour ce qui est de réorienter son économie vers la demande intérieure. Comme l'a dit Lao Tseu, « un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas ». De fait, la Chine a déjà accompli de solides progrès sur la voie du rééquilibrage.

Son excédent courant est tombé de 10 % du PIB en 2007, un chiffre sans précédent, à un peu plus de % l'an dernier. Si cette baisse tient en partie à la faiblesse de la demande mondiale, elle s'explique aussi par une hausse des importations, qui aide l'économie mondiale.

Il faut maintenant passer d'une croissance tirée par les exportations et l'investissement à une croissance tirée par la consommation, notamment en rehaussant encore les revenus des ménages et en développant les dispositifs de protection sociale. La réforme du système financier reste importante et, comme nous l'avons dit précédemment, la Chine doit aussi disposer d'une monnaie plus forte en valeur effective réelle.

4. La gouvernance économique mondiale

J'en viens à mon quatrième et dernier thème : la gouvernance économique. J'ai déjà parlé de la montée en puissance spectaculaire de l'Asie en général, et de la Chine en particulier, dans l'économie mondiale.

La Chine est un moteur essentiel de la croissance mondiale et, avec d'autres grands pays émergents, elle dynamise aussi la croissance dans les pays à faible revenu, par la voie du commerce, de l'investissement et du financement.

La Chine joue un rôle de premier plan au G-20 — et j'ai été ravie d'avoir l'occasion de rencontrer le Président Hu Jintao lors du sommet de Cannes. La Chine joue aussi un rôle important au FMI.

Pour que le FMI soit plus efficace, nous savons que nous devons vraiment représenter tous nos pays membres — nos 187 pays membres. À cet égard, nous nous efforçons de réformer notre structure de gouvernance de manière à ce que les pays émergents et les pays en développement soient mieux représentés au sein de l'institution.

L'un des résultats de ces réformes de notre gouvernance est que la Chine est maintenant l'un de nos trois principaux actionnaires. La Chine est donc un membre très important du FMI, ce qui est tout à fait normal, étant donné le rôle très important qu'elle joue dans l'économie mondiale.

Conclusion

Je vais vous laisser avec une dernière idée : nous sommes tous dans le même bateau. Une seule économie mondiale. Nous avançons et nous reculons ensemble.

« Tous les hommes sont frères », selon les Analectes.

Nous avons une responsabilité collective — il s'agit de créer un monde plus stable et plus prospère, un monde où chacun dans chaque pays peut atteindre son plein potentiel.

Pendant une bonne partie de son histoire, la Chine a fait partie des pays les plus avancés sur le plan technologique, les plus peuplés et les plus prospères. La Chine est de nouveau présente sur le devant de la scène mondiale et y joue aujourd’hui un rôle crucial, qu’elle continuera de jouer à l’avenir.

Je vous remercie de votre attention.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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