CEMAC : Une communauté plus forte, pour une croissance plus vigoureuse

le 8 janvier 2016

Christine Lagarde
Directrice générale, Fonds monétaire international
Yaoundé, le 8 janvier 2016

Texte préparé pour l’intervention

Introduction

Monsieur le Premier Ministre,

Messieurs les Ministres de l’Économie et des Finances des pays membres de la CEMAC,

Monsieur le Président de la Commission de la CEMAC

Monsieur le Gouverneur de la BEAC,

Mesdames et Messieurs les représentants de la CEMAC,

Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi un privilège d’intervenir devant une assemblée aussi distinguée, à un moment aussi important pour la CEMAC.

La CEMAC est l’un des groupements régionaux les plus importants d’Afrique. Vos pays constituent pour ainsi dire le «cœur de l’Afrique». Le devenir du continent est intimement lié à celui de votre région.

Durant ces dernières années, à l’instar du reste de l’Afrique subsaharienne, la région a enregistré une croissance robuste dans un contexte de stabilité macroéconomique. La marée montante des cours du pétrole a dopé l’activité et propulsé l’investissement dans les infrastructures, dont les pays avaient tant besoin. Aujourd’hui cette marée se retire, sans doute pour longtemps.

Par ailleurs, les perturbations de nature sécuritaire pèsent lourdement, bien entendu sur l’activité économique et les ressources budgétaires, mais aussi sur le vécu quotidien. Pour avoir été à Paris durant les attentats de novembre, je ne connais que trop les souffrances que le terrorisme peut infliger.

À l’évidence, l’effondrement des prix du pétrole s’impose à la CEMAC comme une nouvelle réalité. Notre table ronde sur le thème «Faibles cours du pétrole et financement des infrastructures» arrive donc à point nommé. D’abord elle nous permet de dresser un bilan des progrès en matière de financement des infrastructures depuis la conférence de mars 2014, et ensuite elle nous donne l’occasion de définir les moyens d’entretenir l’investissement dans l’infrastructure dans une conjoncture de repli des cours du brut et de resserrement des financements. Dans certains cas, il faudra sans doute ajuster à court terme les ambitieux plans d’investissement afin de préserver la viabilité des finances publiques et de la dette à moyen terme.

S’adapter à cette nouvelle réalité signifie en outre faire appel à de nouvelles sources de croissance à l’intérieur de la CEMAC. Comme le dit le proverbe, «l’union fait la force». Plus que jamais, un ambitieux programme de réformes centré sur la diversification et l’intégration régionale s’impose pour rétablir une forte croissance et la rendre inclusive.

Dans ce contexte, je centrerai mes propos sur trois points :

• Premièrement, un bref aperçu des perspectives de l’économie mondiale.
• Deuxièmement, un gros plan sur les perspectives de la CEMAC.
• Et troisièmement, les grandes priorités pour assurer une croissance plus forte et inclusive dans la CEMAC.
1. L’économie mondiale — une croissance modeste et inégale

Commençons par un rapide bilan de santé de l’économie mondiale.

En 2015, l’économie mondiale a connu une croissance modeste et inégale, estimée à quelque 3,1 %. Cette fragilité devrait perdurer en 2016 du fait de trois grandes transitions.

La première transition est la divergence accentuée en matière de politique monétaire dans les pays avancés les plus importants. Le mois dernier, la Réserve Fédérale a fait un premier pas en haussant les taux d’intérêt pour la première fois en neuf ans. Pour le moment, le décollage s’est passé en douceur. L’information a été claire et les marchés financiers ont intégré ce décollage dans leurs cours.

La question importante pour l’avenir est celle du rythme de la normalisation. Il sera certainement progressif, comme la Réserve Fédérale l’a dit, et devrait être basé sur des indications claires en matière de pressions sur les salaires ou les prix. En même temps, les vulnérabilités dans de nombreux pays en voie de développement croissent et leur évolution est réévaluée. Donc les “surprises” – y compris en ce qui concerne les politiques dans les économies avancées – qui en temps normal n’auraient pas d’effet significatif, pourraient conduire à des excès de volatilité, spécialement dans les pays émergents et en voie de développement.

La Chine — le principal partenaire commercial de l’Afrique subsaharienne — est le théâtre de la deuxième transition. Ce pays a entrepris un rééquilibrage historique de son modèle de croissance et son activité revient à des niveaux viables. Cela dit, ce rééquilibrage s’accompagne de soubresauts qui se font sentir dans le monde entier et nécessitent davantage de clarté sur les politiques suivies, notamment en matière de change. Cette transition, dont j’ai déjà souligné à plusieurs reprises ces dernières semaines qu’elle ne serait pas de tout repos, se traduit en outre par une moindre demande de matières premières.

Le renversement du «super cycle» des matières premières constitue la troisième transition. Sans doute celle qui concerne le plus vos pays.

Les cours du pétrole ont chuté de 70 % depuis juin 2014, dégringolant d’un sommet de 120 dollars le baril à moins de 32 dollar aujourd’hui. Naturellement les effets de cette chute se font sentir dans cette partie de l’Afrique : l’activité est ralentit et les tensions budgétaires s’accentuent.

Le défi est d’autant plus redoutable que, à la différence des cycles précédents, les prix du pétrole devraient cette fois-ci rester durablement bas. En effet, les marchés à terme ne laissent entrevoir qu’un léger redressement des cours à environ 60 dollars le baril d’ici 2019. Comment expliquer cela?

Côté offre, plusieurs facteurs contribuent à une surabondance mondiale. Citons l’avènement du pétrole de schiste, l’évolution du comportement stratégique de l’OPEP et l’augmentation projetée des exportations iraniennes.

Côté demande, des forces tout aussi importantes sont à l’œuvre. Le repli séculaire de la consommation de pétrole aux États-Unis et la faiblesse générale de l’activité économique, notamment dans les pays émergents, tirent les prix du pétrole vers le bas.
2. Gros plan sur la CEMAC — S’adapter à un double choc et à une nouvelle réalité mondiale

Ceci m’amène à mon deuxième point. Que signifie cette situation pour la CEMAC et pour ses perspectives d’avenir?

Le pétrole représente aujourd’hui environ 70 % des exportations de la CEMAC et plus d’un tiers de ses recettes budgétaires. Il va de soi que la chute des cours constitue un énorme défi. Il y a cependant de bonnes nouvelles, en ce sens que plusieurs pays membres de la CEMAC ont mis à profit les recettes exceptionnelles tirées du pétrole pour lever des contraintes qui bridaient l’économie de longue date.

Par exemple, le Gabon a utilisé une grosse partie de ses recettes exceptionnelles pour réduire sa dette de 50 % en 2008 et reconstituer ses réserves, de 10 millions de dollars en 2001 à 1,3 milliard de dollars en 2014. Au Tchad, l’augmentation des dépenses d’éducation a abouti à un net redressement du taux de scolarisation primaire, de 68 % en 2000 à une scolarisation pratiquement complète en 2012. Enfin, la République du Congo a lancé un ambitieux Plan national de développement pour corriger les gros déficits sociaux et infrastructurels.

Ce sont là d’importantes initiatives, mais les perspectives d’une faiblesse persistante des cours du pétrole signifient que les financements disponibles seront nettement plus restreints à l’avenir.

Il est un autre choc qui provient de Boko Haram. Les attaques dans l’Extrême Nord du Cameroun et dans certaines parties du Tchad ont perturbé l’activité économique et exigé une augmentation des dépenses militaires. Ces opérations ont un effet d’éviction sur les crédits dans des domaines cruciaux tels que l’éducation et la santé.

Ces deux chocs pèsent très lourdement sur l’activité. Selon les estimations, la croissance dans la CEMAC serait descendue à quelque 2 % en 2015, encore que la situation varie considérablement d’un pays à l’autre. Par exemple, la Guinée équatoriale a accusé une forte contraction, tandis que le Cameroun a affiché une croissance.

Par ailleurs, la mise en œuvre continue de grands programmes d’infrastructures a mis en évidence des tensions budgétaires. Selon les estimations, le déficit budgétaire combiné de la CEMAC se serait creusé à 6.5 % du PIB régional en 2015, et seule une modeste amélioration est prévue pour cette année.

L’activité au sein de la CEMAC devrait rebondir à environ 3,5 % cette année, mais cette projection est tributaire de la mise en œuvre de politiques saines, propres à préserver la stabilité macroéconomique et à lever les obstacles à la croissance. Comment y parvenir?

Un proverbe tchadien me vient à l’esprit : «Si tu empruntes toujours le même chemin, il te mènera là où tu es déjà allé».

Face à cette nouvelle réalité, la CEMAC doit tracer un nouveau chemin pour sa prospérité.


3. Vers une croissance forte et inclusive — dépenser mieux, percevoir davantage et mobiliser la région dans votre propre intérêt

J’en arrive à mon troisième point : les politiques nécessaires pour assurer une croissance forte et inclusive au sein de la CEMAC.

Les prix du pétrole devant rester durablement bas et les réserves pétrolières s’épuisant, la stabilité macroéconomique devra passer par des politiques budgétaires judicieuses et des réformes structurelles résolues propres à renforcer le climat des affaires et l’intégration régionale. La région va devoir s’ouvrir sur ses voisins et mette à profit leurs marchés pour repartir de nouveau.

Il y a, à mon sens, trois priorités : dépenser mieux, percevoir davantage et mobiliser la région dans votre propre intérêt. Examinons-les à tour de rôle.

Première priorité — dépenser mieux. Un ensemble approprié de projets d’infrastructure complémentaires est à l’évidence une condition préalable à toute croissance durable et inclusive.

Cependant, dans un environnement de tensions budgétaires croissantes, il importe d’accorder une attention accrue aux priorités. Cela peut exiger que l’on réduise l’ampleur de certains plans. La sélectivité dans le développement des infrastructures  basé sur leur bien-fondé économique et leur rentabilité  peut aider à orienter ce travail.

Il est tout aussi important de suivre une démarche plus judicieuse en matière de financement extérieur. Pour plusieurs pays membres, les possibilités de soutien extérieur durable à des conditions non concessionnelles se réduisent en raison de l’accumulation d’une dette commerciale. Il faudrait faire appel à des sources de financement concessionnelles pour préserver la viabilité de la dette à moyen terme.

Passons à la deuxième priorité — percevoir davantage. Pour atténuer les tensions budgétaires il faut également mieux mobiliser les ressources intérieures. Comme le dit le proverbe centrafricain, «Un grand fleuve se nourrit de ses affluents». Il faut donc agir résolument pour élargir l’assiette des recettes non pétrolières.

Il y a de bonnes nouvelles en la matière car les recettes non pétrolières au sein de la CEMAC se sont améliorées l’an dernier pour atteindre 15 % du PIB régional. Cela dit, il est encore possible d’aller au-delà du niveau indicatif régional de 17 %.

Comment y arriver? En réduisant l’utilisation généralisée des exonérations fiscales et douanières discrétionnaires dans la région. Ces exonérations compromettent les recettes globales des États et affaiblissent la gouvernance.

Les pays membres de la CEMAC gagneraient en outre à améliorer la coordination et la coopération intergouvernementales en matière de politique fiscale. Au cours des dernières années, la Commission a publié un certain nombre de directives dans le domaine fiscal, mais rares sont celles qui ont été transposées dans les législations nationales et appliquées. Il est donc possible de faire plus pour renforcer la crédibilité et l’engagement.

La mobilisation de recettes intérieures doit également tenir compte des importantes questions de fiscalité internationale qui ont une incidence sur l’assiette des impôts liés aux industries extractives. Cela comprend les transferts offshore indirects de droits sur les actifs situés dans les pays en développement. Ces considérations peuvent être particulièrement pertinentes dans les pays riches en ressources naturelles, comme certains pays de la CEMAC, afin d’éviter l’érosion de la base d’imposition et les transferts de bénéfices.

De manière plus générale, la mobilisation de recettes pour financer les investissements nécessaires à la réalisation des nouveaux objectifs de développement durables (ODD), pour chaque pays membres du FMI, est pour nous une priorité absolue. Nous travaillons déjà avec plusieurs pays de la CEMAC en ce sens à travers l’assistance technique et la formation.

Par exemple, notre assistance technique au Tchad et en République du Congo se concentre sur le renforcement de l’administration des recettes douanières comme moyen d’élargir l’assiette des recettes non pétrolières. Nous sommes donc prêts à apporter notre concours sur divers aspects de la mobilisation des recettes intérieures.

Qu’en est-il de la troisième priorité — mobiliser la région dans votre propre intérêt? Le commerce intracommunautaire représente moins de 5 % des échanges commerciaux de la CEMAC. Il est possible de faire plus et un travail concerté permettra de produire des synergies évidentes.

En mettant à profit les nouveaux projets d’infrastructure, tels que le port en eaux profondes et les barrages hydroélectriques au Cameroun, la CEMAC pourrait étendre sa portée bien au-delà des frontières nationales de ses pays membres. Elle pourrait exploiter les vastes marchés de consommateurs du Nigéria et de l’Afrique de l’Est et, partant, impulser l’essor du secteur privé et la diversification économique.

Pour cela il faudra agir sur deux fronts : le climat des affaires et l’intégration régionale.

Je commencerai par le climat des affaires. L’expérience mondiale démontre invariablement le rôle important d’un secteur privé dynamique dans la promotion de la croissance et de la diversification. Les indicateurs de compétitivité font apparaître que les pays de la CEMAC auraient beaucoup à gagner d’un rattrapage sur ce terrain.

Il ressort de nos propres analyses qu’en facilitant le paiement des impôts et le commerce intracommunautaire le climat des affaires serait considérablement amélioré. Chaque année, les entreprises doivent consacrer en moyenne 572 heures pour s’acquitter de leurs obligations fiscales dans la CEMAC, contre 304 heures dans d’autres pays africains. Les délais de dédouanement pour les exportations sont de 40 jours, et pour les importations de 50 jours. Des réformes dans ces domaines produiraient d’énormes résultats.

Pour améliorer au mieux sur le climat des affaires, il faut renforcer l’intégration régionale. Le dispositif de gouvernance actuel doit devenir plus efficace à travers la rationalisation du processus décisionnel. La CEMAC pourrait également tirer parti de règles budgétaires régionales cohérentes pour accroître les investissements. Le FMI se tient prêt à fournir son assistance technique dans ce domaine.

À l’évidence, pour approfondir l’intégration régionale, il faudra un effort collectif de la part de tous les pays membres. Le Cameroun, dont l’économie est la plus vaste, la plus diversifiée et la moins touchée de la CEMAC, occupe une place de choix pour maintenir et renforcer la dynamique de l’intégration.

Conclusion

J’en arrive à ma conclusion. Les pays de la CEMAC sont aux prises avec une nouvelle réalité. Face au repli durable des cours du pétrole ils doivent adapter leur politique pour préserver la stabilité macroéconomique et créer de nouvelles sources de croissance. Encore une fois, le FMI peut apporter son concours sous la forme de conseils de politique économique, de renforcements des capacités et de soutiens financiers, le cas échéant.

Je citerai un proverbe équato-guinéen en guise de conclusion : «Si tu rêves de déplacer des montagnes demain, commence ramasser des cailloux aujourd’hui».

Votre diversité est un atout et votre unité, un gage de réussite. En conjuguant vos efforts aujourd’hui, vous pourrez, demain, mettre à profit les dividendes de l’intégration et réaliser la promesse d’une plus grande prospérité pour tous les peuples de la région.

Merci de votre attention.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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