Renforcement des capacités, gouvernance et réforme économique en Afrique, Allocution prononcée par Michel Camdessus, Directeur général du Fonds monétaire international

le 2 novembre 1999

99/23 (F)

Renforcement des capacités, gouvernance et réforme
économique en Afrique

Allocution d'ouverture prononcée par Michel Camdessus,
Directeur général du Fonds monétaire international,
à l'occasion du séminaire inaugural de l'Institut multilatéral d'Afrique
(IMA)1
Abidjan, Côte d'Ivoire,
2 novembre 1999

anglais   

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames, Messieurs,

C'est un plaisir pour moi de vous accueillir à ce séminaire inaugural de l'Institut multilatéral d'Afrique (IMA). Un plaisir, mais aussi un honneur puisque tant d'invités éminents — Premiers Ministres, Ministres, Gouverneurs de banques centrales — sont venus des quatre coins de l'Afrique pour prendre part à cette cérémonie d'ouverture. J'aurais souhaité, vous le savez, pouvoir me joindre à vous en cette occasion. Des engagements antérieurs ne m'ont pas permis hélas d'être présent en Afrique aujourd'hui, mais ils ne m'empêcheront pas, comme vous le voyez, de partager avec vous — grâce aux merveilles des technologies modernes — quelques réflexions sur cet événement qui fera date.

L'inauguration de l'IMA marque en effet une nouvelle étape dans le renforcement des moyens de formation économiques et financiers en Afrique, car trois des partenaires privilégiés du continent africain ont décidé de joindre leurs forces pour apporter directement à cette région le meilleur de leurs moyens de formation. Permettez-moi d'adresser ici mes remerciements les plus chaleureux au gouvernement ivoirien, qui a accepté d'accueillir l'IMA dans ce magnifique pays. Et laissez-moi aussi exprimer ma gratitude à la Banque africaine de développement (BAfD) et à la Banque mondiale, qui n'ont pas ménagé leurs efforts pour permettre à cet institut de voir le jour. Au moment où les responsables africains doivent relever tant de défis majeurs, nous ne pouvons que nous féliciter de retrouver la BAfD et la Banque mondiale à nos côtés pour nous épauler dans cette nouvelle entreprise. Ce partenariat permettra à l'IMA de tirer le meilleur parti des compétences de chaque institution et d'offrir une formation approfondie et concrète dans un large éventail de domaines. Je suis certain que l'IMA sera un atout majeur pour les pays africains dans leurs efforts pour renforcer leurs capacités de gestion économique et financière.

Ceci arrive à point à un moment où l'optimisme — un optimisme prudent -renaît quant aux perspectives de croissance et de développement de l'Afrique subsaharienne. Je ne citerai que quelques chiffres. De 1995 à 1998, la croissance du PIB réel a été en moyenne de 4 % par an et, après une longue période de recul, le revenu réel par habitant a augmenté au rythme de 1 % par an. L'inflation est tombée d'une moyenne de 40 % dans la première moitié des années 90 à 10 % en 1998, et beaucoup de pays africains ont très sensiblement redressé leurs positions extérieure et budgétaire. Nos dernières projections font apparaître une nouvelle amélioration des indicateurs économiques et financiers pour la région en 1999, et tablent sur une confirmation de ces progrès l'an prochain, après le contrecoup de la chute des prix de produits de base en 1998.

Ces résultats encourageants — qu'il s'agisse du redressement macroéconomique ou de la consolidation de nombreuses économies africaines — sont le fruit des politiques économiques et financières avisées et des réformes structurelles qui ont été menées sans faiblir par un certain nombre de pays de la région. Nous sommes heureux, au FMI — et cela vaut aussi, j'en suis sûr, pour nos amis de la Banque mondiale et de la BAfD —, d'avoir pu soutenir leurs efforts par nos prêts concessionnels et, pour plusieurs d'entre eux, par l'aide apportée dans le cadre de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE).

Mais bien que les performances de l'Afrique se soient améliorées et que ses perspectives économiques soient encourageantes, nous ne savons que trop le chemin qui reste encore à parcourir. La croissance du revenu par habitant est positive, c'est vrai, mais elle est encore trop lente, et les revenus demeurent très faibles en termes absolus. Surtout, la pauvreté atteint aujourd'hui des proportions intolérables. S'attaquer à ces problèmes, c'est, pour l'Afrique et ses partenaires, s'attaquer à trois défis majeurs :

  • Le premier, et le plus urgent : un effort concerté pour faire reculer la pauvreté par de nouvelles stratégies de croissance.

  • Le second : accroître l'épargne intérieure et stimuler l'investissement privé, y compris l'investissement étranger.

  • Enfin, accroître la productivité et la compétitivité des économies pour qu'elles puissent tirer pleinement parti de la mondialisation de l'économie.

C'est dire si la tâche proposée aux dirigeants africains est colossale! Et c'est à eux qu'il incombe, au premier chef, de formuler les stratégies à mettre en oeuvre pour faire reculer la pauvreté. Mais ils doivent savoir qu'ils ne sont pas seuls. La communauté internationale est aujourd'hui plus consciente de ces problèmes, et prête à aider les pays africains à atteindre une croissance de haute qualité. Qu'est-ce que cela implique?

Pour les pays africains, de poursuivre avec diligence les efforts qu'ils ont engagés pour renforcer leurs institutions et conduire de sages politiques économiques. Celles-ci s'ordonneront nécessairement autour d'un certain nombre d'actions :

  • Consolider la stabilité macroéconomique, car c'est indispensable pour accroître durablement l'épargne et l'investissement privés.

  • Renforcer le secteur financier en développant les marchés de capitaux, en améliorant le contrôle et la régulation bancaires et en ouvrant ce secteur à la concurrence intérieure et extérieure.

  • Améliorer la gouvernance, la transparence et la responsabilité dans la gestion des ressources publiques et privées; il ne peut pas y avoir de développement satisfaisant là où la corruption sévit.

  • Renoncer aux dépenses publiques improductives, et en particulier aux dépenses militaires excessives, pour permettre une augmentation des dépenses sociales dont l'Afrique a cruellement besoin.

  • Améliorer le cadre légal et réglementaire et renforcer le système judiciaire et son indépendance et l'impartialité de l'État.

  • Accélérer la libéralisation des échanges pour renforcer l'efficacité et la compétitivité des entreprises africaines et encourager l'Afrique à intensifier ses relations commerciales, ce qui facilitera son intégration à l'économie mondiale.

  • Rééquilibrer les secteurs public et privé en restructurant et en privatisant les entreprises publiques ou en les soumettant à la concurrence du marché.

  • Approfondir, enfin, les initiatives d'intégration régionale en veillant à rester dans le cadre d'une libéralisation multilatérale et non discriminatoire des échanges.

Permettez-moi maintenant de passer à la langue de Shakespeare, même si c'est avec l'accent de Molière.

Vous retrouverez dans cette énumération beaucoup d'éléments bien connus de ce qui constitue une saine politique économique. Mais il est de plus en plus manifeste que cette politique doit s'inscrire explicitement dans le contexte d'une stratégie de lutte contre la pauvreté. En d'autres termes, l'objectif primordial de la politique et du financement du développement doit être de remédier à la misère humaine. Comment la communauté internationale peut-elle y contribuer?

Ces derniers mois, justement, la communauté internationale a pris des décisions importantes afin d'alléger le fardeau de la dette des pays les plus pauvres et les plus endettés, en améliorant très sensiblement les modalités de l'Initiative en faveur des PPTE, qui présente deux caractéristiques nouvelles :

  • Un plus grand nombre de pays pourront bénéficier d'un allégement de leur dette plus substantiel, dans des délais plus rapides que ceux qui étaient prévus à l'origine.

  • L'allégement de la dette est explicitement lié à la lutte contre la pauvreté, ce qui répond à une crainte largement partagée : si la charge des obligations du service de la dette est excessive, la qualité des services sociaux de base, aux plus démunis en particulier, risque d'en souffrir. Notre but est d'aider les pays — alors qu'ils entreprennent des réformes, qu'ils stabilisent leur économie et reçoivent une assistance internationale, notamment sous forme d'un allégement très concessionel de leur dette — à améliorer le sort de ceux qui en ont désespérément besoin, en luttant contre la misère.

Quel est le rôle qui revient au FMI dans tout cela? Les programmes qu'il appuie comportent une dimension sociale explicite, et ce depuis bien des années. Mais la relation entre la croissance et le développement social est désormais définie de manière plus précise. Notre guichet concessionnel, la FASR change de nom et devient la Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC), parallèlement aux améliorations apportées à l'initiative de réduction de la dette, ce qui établit une relation tangible entre les deux et donne une nouvelle dimension à notre coopération avec la Banque mondiale. Ce lien avec notre institution-soeur sera essentiel, car la Banque a l'expérience et les compétences requises pour aider les pays à mettre au point leur politique sociale. Les Stratégies de lutte contre la pauvreté, qui seront un instrument crucial pour notre nouvelle facilité, permettront de rassembler en un tout cohérent les apports des organismes internationaux — Banque mondiale, BAfD, Nations Unies et autres donateurs — et de la société civile des pays intéressés, pour aider leurs gouvernements à réaliser les larges objectifs sociaux, tout en permettant au FMI de se cantonner aux domaines où il a un avantage comparatif.

* * * * *

Cela étant dit, voyons comment le nouvel Institut multilatéral d'Afrique peut contribuer à une meilleure compréhension de ces problèmes et au développement des capacités requises pour élaborer et appliquer les politiques qui s'imposent. L'IMA aura pour mission de développer les compétences analytiques et techniques des cadres nationaux, de transmettre les leçons de l'expérience acquise dans d'autres parties du monde, et d'être un lieu privilégié pour les échanges de vues sur les affaires régionales. L'IMA offrira en outre une série de cours et de séminaires ayant trait spécifiquement aux grandes questions de fond auxquelles sont confrontés les pays d'Afrique.

Et nous avons la chance aujourd'hui d'avoir, pour ce séminaire inaugural sur le thème «Renforcement des capacités, gouvernance et réforme économique en Afrique», nombre d'éminents spécialistes particulièrement bien informés, venus d'Afrique et d'ailleurs.

Le FMI contribue au développement des capacités et à l'amélioration de la «gouvernance» surtout en encourageant une meilleure gestion des ressources publiques, qui suppose notamment plus de transparence et de responsabilisation, ainsi que l'établissement d'un environnement économique et réglementaire libéral et stable. Dans le cadre de notre dialogue permanent avec les pays membres, nous donnons la plus haute priorité aux aspects économiques. En aidant les autorités à réformer la fiscalité et l'administration des impôts, ainsi que les procédures budgétaires et la gestion des finances publiques, nous les aidons à faire la chasse aux pots-de-vin, à la corruption et aux autres activités frauduleuses. Notre assistance technique pour la production des statistiques économiques et financières favorise aussi la transparence. En outre, le travail accompli récemment pour que les lettres d'intention soient rendues publiques, de même que les documents-cadres de politique économique, est important non seulement en termes de transparence et de responsabilité, mais aussi parce que les pays peuvent ainsi mieux internaliser les politiques économiques et financières.

La formation que le FMI offre aux cadres nationaux est un outil important de développement des capacités. Notre programme de formation a pris beaucoup d'extension ces dernières années, et s'adresse à un bien plus grand nombre de personnes dans nos pays membres. D'ailleurs, nous notons une augmentation sensible du nombre de cadres africains qui assistent aux cours ou séminaires de l'Institut du FMI : ils étaient près de 300 par an en moyenne entre 1996 et 1999, au lieu de 160 environ pour la période 1991-95. Et il semble bien que la demande va rester très élevée. Nous espérons bien que l'IMA apportera un complément significatif aux efforts de formation du FMI en Afrique. Dans l'année qui vient, il assurera la formation d'environ 400 cadres africains supplémentaires.

Je tiens à souligner que, parallèlement à l'établissement de l'IMA, le FMI entend poursuivre ses activités de formation à l'échelle régionale en collaboration avec la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC), l'Institut ouest-africain de gestion financière et économique et l'Institut de gestion macroéconomique et financière.

D'ici à la fin de l'an 2000, donc sur les quatorze mois qui viennent, l'IMA proposera, en plus de ce séminaire inaugural, 14 cours et séminaires. Ils traiteront de sujets très divers : ajustement macroéconomique et réformes structurelles, contrôle bancaire, programmation financière, finances publiques, privatisations, secteur financier, gestion macroéconomique, croissance économique et réduction de la pauvreté, bonne gestion pour un développement économique durable, développement rural et protection sociale. Vous l'aurez constaté, plusieurs de ces thèmes ont un rapport direct avec le combat contre la pauvreté. Et l'IMA exploitera bien sûr les compétences spécifiques des trois institutions qui le parrainent : la Banque mondiale le FMI et la BAfD. Il aménagera son programme avec souplesse de manière à pouvoir y inclure, si besoin est, des cours ou séminaires spéciaux sur des sujets ayant une pertinence particulière pour les pays africains. Nous comptons bien voir ce programme se développer dans les années qui viennent.

Pour conclure, je souhaite exprimer à nouveau mon appréciation à vous tous qui avez accepté d'être présents aujourd'hui. Je tiens également à remercier le gouvernement de la Côte d'Ivoire et nos collègues de la Banque africaine de développement et de la Banque mondiale pour l'esprit d'innovation et de collaboration qui a présidé à la naissance de cette entreprise commune. J'adresse à l'IMA tous mes vœux de réussite et j'espère avoir bientôt l'occasion de m'y rendre.


1Enregistré à Washington pour être retransmis en vidéo à Abidjan. La première partie de l'allocution a été prononcée en français et la seconde en anglais.



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