Coopération financière multilatérale et lutte contre la pauvreté - Le rôle du FMI - Déclaration liminaire de Flemming Larsen, Directeur, Bureaux européen du FMI

le 7 novembre 2000

Déclaration liminaire de
Flemming Larsen, Directeur du Bureau européen du FMI,
devant la commission
«Articulations entre coopérations bilatérale et multilatérale»
du Haut Conseil de la coopération internationale
Assemblée Nationale, Paris
le 7 novembre 2000

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Haut Conseil de la coopération internationale, mes premiers mots seront pour vous remercier de m’avoir invité, en tant que représentant permanent du Fonds monétaire international (FMI) en Europe, à prendre part à ces auditions. C’est avec plaisir que j’évoquerai avec vous, comme vous me l’avez proposé, deux volets importants de l’action du FMI : la coopération financière multilatérale et la lutte contre la pauvreté.

Le rôle du FMI à l’aube du XXIe

Il n’est pas inutile, pour prendre la pleine mesure du rôle joué par notre institution dans l’économie mondiale contemporaine, de nous remémorer ce qu’a été le demi-siècle écoulé depuis la création du FMI. De tout évidence, l’économie mondiale a connu en l’espace de cinquante ans une mutation sans précédent, au point que beaucoup estiment qu’elle n’a plus grand chose de commun avec le monde hérité de la grande dépression des années 30 et de la seconde guerre mondiale.

Je rappellerai brièvement quelques unes de ces mutations (sept au total) :

  1. L’innovation technologique et les gains d’efficience, tout d’abord. Ils ont amélioré la productivité et les conditions de vie dans une grande partie du monde. C’est grâce au relèvement des niveaux de vie, par exemple, que la demande de services augmente plus vite aujourd’hui que celle des biens manufacturés dans les vieux pays industriels - ce qui crée de nouvelles activités et exige des compétences que nul n’aurait imaginées il y a cinquante ans.
  2. Les progrès des libertés politiques — et, avec elles, de la liberté économique — à travers le monde. Ces progrès ont accru de façon spectaculaire le rôle des forces du marché, et donnent une «prime à la flexibilité» aux entreprises qui se disputent les parts de marché. Certes, les mutations structurelles rapides qu’entraînent l’évolution des techniques et l’intensification de la concurrence ont eu aussi, à l’occasion, des conséquences douloureuses sur le plan social. Mais la société dans son ensemble a incontestablement bénéficié de ces changements.
  3. La redéfinition du rôle de l’État. Il assure une part beaucoup plus limitée de la production depuis l’engagement du processus des privatisations, mais son rôle a gagné en importance dans des domaines tels que la création d’institutions solides, la prestation de services publics, la mise en place de dispositifs de protection sociale ou le maintien de la stabilité financière.
  4. La réorientation des politiques économiques conduites au plan national. Elles aussi ont beaucoup changé, et à plus d’un titre. Jusqu’aux années 70, l’État était considéré comme responsable du plein emploi, qu’il s’efforçait d’atteindre par une politique de gestion active de la demande. Aujourd’hui, les pouvoirs publics conservent bien sûr cette responsabilité, mais on attend d’eux qu’ils contribuent à cet objectif de façon plus indirecte, en s’appliquant à maintenir la stabilité des prix et à conduire une politique financière responsable. La politique budgétaire conserve un certain rôle, mais il s’agit surtout, désormais, d’éviter que d’amples déficits budgétaires ne privent le secteur privé des financements dont il a besoin pour ses investissements. La politique monétaire joue elle aussi un rôle de stabilisation important tout au long du cycle économique, mais beaucoup plus centré sur la stabilité des prix.
  5. Les mutations structurelles. C’est dans ce domaine — où l’on insistait souvent, par le passé, sur la nécessité de réguler l’économie — que les changements ont été sans doute les plus profonds. On s’efforce davantage maintenant de favoriser la libre concurrence, car les forces du marché apparaissent mieux à même d’organiser le système économique que ne peuvent le faire la réglementation ou les décisions administratives. Mais on admet aussi de plus en plus, bien sûr, que les forces du marché doivent opérer dans le cadre de règles et de principes bien définis pour limiter les excès et les échecs du marché.
  6. La libéralisation des échanges internationaux. Les progrès de la démocratie et de la liberté économique au plan national ont encouragé les pays à s’ouvrir aussi sur l’extérieur : les obstacles au commerce international ont été fortement abaissés dans bien des secteurs, et la libre circulation des capitaux est désormais presque totale entre la majorité de nos pays. Et les principales monnaies du monde flottent aujourd’hui librement les unes par rapport aux autres, alors qu’elles étaient liées entre elles par des parités rigides jusqu’au début des années 70.
  7. Dernier point, l’interdépendance entre les nations et la complexité croissante du système économique sont telles, aujourd’hui, que les pays ont de plus en plus de difficultés à résoudre seuls leurs problèmes économiques. Cette prise de conscience a entraîné un resserrement de la coopération économique internationale, et l’on peut tabler sans risque, je crois, sur une poursuite de ce mouvement dans les prochaines décennies.

Il est clair que ces changements ont demandé des adaptations et des ajustements constants de la part de nos pays membres. Il a également été nécessaire d’adapter le rôle du FMI à ces nouvelles conditions afin de nous permettre de continuer à remplir notre mandat primordial, tel qu’il est formulé à l’Article 1 de nos Statuts (ci-joint).

En fait, alors même que le système monétaire international a beaucoup évolué depuis le régime de Bretton Woods — et continue à se transformer — le rôle du FMI s’est étendu, car le nombre de nos pays membres n’a cessé de croître et, tous ensemble, ils recherchent par la coopération des solutions aux problèmes de l’économie mondiale. Mais notre rôle ne se limite pas à servir de foyer de réflexion face aux nouveaux défis : nos pays membres voient dans le FMI une précieuse source d’information et de conseils.

Cela m’amène à souligner deux enjeux économiques et financiers de la plus grande importance pour le FMI et l’ensemble de ses membres.

Premier impératif : mettre sur pied un système financier international solide — la fameuse architecture dont on entend si souvent parler — capable de favoriser la poursuite de l’intégration économique et financière tout en limitant les risques de crises.

Deuxième nécessité pressante : stopper, puis inverser la divergence croissante des revenus qui creuse le fossé entre les nations les plus pauvres et les plus riches. Ce n’est pas seulement un impératif moral, c’est probablement une condition préalable importante pour que le monde connaisse paix et stabilité.

Édifier une architecture financière solide

Nos pays membres s’accordent désormais largement sur l’idée que la libéralisation et l’intégration des marchés financiers permet des gains d’efficacité considérables dans l’affectation des ressources, qui stimulent la croissance et l’amélioration des conditions de vie dans le monde entier.

Mais dans le même temps, il y a des risques, que les récentes crises financières sont venues nous rappeler : la défaillance des marchés, aussi bien que celle de la politique économique, peut créer d’énormes déséquilibres financiers, bientôt suivis par un revirement soudain et brutal du marché.

Fort de ces enseignements, le FMI intensifie ses efforts sur plusieurs fronts :

  • pour évaluer de manière plus transparente la solidité des fondamentaux économiques de chaque pays, en particulier de son secteur financier;
  • pour renforcer la surveillance, de manière à détecter le plus tôt possible les signes de vulnérabilité;
  • pour mieux conseiller les pays membres en leur montrant comment mieux s’armer pour faire face aux chocs externes, par exemple en s’astreignant à respecter des normes et codes de bonne conduite dans divers domaines;
  • pour mieux comprendre les forces qui agissent sur les marchés financiers mondiaux;
  • pour aider les pays à préparer comme il faut le terrain avant de déréglementer les mouvements de capitaux, moyennant des réformes ordonnées;
  • pour assurer un meilleur partage de la charge entre le FMI et les créanciers privés, dès lors qu’il s’agit de résoudre une crise, afin de réduire les risques d’effets pervers et d’éviter de nourrir l’idée que l’aide financière du FMI sert à tirer d’affaire les créanciers privés. (Soit dit en passant, ce partage de la charge est sans doute dans l’intérêt des créanciers privés, car il devrait réduire les incertitudes et les risques de panique.)

Le FMI s’applique sans relâche à s’adapter aux réalités nouvelles et à la nouvelle compréhension que l’on gagne du fonctionnement du système économique et financier mondial, qui semble avoir d’innombrables surprises en réserve.

Le FMI face au problème de la pauvreté

J’en viens maintenant au problème de la pauvreté, qui, je le sais, est au cœur des préoccupations du Haut Conseil.

Les causes de la pauvreté

Le FMI fonde son action contre la pauvreté sur son analyse de l’échec des nombreux pays qui n’ont pas profité de la prospérité que le demi-siècle écoulé a apportée au reste du monde. Ces raisons sont complexes et varient d’un pays à l’autre — erreurs économiques, carences institutionnelles, instabilité politique, troubles civils ou conflits armés chroniques. Tous ces problèmes ont fait obstacle à la mise en place d’incitations économiques appropriées dans ces pays.

L’inefficacité de l’assistance financière apportée par les pays riches, notamment durant la guerre froide, n’est pas étrangère non plus à cette situation. L’aide extérieure a certes joué un rôle clé dans l’augmentation de l’espérance de vie, dont les pays les plus pauvres ont aussi bénéficié. Mais, trop souvent, l’aide généreuse accordée des années durant à des conditions concessionnelles n’a pas suffi à engager ces pays dans la voie d’une croissance durable.

La peur de la mondialisation

Le faible niveau d’investissement direct étranger et d’autres apports de capitaux privés dans les pays pauvres et l’inaptitude apparente de ceux-ci à soutenir une concurrence toujours plus vive sur les marchés d’exportation sont fréquemment avancées pour présenter ces pays comme les laissés-pour-compte du processus de mondialisation qui a marqué les vingt-cinq dernières années. Si l’intégration de plus en plus poussée d’une économie mondiale menée par les lois du marché multiplie les chances offertes aux pays qui peuvent s’appuyer sur des fondamentaux solides, certains observateurs craignent qu’elle ne pénalise trop lourdement les faiblesses économiques et en déduisent qu’il est préférable que les pays pauvres se tiennent à l’écart du processus. Le creusement du fossé entre riches et pauvres explique sans doute aussi, en partie, cette hostilité à la mondialisation et aux «valeurs occidentales», dans lesquelles beaucoup veulent voir le fondement idéologique de l’évolution en cours.

Cependant, dans les pays en développement eux-mêmes, un tel rejet de la mondialisation est rare. En effet, dans leur grande majorité, les pays en développement demeurent convaincus que la mondialisation leur est favorable et que c’est dans ce cadre qu’ils tireront le meilleur parti de leurs ressources.

L’engagement du FMI contre la pauvreté

Nos réunions à Prague nous ont montré qu’il existe un solide consensus au sein de nos États membres — la quasi-totalité du monde — pour que le FMI continue d’assister les pays les plus pauvres, en collaboration avec la Banque mondiale et les autres organisations internationales ou bailleurs de fonds bilatéraux. C’est donc un rejet des thèses avancées par ceux qui, dans le débat sur l’architecture financière internationale, souhaiteraient que le FMI se concentre sur la résolution des crises et la stabilisation financière des pays à revenu intermédiaire ou élevé pleinement intégrés au système financier mondial et se désengage, pour l’essentiel, des économies les plus pauvres.

Il y a, en effet, de multiples raisons pour lesquelles le FMI doit rester engagé dans ces pays. D’abord, notre institution est universelle et a pour mission de servir tous les États membres, y compris les plus démunis. Ensuite, les pays pauvres ont autant besoin de stabilité macroéconomique — c’est-à-dire d’une faible inflation, d’une politique budgétaire responsable et d’un régime de change viable — que les mieux lotis, et, par son mandat, le FMI est tenu de conseiller ses membres sur chacun de ces points. Enfin, notre institution a un rôle essentiel à jouer dans la nouvelle initiative «renforcée» en faveur des pays pauvres très endettés. Cette initiative a pour but d’alléger l’endettement de ceux qui, parmi eux, appliquent des programmes de réforme visant à éradiquer les causes profondes de leur dette et de faire en sorte que l’allégement dont ils bénéficient serve effectivement à faire reculer la pauvreté. Le FMI se concentre surtout sur le volet macroéconomique de ces efforts, et la Banque mondiale sur les mesures de lutte contre la pauvreté. Les autorités et la société civile des pays concernés, pour leur part, sont appelées à assumer une plus grande responsabilité dans l’élaboration des réformes. Ainsi, la lutte contre la pauvreté sera prise en charge par les intéressés.

La lutte contre la pauvreté exige l’engagement de tous

Le FMI souligne depuis longtemps déjà (tout comme la Banque mondiale) que la dette de nombreux pays pauvres a atteint des niveaux intolérables. Nous avons bon espoir que l’initiative renforcée mise en œuvre en 1999 pour aider les plus endettés d’entre eux marquera une avancée majeure dans ce domaine. Jusqu’à présent, dix de ces pays remplissent les conditions requises pour bénéficier d’un allégement de la dette au titre de cette initiative. Nous faisons tout notre possible, au FMI comme à la Banque mondiale, pour porter ce total à vingt d’ici la fin de l’année, et comptons bien aller plus loin l’an prochain.

Mais si l’allégement significatif de la dette de ces pays est une dimension essentielle de la stratégie de lutte contre la pauvreté, il ne saurait suffire à lui seul. D’autres réformes s’imposent d’urgence dans les pays pauvres eux-mêmes, qui doivent consolider leurs institutions, renforcer les incitations économiques et améliorer la gestion des affaires publiques. Et les pays industriels doivent, de leur côté, faire davantage d’efforts pour ouvrir complètement leur marché aux exportations des pays en développement. De même, les économies avancées doivent trouver le moyen de soutenir le revenu de leurs agriculteurs sans recourir aux subventions à l’exportation, qui freinent la mise en place d’une agriculture rentable dans de nombreux pays en développement. Ces réformes, trop longtemps différées, auraient à terme des effets bénéfiques considérables pour les pays en développement comme pour les économies avancées. Enfin, les pays industriels doivent améliorer — en qualité et en volume — leur aide publique au développement (APD). Celle-ci représente à l’heure actuelle moins de ¼ % du PNB des pays de l’OCDE et se situe donc bien en deçà de l’objectif de 0,7 % du PNB que la communauté internationale s’était elle-même fixé. L’écart entre les promesses qui ont été faites et le niveau effectif de l’APD est de l’ordre de 100 milliards de dollars par an.

Malheureusement, si les pays créanciers et de nombreuses ONG continuent de se polariser uniquement sur la réduction de la dette, les autres volets de l’aide aux pays pauvres risquent de ne pas être mis en œuvre. Dans ce cas, les chances de succès de cette stratégie seraient grandement compromises.

À long terme, l’avenir des pays pauvres dépendra de leur aptitude à saisir les chances que peut leur offrir une intégration progressive à l’économie mondiale et de l’aide que la communauté internationale leur apportera dans cette entreprise. Il s’agit de faire en sorte que la mondialisation soit au service de tous, et en particulier des plus démunis. C’est bien ce à quoi le FMI s’efforce de contribuer.



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