Le FMI en Asie et dans l'économie mondiale, Discours de Rodrigo de Rato, Directeur général du FMI

le 24 mai 2006

Discours de Rodrigo de Rato
Directeur général du Fonds monétaire international
Economic Society of Singapore
24 mai 2006

Texte préparé pour l'intervention

1. Je remercie M. Khor de cette très aimable présentation et la Economic Society of Singapore de son invitation à être parmi vous ce soir. C'est un honneur pour moi d'être présent pour cette grande occasion. Je parlerai plus tard de l'évolution du rôle du FMI en Asie et dans l'économie mondiale, mais je souhaiterais commencer par quelques mots sur le thème du changement et de la continuité. Cette réflexion s'inspire des deux événements que nous venons de vivre : l'octroi de la distinction de membre honoraire au Ministre d'État Goh Chok Tong et la remise de prix à ces étudiants exceptionnels pour le concours de dissertation.

2. L'an dernier, le «Minister Mentor» Lee Kwan Yew a donné une entrevue dans laquelle il soulignait la nécessité d'un renouvellement permanent du talent à la tête de Singapour. Je le cite :

«Nous devons nous faire une place où, en dépit de notre petite taille, nous pouvons jouer un rôle qui sera utile pour le monde. À cet effet, nous avons besoin de décideurs prévoyants, intelligents et ouverts aux idées... Il doit donc y avoir un renouvellement permanent de gens talentueux, dévoués, honnêtes et compétents qui agiront non pas dans leur intérêt, mais dans celui de leur peuple et de leur pays».

Ces paroles sont d'actualité ce soir. Depuis de nombreuses années, Singapour illustre les vertus de la continuité et du renouveau. Je suis très heureux d'être parmi vous alors que le ministre Goh Chok Tong, qui a tant contribué au Singapour moderne, reçoit cette distinction. Et les étudiants qui ont rédigé ces excellentes dissertations représentent l'espoir de Singapour, le renouveau permanent dont les pays et les institutions ont besoin pour prospérer dans un monde en mutation.

3. Il est important que l'Asie, comme Singapour, se renouvelle en permanence pour se montrer à la hauteur des nouveaux défis à relever. L'Asie est devenue prospère grâce à son intégration poussée dans l'économie mondiale et est l'un des grands bénéficiaires de la mondialisation, avec ses vastes effets sur les courants d'échanges, les processus de production et les possibilités d'emploi. Mais l'Asie a aussi fait l'expérience des risques et des coûts de la mondialisation financière, et fait face aujourd'hui à de nouveaux problèmes qui résultent de l'accélération de la mondialisation. Je vais évoquer avec vous quelques-uns de ces problèmes et vous présenter quelques idées du FMI qui pourraient être utiles pour nos pays membres en Asie.

4. Commençons par les problèmes :

  • L'intégration des marchés de capitaux a aidé à affecter l'épargne et l'investissement de manière plus efficiente, mais elle a aussi accru les risques résultant de la volatilité des flux de capitaux et de la contagion financière. Comment les pays asiatiques peuvent-ils réduire les facteurs de vulnérabilité intérieurs, éviter les crises et se protéger contre des flux de capitaux élevés et instables?

  • La mondialisation de la production crée des possibilités immenses, mais aussi des problèmes qui pourraient être graves pour les pays asiatiques. Que peuvent faire ceux-ci pour surmonter ces problèmes?

  • Dans le monde entier, la population vieillit et c'est le cas aussi dans quelques pays asiatiques. Comment les gouvernements devraient-ils ajuster leur politique budgétaire pour s'adapter à cette réalité?

5. Permettez-moi maintenant de proposer quelques réponses à ces questions.

  • La première ligne de défense contre les crises doit être un cadre macroéconomique solide, avec des politiques monétaires et budgétaires appropriées. Les pays asiatiques ont accompli de gros progrès dans ce domaine, notamment dans l'assouplissement de leur cadre d'action, mais ils pourraient en faire plus. Par exemple, il me semble nécessaire dans certains pays de recourir davantage à des systèmes de change flexibles et de renforcer la capacité d'absorption des chocs extérieurs. Il est nécessaire aussi dans certains cas de continuer de renforcer le contrôle du secteur financier afin de se protéger contre le risque systémique et d'améliorer la gestion des risques. Le renforcement du gouvernement d'entreprise et des systèmes de faillite plus efficients rendraient aussi les économies plus résistantes.

  • Pour que les pays d'Asie soient compétitifs sur le marché mondial de la production, je recommande de promouvoir le développement des marchés de capitaux et d'assouplir le marché du travail. Il serait utile aussi d'améliorer le climat des affaires, afin d'encourager l'investissement et l'innovation. Et, bien sûr, l'éducation, notamment la mise à niveau des compétences pour préparer les enfants et les adultes à un monde en mutation, reste fondamentale.

  • Pour les pays dont la population vieillit, je recommande d'établir des budgets qui réduisent l'endettement public. La croissance vigoureuse d'aujourd'hui offre une occasion en or de consolider davantage les positions budgétaires et de se préparer aux coûts budgétaires du vieillissement de la population, ainsi que de réduire les facteurs de vulnérabilité.

6. J'espère que le FMI sera un partenaire utile pour l'Asie face à ces problèmes. L'intégration régionale, qui englobe les accords commerciaux, la coopération économique régionale et l'intégration financière, est un processus passionnant qui est en cours aujourd'hui en Asie. L'intégration financière constitue une initiative importante et le FMI la soutient. Demain, je participerai à un séminaire de haut niveau sur cette question, organisé, pour la deuxième fois, par le FMI et l'Autorité monétaire de Singapour, et je me réjouis de poursuivre ce qui a été jusqu'ici un dialogue fructueux sur le sujet.

7. Permettez-moi maintenant de passer à l'évolution du rôle du FMI dans l'économie mondiale. Comme Singapour, le FMI a survécu en alliant la continuité — préserver une base de connaissances, d'expérience et d'intégrité — à l'adaptation constante. Pendant soixante ans, le FMI s'est montré à la hauteur des problèmes rencontrés par l'économie mondiale. Mais nos pays membres continuent de faire face à de nouveaux problèmes et, comme Singapour, nous devons continuellement nous adapter pour les aider à relever ces défis.

8. Le mois dernier, j'ai fait part au Comité monétaire et financier international de mon projet d'application de la stratégie à moyen terme du FMI. Le Comité a pris note avec intérêt de mes propositions et m'a chargé de faire avancer les travaux sur certaines d'entre elles d'ici à l'Assemblée annuelle du FMI, qui se tiendra en septembre ici à Singapour. La stratégie à moyen terme repose sur la conviction que le FMI doit évoluer et se renouveler pour aider ses pays membres à saisir les occasions offertes par la mondialisation du XXIe siècle, ainsi qu'à faire face aux problèmes qui en résultent. Cette stratégie couvre tous les aspects des activités du FMI, mais je voudrais vous parler de trois initiatives, qui, me semble-t-il, sont particulièrement importantes pour les pays asiatiques, et sur lesquelles j'espère accomplir des progrès dans les mois à venir. Il s'agit de la surveillance multilatérale, du financement des pays émergents et de la gouvernance du FMI.

9. L'une des activités les plus importantes du FMI est la surveillance de l'économie mondiale et des économies nationales. Cette surveillance a été bien utile à nos pays membres au fil des années et elle se poursuivra, mais je pense qu'elle doit être complétée par des consultations multilatérales, au cours desquelles des questions particulières d'intérêt mondial ou régional seront examinées en détail et collectivement avec des pays membres systémiquement importants et, le cas échéant, avec des entités formées par des groupes de pays membres. Ces consultations multilatérales seront une nouveauté pour le FMI et nos pays membres, et elles constitueront un outil important pour l'analyse et l'établissement d'un consensus. Elles permettront au FMI et à ses pays membres de s'attaquer aux facteurs de vulnérabilité des pays et du système financier mondial dans une structure qui aide à surmonter certains obstacles à l'action individuelle en soulignant les avantages d'une action conjointe pour tous.

10. Au cours de l'année qui vient, il me semble particulièrement nécessaire que des consultations multilatérales se tiennent à propos des déséquilibres économiques croissants qui menacent la prospérité mondiale. Les signes les plus évidents de ces déséquilibres sont le déficit élevé des transactions courantes des États-Unis — qui a atteint presque 6 1/2 % du PIB en 2005 et devrait être de nouveau aussi élevé cette année — et les excédents élevés des comptes extérieurs d'autres pays, parmi lesquels des pays exportateurs de pétrole tels que l'Arabie saoudite, le Japon et quelques pays émergents d'Asie, en particulier la Chine.

11. Les déséquilibres mondiaux finiront par se résorber. Le risque, c'est que cette correction soit brusque et désordonnée. Par exemple, il pourrait y avoir une chute brutale du taux de croissance de la consommation aux États-Unis, peut-être à cause d'un ralentissement du marché immobilier. Un ajustement désordonné pourrait aussi être causé par l'évolution des marchés financiers. L'évolution des taux de change au cours des derniers mois va dans le bon sens pour faciliter le processus d'ajustement et, jusqu'à présent, ces ajustements sont ordonnés. Mais si soudainement les investisseurs n'étaient plus disposés à détenir des actifs financiers américains aux taux de change et d'intérêt en vigueur, le dollar américain pourrait se déprécier brusquement et les taux d'intérêt américains pourraient grimper. Cela pourrait provoquer des perturbations sur les marchés financiers mondiaux et une récession, avec peut-être de sérieuses répercussions sur les économies ouvertes d'Asie.

12. Les décideurs s'accordent en général sur les mesures qui sont nécessaires pour réduire les déséquilibres mondiaux. La plupart conviennent qu'il faut procéder à un ajustement budgétaire et stimuler l'épargne privée aux États-Unis, laisser les monnaies s'apprécier davantage et dynamiser la demande intérieure dans quelques pays émergents d'Asie, et opérer des réformes structurelles pour doper la demande et accroître la productivité dans le secteur des biens non échangeables en Europe et au Japon. Mais ce consensus ne s'est traduit jusqu'à présent qu'en une action limitée.

13. Je pense que le FMI peut jouer un rôle à cet égard. C'est le moment de coordonner l'action face à ce problème, car partout les décideurs sont de plus en plus conscients de sa gravité. Je pense aussi que l'on s'accorde de plus en plus à reconnaître qu'une action coordonnée produirait de meilleurs résultats qu'une action unilatérale et serait mieux comprise par les opinions publiques nationales. Enfin, je suis d'avis que le rôle du FMI en tant que source indépendante et fiable d'analyse et de conseil aidera les principaux acteurs à passer plus rapidement du diagnostic des problèmes aux solutions.

14. Bien entendu, le processus doit être consensuel : il n'aboutira que si toutes les parties intéressées souhaitent y participer et sont convaincues que les mesures arrêtées conjointement sont dans leur propre intérêt. Cela prendra aussi du temps. Les déséquilibres mondiaux sont un problème complexe, qui persiste depuis de nombreuses années, et l'objectif aujourd'hui n'est pas d'opérer un ajustement rapide — un ajustement brutal des déséquilibres mondiaux, c'est exactement ce que nous souhaitons éviter. Nous souhaitons plutôt engager un processus qui permettra aux déséquilibres mondiaux de se résorber de manière ordonnée et graduelle. Nous devons commencer à collaborer, mais je ne m'attends pas à une réunion spectaculaire ici en septembre ou ailleurs dans un avenir proche. La condition nécessaire au succès est une action volontaire et multilatérale sur une longue période.

15. Passons maintenant à un autre domaine où je considère que le rôle du FMI doit évoluer : la prévention des crises financières et la riposte lorsqu'elles se produisent. À l'heure actuelle, le risque d'une crise financière est sans doute encore faible. La croissance mondiale est vigoureuse et les marchés financiers gèrent bien les derniers développements. Beaucoup de pays émergents, en particulier ici en Asie, ont aussi accumulé des réserves de précaution substantielles. Mais les conditions sur les marchés financiers ne resteront pas éternellement favorables, et le coût financier et le coût d'opportunité des réserves sont élevés. Par ailleurs, dans un monde où les marchés financiers deviennent plus conscients des risques d'inflation et des déséquilibres mondiaux, il est encore plus important pour les pays émergents de continuer de mener une politique macroéconomique solide. Il faut mentionner aussi le risque que le niveau élevé et instable des cours du pétrole commence à freiner la croissance mondiale et à faire monter l'inflation, et le risque d'une pandémie de grippe aviaire, à propos duquel de nombreux pays doivent encore renforcer leurs plans de maintien des activités. À ce sujet, permettez-moi de dire que les qualités de dirigeant du Docteur Lee Jong Wook, Directeur de l'Organisation mondiale de la santé, décédé ce lundi, vont manquer à la communauté internationale. Le Docteur Lee était un défenseur infatigable de la santé publique, en particulier de la santé des pauvres, et il a beaucoup travaillé pour faire mieux connaître les risques de la grippe aviaire.

16. De quoi avons-nous besoin pour prévenir les crises financières et y riposter lorsqu'elles se produisent? Les pays émergents nous disent qu'ils souhaiteraient un instrument qui répond à leurs besoins de prévisibilité et de flexibilité. J'ai donc proposé au Conseil d'administration du FMI de créer un nouvel instrument qui offrirait un financement de montant élevé aux pays émergents dont les données économiques fondamentales sont solides, mais qui restent vulnérables aux chocs. Il s'agirait d'une sorte de volant de liquidités, qui aiderait ces pays à éviter les crises et à y riposter, le cas échéant. Pour être plus attrayant pour les pays émergents que des mécanismes précédents, cet instrument doit offrir des tirages plus automatiques pour les programmes qui sont en bonne voie et des concours financiers initiaux plus élevés. La conditionnalité devrait être ciblée strictement sur les mesures nécessaires pour préserver la stabilité macroéconomique et réduire les facteurs de vulnérabilité. En complément de cette proposition, nous étudierons la possibilité de renforcer l'interaction entre le FMI et les mécanismes de mise en commun des réserves ou de financement régional, tels que l'initiative de Chiang Mai.

17. La mise en place d'un nouveau mécanisme de financement de montant élevé présenterait des avantages pour les pays émergents, notamment ceux d'Asie. Grâce à ce mécanisme, ces pays seraient mieux protégés contre les crises et auraient besoin de moins de réserves de précaution. Le mois dernier, le Comité monétaire et financier international s'est montré favorable à un examen plus approfondi de cette proposition. J'ai l'intention d'entamer les entretiens à ce sujet au sein de notre Conseil d'administration au cours du mois qui vient et j'espère que nous pourrons accomplir des progrès en la matière avant de revenir à Singapour en septembre.

18. Permettez-moi maintenant de passer à la gouvernance du FMI, en commençant par les quotes-parts. La quote-part de plusieurs pays au FMI reflète de moins en moins leur poids économique. Prenons l'exemple de l'Asie. La part de l'Asie dans le PIB mondial avoisinait 22 % en 2003, c'est-à-dire environ un tiers de plus que sa part dans les quotes-parts au FMI. À d'autres égards aussi, l'Asie a pris de l'importance dans l'économie mondiale. Sa part des exportations mondiales dépasse 27 % et sa croissance reste vigoureuse : l'an dernier, elle avoisinait 7 % et nous nous attendons de nouveau au même chiffre cette année.

19. Je crains aussi que le pouvoir de vote des petits pays à faible revenu se soit érodé au fil du temps. Il faut s'inquiéter de l'adéquation de la voix et de la représentation de plusieurs pays pauvres et relativement petits qui continuent d'emprunter au FMI, mais ne disposent que d'une part limitée du nombre de voix au sein de l'institution. Pour répondre à ces préoccupations, on pourrait accroître le nombre de voix de base, c'est-à-dire le nombre minimum et égal pour tous de voix auquel chaque pays membre a droit, sans rapport avec la quote-part.

20. Ce sont des questions complexes, je tiens à le souligner, et il ne sera pas facile d'aboutir à un accord. Mais je pense qu'il est essentiel d'agir dans ce domaine pour assurer l'efficacité de notre institution, notamment en ce qui concerne certaines questions multilatérales que j'ai mentionnées auparavant.

21. Je suis heureux de pouvoir annoncer que mes vues sur l'importance de cette question sont partagées par le Comité monétaire et financier international. Lors de notre réunion le mois dernier, le Comité m'a chargé de formuler des propositions concrètes pour nous attaquer à ces questions d'ici l'Assemblée annuelle. Je suis en train de collaborer avec nos pays membres pour formuler ces propositions. Au stade actuel, j'envisage un processus en deux étapes. Il s'agirait d'aboutir, en septembre à Singapour, à un accord parmi nos pays membres sur des augmentations ponctuelles des quotes-parts pour les pays dont la quote-part correspond manifestement le moins à leur poids dans l'économie mondiale. Dans le même temps, je souhaiterais aussi que l'on convienne de passer à une deuxième étape qui comprendrait des changements plus fondamentaux, à propos des voix de base, des formules de calcul qui pourraient aider à orienter des modifications ultérieures des quotes-parts et peut-être de questions plus générales de gouvernance, notamment la méthode de sélection des membres de la direction.

22. Toutes les questions dont j'ai parlé aujourd'hui — les consultations multilatérales, un nouvel instrument de financement pour les pays émergents et la gouvernance du FMI — sont importantes pour l'avenir du FMI et pour nos pays membres. J'espère que nous pourrons accomplir des progrès dans ces domaines d'ici à notre retour à Singapour en septembre. La réforme et la réorganisation prennent du temps et exigent des efforts, comme vous le savez, mais elles sont essentielles tant pour les pays que pour nos institutions.

23. Je terminerai en remerciant la Economic Society of Singapore, qui nous accueille ce soir, l'Autorité monétaire de Singapour, qui organise le séminaire avec le FMI demain, ainsi que le gouvernement de Singapour, qui accueillera l'Assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale en septembre.

24. Je vous remercie.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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