De nombreux pays avancés ont besoin de réformes structurelles pour améliorer la productivité de leur économie et élever les niveaux de vie sur le long terme. Notre dernière étude montre que la politique budgétaire, par le biais des dépenses publiques ou des incitations fiscales, peut aider les gouvernements à surmonter certains obstacles se dressant sur le chemin des réformes, en particulier en début de parcours. À condition bien sûr que les finances du pays le permettent.
Les réformes structurelles contribuent à stimuler l’emploi, encouragent les créations d’entreprises et améliorent la productivité. C’est ainsi que des réformes appliquées aux marchés des produits, telles que la déréglementation de secteurs comme l’énergie et les transports, peuvent intensifier la concurrence entre les entreprises. Les réformes sur le marché du travail, telles que la baisse des charges patronales et la révision des allocations chômage, peuvent faciliter l’entrée dans les rangs de la main d’œuvre active et la recherche d’emploi.
Certaines de ces réformes peuvent par ailleurs avoir un coût économique sur le court terme et suscitent souvent une forte opposition politique de la part d’intérêts particuliers.
Notre nouvelle analyse montre que :
• Outre qu’elles alimentent la croissance économique, les réformes réduisent le poids de la dette publique sur le long terme. La mise en œuvre de réformes sera donc salutaire pour les États à court d’argent.
• Dans la mesure où les réformes tendent à aiguillonner la croissance et à augmenter les recettes fiscales, leur association à un soutien budgétaire temporaire (sous forme de dépenses sur des projets au rendement élevé ou d’incitations fiscales) peut réduire, au lieu d’alourdir, l’endettement d’un pays à moyen terme, même lorsque ces incitations sont fournies de manière à ne pas creuser le déficit budgétaire.
• Les pays envisageant ces programmes de réformes doivent en avoir les moyens, et présenter des situations budgétaires viables, un cadre budgétaire solide sur le moyen terme et une volonté crédible de procéder à des réformes majeures.
Les réformes profitent à la croissance et aux finances publiques
Nos conclusions reposent sur une nouvelle étude empirique, basée sur des modèles, consacrée aux réformes sur les marchés du travail et des produits dans 26 pays avancés. Elles s’appuient également sur des études de cas plus détaillées concernant des réformes en Allemagne, en Finlande, en Irlande, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
Nous avons constaté que les réformes des marchés du travail et des produits se matérialisent généralement par une augmentation du PIB (de l’ordre de 2–3 % sur le moyen terme, en fonction du type de réforme) grâce à la stimulation de la productivité et de l’emploi.
La croissance du PIB se traduit par une augmentation des recettes fiscales de l’État. Or l’augmentation du PIB et celle des recettes fiscales ont toutes deux pour effet de réduire le ratio dette publique/PIB. De façon générale, cela s’est vérifié à l’occasion de déréglementations des marchés des produits, comme celle appliquée au milieu des années 90 dans plusieurs secteurs de l’économie allemande tels que les télécommunications et l’énergie.
Combien cela coûte?
Nous avons également noté que, dans la mesure où certaines réformes peuvent temporairement réduire plutôt qu’augmenter le PIB, elles peuvent grever les finances publiques. Cela peut se produire lorsque des gouvernements réduisent la protection contre le chômage des titulaires de postes ou réduisent les allocations chômage lorsque l’économie s’affaiblit.
Dans ces cas-là, et ce pour les pays qui peuvent se le permettre, certaines dépenses temporaires sur des projets à rendement élevé ou des incitations fiscales peuvent contribuer à la meilleure efficacité des réformes. Cela engendre des gains budgétaires à moyen terme, lorsque les améliorations de la production apportées par les réformes commencent à se faire sentir. Au cours des premiers stades des réformes, les gouvernements peuvent utiliser des incitations fiscales ou budgétaires pour aider les catégories les plus affectées, ce qui peut contribuer à renforcer le soutien politique autour de cette initiative.
Toutefois, ces politiques peuvent se révéler contreproductives dans les pays aux finances limitées, à moins d’être mises en œuvre sans incidence budgétaire. Par exemple, l’Allemagne, la Finlande et le Royaume-Uni ont réduit la pression fiscale sur les faibles revenus. Mais cet allègement du taux d’imposition sur le revenu a été accompagné de réformes des allocations chômage et d’autres dispositifs de protection sociale, ceci afin d’aider les personnes affectées par les réformes sans creuser le déficit budgétaire.
L’Allemagne, l’Irlande et le Royaume-Uni ont également combiné les incitations aux réformes des marchés des produits avec des mesures qui ont réduit les dépenses publiques (par exemple, en réduisant les impôts sur les sociétés tout en réduisant les subventions aux secteurs d’activité). Parfois, les gouvernements ont fourni des coups de pouce fiscaux, tels que la déductibilité fiscale des moins-values contractées suite à la dérèglementation du secteur des taxis en Irlande, mais seulement après la mise en œuvre des réformes.
Dans certains pays, les efforts destinés à réduire la dette et les déficits publics tout en accompagnant les réformes d’incitations ont supposé des coupes néfastes dans les investissements destinés aux infrastructures.
Le moment et les modalités de l’utilisation des dépenses ou des réductions fiscales au service des réformes des marchés du travail et des produits peuvent varier en fonction des pays. Tout dépend du type de réforme, de la situation économique (phase de prospérité ou spirale négative) et de la capacité de l’État à augmenter ses dépenses ou à réduire ses impôts pour soutenir les réformes.
Les pays disposant d’une marge suffisante dans leurs budgets peuvent l’utiliser pour assurer un soutien immédiat et ponctuel aux réformes, notamment celles destinées au marché du travail lorsque l’économie est faible.
Quelle stratégie pour les pays aux finances serrées?
Ils doivent faire avancer les réformes sur les marchés du travail et des produits, en donnant la priorité à celles qui sont moins onéreuses sur le court terme. Ces réformes réduiront le ratio dette publique/PIB sur la durée et soulageront la pression exercée sur les budgets serrés.
Ces pays peuvent également apporter de l’aide, mais sans incidence budgétaire, dans le cadre d’un programme de réformes global. Par ailleurs, ils doivent faire preuve de bon sens dans la conception des réformes. Cela peut se traduire par l’adoption d’une législation sur l’emploi qui entrera en vigueur un ou deux ans plus tard. Cette stratégie encouragerait les entreprises à investir et recruter sur le court terme, alors que l’économie est encore faible, sans avoir à licencier du personnel.
L’appropriation du processus de réformes est capitale
Enfin, pour l’ensemble des pays, l’intérêt d’apporter un soutien budgétaire au début d’un processus de réforme repose en grande partie sur la crédibilité de l’engagement du gouvernement à mettre en œuvre de façon déterminée des réformes exhaustives et des politiques budgétaires viables.
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Angana Banerji est économiste principale au Département Europe du FMI. Ses travaux actuels portent sur les politiques de la zone euro, en particulier les réformes des marchés des produits et du travail dans l’Union européenne. Depuis qu’elle a rejoint le FMI, Mme Banerji a travaillé sur une vaste gamme de pays avancés, émergents et à faible revenu. Elle a piloté des missions dans plusieurs pays, y compris Chypre.
Era Dabla-Norris est chef de division au Département des finances publiques du FMI. Elle travaille actuellement sur des problématiques ayant trait aux réformes structurelles et à la productivité, à l’inégalité des revenus, aux risques et effets de contagion budgétaires, et aux dynamiques budgétaires et démographiques. Depuis son arrivée au FMI, elle a travaillé sur de nombreux pays avancés, émergents et à faibles revenus. Elle est l’auteure de nombreuses publications sur un large éventail de sujets.
Romain Duval est conseiller au sein du Département des études du FMI, où il pilote le programme consacré aux réformes structurelles. Il est l’auteur de nombreuses publications dans des revues universitaires de politique économique sur des thèmes tels que les réformes structurelles, la croissance, le chômage, l’économie politique des réformes, les cycles économiques, la politique monétaire, les taux de change et le changement climatique. Il est titulaire d’un doctorat en économie.
Davide Furceri est économiste au sein du Département des études du FMI. Il a auparavant officié en tant qu’économiste à la Banque centrale européenne et à l’Organisation de coopération et de développement économiques. Il est l’auteur de nombreuses publications pour des revues universitaires dans le domaine de la macroéconomie, des finances publiques et de la macroéconomie internationale. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’université d’Illinois et d’un doctorat en économie régionale de l’université de Palerme.