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Les entreprises publiques à l’ère de la COVID-19

Vitor Gaspar, Paulo Medas et John Ralyea

La pandémie a mis en valeur le rôle du secteur public dans la protection des vies et des moyens d’existence, un effort auquel participent les entreprises publiques, à savoir les entreprises de services publics qui assurent les services essentiels, ou encore les banques publiques qui avancent des fonds aux petites entreprises. Certaines de ces entreprises éprouvent cependant des difficultés et pèsent sur les budgets publics. C’est notamment le cas des sociétés pétrolières publiques ébranlées par l’effondrement des cours pétroliers et des transporteurs aériens nationaux abandonnés par leurs passagers.

Ces entreprises publiques font partie du quotidien de la plupart des gens. Elles fournissent probablement l’eau que vous buvez, l’électricité que vous consommez et l’autobus ou le métro dans lequel vous vous rendez au travail ou à l’école. Leur nature et leur taille varient : certaines appartiennent exclusivement à l’État alors que d’autres sont plutôt des coentreprises détenues avec des partenaires privés.

Dans le plus récent Moniteur des finances publiques, nous nous penchons sur ces entreprises publiques. Comment ont-elles évolué au cours des dernières décennies ? Comment les pays peuvent-ils en tirer le maximum ? Dans un scénario idéal, elles aident les pays à atteindre leurs objectifs économiques et sociaux. Dans le scénario du pire, elles doivent être secourues à grands frais par l’État et freinent la croissance économique. Tout dépend de la qualité de leur gouvernance et de leur responsabilisation.

Grandes et complexes

Tous les pays ont leurs entreprises publiques. Dans certains pays comme la Chine, l’Allemagne, l’Inde et la Russie, elles se comptent par milliers.

Elles sont souvent des poids lourds de l’économie. Dans les pays émergents et les pays en développement, par exemple, 55 % des investissements totaux dans les infrastructures viennent d’entreprises publiques.

Certaines sont aussi des multinationales et exercent leurs activités à l’échelle planétaire. Avec la multiplication des entreprises publiques dans les pays émergents, leur proportion parmi les 2 000 plus grandes entreprises du monde a doublé pour atteindre 20 % ces 20 dernières années. Leur actif se chiffre à 45 000 milliards de dollars, l’équivalent de la moitié du PIB mondial.

Les rapports entre les États et les entreprises publiques ne vont pas toujours de soi. Les États confient à ces entreprises des objectifs ou des mandats précis : distribuer l’eau potable ou l’électricité, ou construire des routes que le secteur privé ne jugerait pas rentables. Cependant, il arrive souvent que ces mandats ne soient pas suffisamment financés, ce qui a des conséquences pour la population. Les entreprises publiques ne sont pas à la hauteur dans de nombreux pays en développement où plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à un approvisionnement en eau potable sûr et plus de 0,8 milliard de personnes, à une source fiable d’électricité.

Les banques publiques sont un autre exemple. Certains pays comme le Brésil, le Canada, l’Allemagne et l’Inde ont récemment demandé aux banques publiques de participer aux efforts déployés pour atténuer les retombées de la pandémie. Pourtant, les antécédents de nombreuses banques publiques au chapitre du développement économique (leur principal objectif) sont peu convaincants, car elles prennent parfois des risques excessifs, ce qui accroît la vulnérabilité des économies et des populations à d’éventuelles crises.

La surveillance des entreprises publiques est aussi problématique. Nombre de pays ne possèdent simplement pas la capacité requise. L’opacité des activités des banques et autres entreprises publiques demeure un obstacle à la responsabilisation et à la surveillance, et rend possibles l’accumulation et la dissimulation de dettes considérables que les États doivent ensuite éponger, à des coûts qui dépassent parfois 10 % du PIB.

Dans de tels cas, les résultats des entreprises publiques tendent à être inférieurs à ceux des banques privées. Sur la base d’un échantillon d’environ 1 million d’entreprises réparties dans 109 pays, la productivité des entreprises privées dépasse en moyenne d’au moins un tiers celle des entreprises publiques. Ce piètre rendement est imputable en partie à une gouvernance défaillante. Dans les pays où la corruption est moins répandue, la productivité des entreprises publiques est plus de trois fois supérieure à celles des pays où la corruption est endémique.

L’internationalisation des entreprises publiques accentue par ailleurs la perception qu’elles bénéficient d’un avantage déloyal par rapport aux entreprises privées en raison du soutien qu’elles obtiennent de l’État, notamment des prêts à bon marché ou des allègements fiscaux. Cette perception est présente depuis longtemps sur les marchés intérieurs, mais elle a récemment débordé des frontières nationales et elle risque d’entraîner le recours à des mesures protectionnistes.

En donner au contribuable pour son argent

À une époque où les États doivent répondre à des besoins croissants tout en composant avec une dette élevée, le principe fondamental des entreprises publiques devrait être d’éviter le gaspillage de ressources publiques. Voici quatre recommandations à l’intention des pays soucieux d’améliorer les résultats de leurs entreprises publiques :

  1. Il convient de réévaluer périodiquement la pertinence des entreprises publiques pour s’assurer que les contribuables en obtiennent pour leur argent. L’Allemagne, notamment, procède à des examens biennaux. La raison d’être des entreprises publiques dans les secteurs concurrentiels, comme le secteur manufacturier, est douteuse, car les entreprises privées sont en général plus efficientes lorsqu’il est question de fournir de produits et de services.
  2. Les pays doivent encourager les gestionnaires à accroître leur rendement et inciter les organismes compétents à bien surveiller les entreprises publiques. La transparence totale de ces dernières est essentielle au renforcement de leur responsabilisation et à la réduction de la corruption. L’intégration de ces entreprises dans les objectifs relatifs au solde budgétaire et à la dette encouragerait davantage la discipline budgétaire. Certains pays, comme la Nouvelle-Zélande, ont déjà mis en place plusieurs éléments de ces pratiques.
  3. Les États doivent aussi doter les entreprises publiques de moyens financiers suffisants pour s’acquitter de leur mandat économique et social, comme en Suède. Cet aspect est fondamental en situation de crise, car les banques publiques et les entreprises de services publics disposent alors des ressources nécessaires pour, entre autres, subventionner l’octroi de prêts et la distribution d’eau et d’électricité pendant une crise comme l’actuelle pandémie, et promouvoir des objectifs de développement.
  4. La création de conditions de concurrence équitables entre les entreprises publiques et les entreprises privées aurait aussi des effets positifs, car elle favoriserait les gains de productivité et freinerait les velléités protectionnistes. Certains pays, notamment l’Australie et ceux de l’Union européenne, limitent déjà le traitement préférentiel accordé aux entreprises publiques. À l’échelle mondiale, il serait probablement possible de s’entendre sur des principes généraux qui encadreraient le comportement international des entreprises publiques.

Les enjeux sont élevés. Des entreprises publiques bien régies et en bonne santé financière peuvent s’avérer très utiles pendant les périodes de crise comme la pandémie actuelle et promouvoir des objectifs de développement. Toutefois, avant d’en arriver là, de nouvelles réformes seront nécessaires. À défaut, les coûts pour la société et l’économie pourraient être considérables.

 

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Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est directeur du département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant d’entrer au FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu, celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne entre 2007 et 2010, et a été directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. M. Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’université nouvelle de Lisbonne. Il a également étudié à l’université catholique portugaise.

Paulo Medas est chef de division adjoint au département des finances publiques du Fonds monétaire international. Auparavant, il a occupé divers postes au département Europe et au département hémisphère occidental du FMI. Il a été représentant résident du FMI au Brésil de 2008 à 2011. Il a dirigé des missions de renforcement des capacités dans plusieurs pays. Ses domaines de recherche sont la gouvernance et la corruption, les crises budgétaires et la gestion des ressources naturelles. Il est l’un des coauteurs d’un récent ouvrage sur le Brésil (Brazil: Boom, Bust, and Road to Recovery).

John Ralyea est économiste principal au département des finances publiques du Fonds monétaire international. Il a travaillé au département Europe du FMI, notamment dans les équipes chargées de la Roumanie, de la Slovaquie, de la Slovénie et de l’Espagne, et au département financier. Ses travaux de recherche portent sur les risques budgétaires y compris les entreprises publiques, les retraites publiques et les règles budgétaires. Avant son arrivée au FMI, John Ralyea travaillait au département du Trésor des États-Unis. Il est titulaire d’une maîtrise de l’École des hautes études internationales de l’Université John Hopkins. Il a aussi été comptable.

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