Déceptions partagées : comment rendre la croissance économique en Afrique subsaharienne plus solidaire

Par Antoinette M. Sayeh, Directrice, Département Afrique
Fonds monétaire international
Affiché le 19 octobre 2011 par le blog du FMI - iMFdirect

Tout à coup, voilà que tout le monde parle d’inégalité. Pas seulement entre pays, mais au sein d’un même pays.

En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, le chômage des jeunes a déclenché le Printemps arabe. Aux États-Unis, le fossé de plus en plus large entre les riches et les pauvres est
«la motivation première» du mouvement Occuper Wall Street. Partout dans le monde, il semble que la colère des déçus de l’économie soit en train de monter.

Qu’en est-il en Afrique subsaharienne? Une croissance économique soutenue a sans conteste permis des avancées remarquables. Mais une grande partie de la population est encore plongée dans la pauvreté. La région partage donc également les espoirs déçus d’une croissance inclusive.

Une situation complexe

En Afrique subsaharienne, le constat est-il aussi négatif que semblerait le suggérer la diminution relativement lente de l’incidence de la pauvreté et le mécontentement d’une partie de la population? Ou avons-nous affaire à une situation un peu plus complexe?

J’ai écrit en juillet un article sur l’importance d’une croissance fondée sur l’inclusion, dans lequel je me demandais si la croissance économique est une condition nécessaire ou suffisante de la réduction de la pauvreté. La dernière édition des Perspectives économiques régionales de l’Afrique subsaharienne approfondit cette analyse. Elle décrit en effet comment le niveau de vie des ménages les plus pauvres a effectivement évolué dans certains des pays de la région.

Les avancées sur le front de la lutte contre la pauvreté

Voyons tout d’abord ce que nous disent les données existantes sur la pauvreté et la croissance. À l’échelle de l’ensemble de la région, le pourcentage de la population vivant avec moins de 1,25 dollar par jour — en prix internationaux de 2005 — est tombé de 59 % en 1996 à 51 % en 2005. Au cours de la même période, le taux de croissance moyen de la région a plus que doublé, passant de 2¼ % avant 1995 à plus de 5 % au début de la décennie suivante. Il semble donc que la pauvreté ait reculé, mais l’impact de la croissance a été faible et décevant par comparaison avec d’autres régions.

Le tableau change toutefois lorsque l’on approfondit l’analyse des chiffres. Tout d’abord, si l’on compare le rythme auquel la pauvreté a diminué dans les pays les plus performants de la région, on constate que le taux de croissance a bel et bien son importance. Plus celui-ci est élevé, plus le recul de la pauvreté, en moyenne, est marqué. La relation de cause à effet était, semble-t-il, moins forte que dans d’autres parties du monde, mais elle était quand même importante.

Résultats des enquêtes

Les enquêtes auprès des ménages sont encore plus révélatrices. Nous en avons analysé les résultats de manière approfondie pour voir en quoi le sort des ménages a évolué, et pouvoir comparer l’évolution du niveau de vie des familles dans les différentes couches de la population. Il n’aurait pas été surprenant de constater un net recul de la pauvreté dans les pays où beaucoup de ménages se trouvaient initialement juste en dessous du seuil de pauvreté. Mais nous voulions étudier un échantillon de ménages plus large.

Parmi les multiples données qui ressortent des enquêtes auprès des ménages, on trouve des informations sur ce qu’ils consomment, y compris la nourriture qu’ils produisent eux-mêmes. Or, l’évolution des niveaux de consommation au cours d’une période donnée peut nous être très utile pour déterminer si la croissance a été largement partagée. Nous avons donc retracé les courbes de consommation — sur des intervalles de cinq ou six ans — dans six pays assez représentatifs de l’Afrique subsaharienne : le Cameroun, le Ghana, le Mozambique, l’Ouganda, la Tanzanie et la Zambie.

Les vertus d’une croissance élevée

Les résultats de cette étude confortent l’idée qu’une croissance élevée est inclusive.

• Parmi les 25 % les plus pauvres de la population, le niveau de la consommation par habitant a augmenté nettement plus vite que l’inflation dans trois des quatre pays à forte croissance que nous avons étudiés : les augmentations annuelles constatées étaient en moyenne proches de 4 % en termes réels.

• Par contre, la progression de la consommation par habitant chez les ménages pauvres était beaucoup moins évidente dans les deux pays où la croissance a été faible.

• Les résultats obtenus pour le sixième pays étaient ambigus, en raison d’une incertitude quant au mode de calcul de l’évolution des prix.

Il ressort par ailleurs de notre analyse que la création d’emplois dans les zones rurales, en particulier dans le secteur agricole, va de pair avec une croissance plus largement partagée, ce qui dope la croissance de la consommation des ménages pauvres et améliore leur niveau de vie. Cela paraît logique, compte tenu du fait que les ménages ruraux représentent environ deux tiers de la population des six pays à l’étude. Plus précisément :

• En Ouganda et au Cameroun, nous avons constaté que la consommation réelle par habitant a augmenté plus vite chez les ménages pauvres que chez les ménages plus aisés. Parallèlement, l’emploi dans le secteur agricole a fortement augmenté.

• Par contre, la croissance de la consommation des ménages les plus pauvres au Mozambique et en Zambie a été faible ou négative et l’emploi dans le secteur agricole rural a baissé.

Considérations pratiques

Il semble aussi que le niveau d’éducation et la localisation des ménages expliquent pour beaucoup les écarts de consommation. Cela donne des indications précieuses aux gouvernants.

• Par exemple, l’affectation de ressources budgétaires pour améliorer et mieux cibler les services de santé et d’éducation peut rehausser considérablement le bien-être et la capacité de gain des individus vulnérables.

• Des programmes de transferts bien ciblés peuvent rendre la croissance plus solidaire en en distribuant plus largement les fruits.

• Des mesures visant à accroître la productivité agricole, par l’amélioration des intrants ou des investissements dans les infrastructures — énergie, irrigation, ou transports — contribueront à diffuser davantage la croissance au sein de la société.

Le mécontentement des populations pauvres n’est que trop compréhensible. Mais il y a sans doute plus d’espoir que ne le laissent penser les indicateurs de pauvreté. La croissance produit des avancées, même si elles ne sont pas aussi marquées que nous le souhaiterions.

L’objectif, quoi qu’il en soit, est de faire plus. Et nous espérons que les résultats de nos travaux pourront aider les gouvernements à mieux cibler les aides en faveur de ceux qui en ont le plus besoin et à concevoir les politiques ayant le plus de chances de promouvoir une croissance plus équitable et durable.

Antoinette Monsio Sayeh a pris ses fonctions actuelles de Directrice du Département Afrique du Fonds monétaire international en juillet 2008. En tant que Ministre des Finances du Libéria (de janvier 2006 à juin 2008) au lendemain du conflit qu'a connu ce pays, elle a piloté l'apurement des arriérés accumulés de longue date par le Libéria sur sa dette multilatérale, permis au pays d'atteindre le point de décision au titre de l'initiative pour les Pays Pauvres Très Endettés, géré les négociations avec le Club de Paris, et œuvré à l'élaboration de la première Stratégie de réduction de la pauvreté. Ce faisant, Mme Sayeh a considérablement renforcé les finances publiques du Libéria, tout en promouvant la réforme de la gestion des finances de l'État.

Avant d'entrer au gouvernement de la Présidente Ellen Johnson Sirleaf, Mme Sayeh avait travaillé à la Banque mondiale pendant dix-sept ans, en qualité de Directrice des opérations pour le Bénin, le Niger et le Togo, économiste-pays pour le Pakistan et l'Afghanistan, ainsi que comme Conseillère à la Vice-Présidence de la Politique opérationnelle de la Banque et Assistante de son Directeur général principal.

Avant de rejoindre la Banque mondiale, Mme Sayeh a travaillé comme conseillère économique au ministère des Finances et au ministère du Plan du Libéria.

Elle est titulaire d'une licence en économie de Swarthmore College, obtenue avec mention, et d'un doctorat en relations économiques internationales de la Fletcher School de l'université Tufts.



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