La question à mille milliards de dollars : qui détient la dette publique des pays émergents?

Par Serkan Arslanalp et Takahiro Tsuda
Affiché le 5 mars 2014 par le blog du FMI - iMFdirect

Il y a mille milliards de raisons de se soucier de qui détient la dette des pays émergents. C’est la somme en dollars que les investisseurs internationaux ont placée dans ces obligations publiques ces dernières années : mille milliards de dollars. Qui détient cette dette, pour combien de temps et pourquoi elle évolue dans le temps sont autant d’éléments qui peuvent aider à mieux appréhender les risques; un brusque retournement des flux de capitaux peut avoir des conséquences douloureuses. La modification de la base d’investisseurs peut aussi influer sur les coûts d’emprunt d’un État.

Ce que les investisseurs vont faire est une question importante pour les pays émergents, et notre analyse permet de moins jouer à la devinette pour savoir qui détient la dette. Mieux vous connaissez vos investisseurs, mieux vous comprenez les risqué potentiels et ce qu’il faut faire pour les contrer.

Quelques faits

Nous avons établi des estimations comparables et standardisées de la base d’investisseurs pour la dette des pays émergents en suivant la méthode que nous avions élaborée l’année dernière pour suivre les détenteurs de la dette publique des pays avancés.

Nous avons utilisé des données relatives à 24 pays émergents, que nous mettons à la disposition de quiconque voudrait approfondir la question (graphique 1). Les données se rapportent à la période 2004-fin juin 2013.

D’après nos estimations, rien qu’entre 2010 et 2012, 500 milliards de dollars d’investissements étrangers ont été effectués en obligations de pays émergents, dont la plupart par des établissements financiers étrangers autres que des banques (grands investisseurs institutionnels, fonds spéculatifs, fonds souverains). Ces investisseurs détenaient environ 800 milliards de dollars de créances, soit 80 % du total, fin 2012.

Nous avons aussi calculé que les banques centrales étrangères en détenaient environ 40 à 80 milliards de dollars et que ces avoirs semblaient être concentrés dans sept pays : l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Indonésie, la Malaisie, le Mexique et la Pologne.

Si cet argent a coulé à flot vers les pays émergents ces dix dernières années, c’est en partie à cause des améliorations constatées dans la gestion de la dette publique de ces pays. En particulier, les pays émergents ont allongé les échéances de leurs dettes, eu moins recours à l’émission d’instruments à taux flottant et réduit leur dette en devises. Leurs bilans sont ainsi devenus beaucoup plus résistants aux chocs de taux de change et de taux d’intérêt, et les risques liés à l’offre de la dette publique en ont été réduits. Cela explique en partie que les investisseurs étrangers aient été si attirés par la dette publique des pays émergents ces dernières années.

La présence accrue des investisseurs étrangers sur le marché de la dette publique des pays émergents ouvre de nouvelles possibilités mais engendre aussi de nouveaux risques, notamment du côté de la demande. Cette multiplication des investisseurs peut certes faire baisser les coûts d’emprunt et répartir plus largement les risques entre investisseurs, mais, pour les pays bénéficiaires, elle peut aussi accroître les risques afférents aux financements extérieurs. En outre, pour comprendre la dynamique de la demande mondiale d’instruments de dette publique, il est essentiel d’avoir une vision globale de la répartition des investisseurs entre pays. Toute modification de cette répartition est importante, car elle peut avoir des effets sur un grand nombre de pays à la fois.

Avant, durant et après la crise financière mondiale

Nous pouvons distinguer trois périodes durant lesquelles le comportement des investisseurs étrangers à l’égard des différents pays émergents à évolué : avant, pendant et après la crise financière mondiale. Avant la crise, les variations entre pays étaient plutôt modérées : certains enregistraient des entrées et d’autres des sorties. Durant la crise, comme l’on pouvait s’y attendre, cette distinction s’est accentuée. Durant la troisième période (2010–12) nous avons constaté que les flux extérieurs étaient devenus presque entièrement positifs et beaucoup moins différenciés (graphique 2).

Ces entrées peuvent s’expliquer en partie par l’embellie des fondamentaux économiques dans plusieurs pays émergents durant cette période. Cinq d’entre eux ont obtenu ou récupéré une notation de première qualité durant la période 2010–12 : Colombie, Indonésie, Lettonie, Roumanie et Uruguay. La plupart des pays émergents ont bien surmonté la crise et ont renoué avec une forte croissance relativement vite. Cela a sans doute accentué les anticipations d’appréciation monétaire et, partant, alimenté d’autant plus la demande des investisseurs. Par ailleurs, même les pays dont la note de crédit s’était détériorée ou ne s’était pas redressée durant cette période ont continué d’enregistrer des entrées dans une conjoncture de taux d’intérêt proches de zéro dans les pays avancés.

Les pays émergents peuvent se préparer

L’an dernier nous avons mis au point une analyse de l’effet que pourrait avoir une interruption soudaine des flux extérieurs sur les marchés de la dette publique. Notre travail comprenait des scénarios illustratifs pour appréhender les conséquences éventuelles de certaines hypothèses. Il visait à évaluer l’impact d’un choc, et non d’en prédire la probabilité.

Il ressort de nos scénarios que, pour un niveau donné de participation étrangère aux marchés des titres d’État, les pays qui présentent les caractéristiques ci-après tendent à être moins sensibles aux risques liés au financement extérieur :

• Ratio dette/PIB plus faible

• Moindres besoins de financement brut

• Système financier national plus développé

• Marges de liquidités plus importantes pour parer aux chocs exogènes.

Il ressort des scénarios établis qu’il est important de rallonger les échéances de la dette publique, de s’appuyer sur les investisseurs locaux et de maintenir des marges de liquidités afin d’atténuer les retombées d’un retrait brutal des financements étrangers. Dans les pays qui avaient mis en place ces mesures préventives — comme le Mexique et la Pologne — les rendements obligataires ont subi moins de pressions durant l’été 2013, même si la participation des investisseurs étrangers était plus élevée.

Pour toutes ces raisons, les pays émergents ont intérêt à suivre de près qui détient leur dette et pendant combien de temps. Ils doivent intensifier leur communication avec les investisseurs pour mieux comprendre leurs besoins.

Il est essentiel de bien comprendre les avantages et les risques de la participation des investisseurs étrangers. Existe-t-il une répartition optimale entre investisseurs nationaux et investisseurs étrangers? La prochaine édition du Rapport sur la stabilité financière dans le monde offrira des éléments de réponse.

Source : Arslanalp et Tsuda (2014).

Note : Analyse basée sur les scores z qui mesurent la part relative des ventes ou acquisitions nettes de titres d’État par des investisseurs étrangers par rapport aux normes historiques. Les entrées (sorties) importantes correspondent à un score z supérieur à 1 (inférieur à -1); les entrées (sorties) modérées correspondent à un score z entre 0,5 et 1 (entre -1 et -0,5). Les flux extérieurs excluent les prêts officiels et sont corrigés pour tenir compte des variations de taux de change.

Notices biographiques :

Serkan ArslanalpSerkan Arslanalp est économiste principal à la Division des marchés de la dette et des marchés de capitaux du Département monétaire et des marchés de capitaux du FMI. Il collabore au Rapport sur la stabilité financière dans le monde sur les questions liées aux risques souverains, à la stabilité financière et aux marchés de capitaux. Le Japon est le dernier pays auquel il a été affecté; il y était chargé des tests de résistance du secteur bancaire dans le cadre du Programme d’évaluation du secteur financier. Il avait précédemment exercé les fonctions d’économiste du Département des finances publiques du FMI dans plusieurs pays dans le cadre des activités de revues de programmes et de surveillance. Il est titulaire d’une licence de sciences économiques du Massachusetts Institute of Technology et d’un doctorat dans le même discipline de l’Université de Stanford.

Takahiro Tsuda Takahiro Tsuda est expert en secteur financier de la Division des marchés de la dette et des marchés de capitaux du Département monétaire et des marchés de capitaux du FMI. Ses responsabilités couvrent les analyses des marchés de dette souveraine et la politique de gestion de la dette. Il a collaboré à plusieurs éditions du Rapport sur la stabilité financière dans le monde. Avant de rejoindre le FMI il était employé par le Ministère des Finances du Japon.



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