Subventions énergétiques dans le monde : environ 5000 milliards de dollars !

Par Sanjeev Gupta et Michael Keen

Le 18 mai 2015

Dans leur blog, Ben Clements et Vitor Gaspar rappellent que les subventions énergétiques dans le monde sont encore considérables, que des réformes s’imposent d’urgence dans de nombreux pays et que la période actuelle est particulièrement propice pour agir dans ce domaine. Nous précisons ici ce que nous entendons par «subventions énergétiques», donnons des détails sur leur estimation et expliquons pourquoi elles restent élevées malgré la chute récente des cours internationaux de l’énergie (graphique 1).

Nos dernières estimations des subventions énergétiques mondiales révèlent que les subventions «avant impôt» — celles dont bénéficient les ménages et les entreprises lorsqu’ils paient l’énergie moins cher que son coût de production — sont moins élevées qu’il y a quelques années. En revanche, les subventions «après impôt» — qui ajoutent aux subventions avant impôt un montant correspondant aux dommages provoqués par la consommation d’énergie sur, entre autres, l’environnement et la santé ainsi que le bénéfice d’une taxe favorable sur la valeur ajoutée ou sur les ventes — restent extrêmement élevées et dépassent même très largement nos estimations précédentes.

Si les subventions avant impôt ont diminué, les coûts en termes d’efficience résultant de la non-prise en compte des dommages environnementaux, entre autres, et de la non-contribution aux recettes, sont quant à elles encore plus élevées que nous le pensions. Il demeure donc urgent de réformer les prix de l’énergie, et ce dans un grand nombre de pays, tant parmi les pays avancés que parmi les pays en développement. La chute des cours internationaux du pétrole n’a pas fait disparaître le problème. Mais elle offre une très bonne occasion d’avancer vers la mise en place d’un système plus efficace de fixation des prix de l’énergie.

Subventions avant et après impôt

Dans une étude antérieure, le FMI estimait que, à l’échelle mondiale, les subventions avant impôt avaient atteint 492 milliards de dollars (0,7 % du PIB mondial) en 2011, dont près de la moitié était attribuable à un petit nombre de pays en développement exportateurs de pétrole. Cette étude introduisait la notion plus large de subventions après impôt pour prendre en compte les deux éléments suivants :

• La dégradation de l’environnement — sous forme de réchauffement climatique, pollution locale, encombrements et accidents sur les routes— qui résultent de la consommation d’énergie est tout aussi réelle que les coûts d’approvisionnement traditionnels (même si elle est plus difficile à mesurer) et les prix que paient les consommateurs devraient tenir compte de ces «externalités» négatives. Il existe en principe d’autres instruments qui sont mieux adaptés pour remédier à certaines de ces externalités, par exemple le péage pour remédier aux encombrements sur les routes. Mais les taxes sur la consommation d’énergie restent le moyen le plus pratique, le plus efficace et le plus efficient jusqu’à ce que ces autres instruments soient utilisés de façon plus généralisée (Parry et al, 2014);

• Le besoin de recettes concerne aussi bien les produits énergétiques que n’importe quel autre bien. Cela signifie que l’énergie devrait être soumise au taux de TVA ordinaire ou à une autre taxe générale sur la consommation.

On peut donc considérer que le fait de ne pas fixer les prix de l’énergie en tenant compte de ces facteurs revient à accorder une subvention. D’ailleurs, ce type d’estimation est désormais largement utilisé, notamment dans une étude récente de la Commission européenne.

Pour estimer les subventions après impôt, il faut non seulement mesurer et évaluer des dégâts environnementaux qui sont souvent incertains et varient d’un pays à l’autre, mais aussi attribuer une valeur monétaire à la vie humaine.

En 2013, lorsque nous avons publié nos premières estimations des subventions après impôt, nous les avions chiffrées pour 2011 au montant considérable d’environ 2000 milliards de dollars (2,9 % du PIB mondial) à l’échelle de la planète. Fait important, nous estimions qu’elles concernaient à la fois les pays avancés et les pays en développement, ce qui mettait en évidence la nécessité d’une réforme mondiale des prix de l’énergie.

Cependant, à l’époque, on ne savait pas grand-chose de l’ampleur des dégâts environnementaux causés par la consommation de combustibles fossiles dans les différents pays. Cette étude se contentait d’extrapoler à partir de trois études de cas existantes (pour les États-Unis, le Royaume-Uni et le Chili). Cette fois, nous avons incorporé des estimations plus précises des dégâts environnementaux causés par les combustibles fossiles en nous fondant sur une étude récente du FMI. Nous avons aussi actualisé les données relatives aux prix, à la consommation et au revenu.

Estimations anciennes et nouvelles

Dans notre mise à jour, les subventions avant impôt sont estimées à 541 milliards de dollars (0,7 % du PIB mondial) en 2013 (année la plus récente pour laquelle on dispose de données) et nous prévoyons qu’elles tomberont à environ 333 milliards de dollars (0,4 % du PIB mondial) en 2015, en raison de la chute des prix internationaux de l’énergie et de la répercussion incomplète de la diminution des prix internationaux sur les prix intérieurs à la consommation.

On estime aujourd’hui que les subventions énergétiques mondiales après impôt ont atteint le montant faramineux de 4900 milliards de dollars (6,5 % du PIB mondial) en 2013 et on s’attend à ce qu’elles restent élevées en 2015, à 5300 milliards de dollars (6,5 % du PIB mondial) — malgré la chute récente des prix internationaux de l’énergie (graphique 2).

Cette augmentation considérable des subventions après impôt par rapport aux chiffres de 2011 a plusieurs explications :

• Pour environ 40 %, elle tient à l’inflation, à la croissance du revenu réel et à la mise à jour des données concernant les prix et la consommation des produits énergétiques;

• Pour environ 30 %, elle est attribuable à l’estimation des dégâts environnementaux sur la base des données nationales relatives aux taux d’émission de gaz polluants (pour les usines et les véhicules), au nombre de personnes exposées à la pollution de l’air, aux encombrements et aux accidents de la route, etc.;

• Pour 15 % environ, elle découle de l’inclusion des dégâts pour lesquels on ne disposait pas d’estimations auparavant (oxydes d’azote et particules fines émises par les centrales électriques); et

• Pour 15 % environ, elle fait suite à la prise en compte de nouvelles informations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’augmentation des risques de maladie en raison de la pollution.

Effets budgétaires positifs d’une réforme des prix de l’énergie

Il est important de savoir que l’augmentation des recettes rendue possible par une réforme des prix de l’énergie sera nettement plus faible que le montant estimatif des subventions, parce que, si les prix de l’énergie augmentent, les entreprises et les ménages réduiront leur consommation d’énergie et auront recours aux technologies permettant de réduire les émissions. En tenant compte le mieux possible de ces comportements, nous chiffrons l’augmentation des recettes consécutive à la suppression des subventions après impôt à 3000 milliards de dollars en 2013 (4,0 % du PIB mondial) et à près de 2900 milliards de dollars (3,6 % du PIB mondial) en 2015. C’est là un dividende budgétaire considérable qui pourrait être utilisé pour réduire la fiscalité sur le travail et le capital de manière à renforcer la croissance économique ou pour effectuer les investissements si nécessaires dans les services de santé et l’enseignement de base.

En même temps, une réforme des prix de l’énergie réduit sensiblement la nécessité de subventionner les énergies renouvelables et constitue le moyen le plus efficace d’encourager l’utilisation des instruments disponibles pour atténuer les effets nocifs sur l’environnement des activités économiques.

*************


Sanjeev Gupta
est Directeur adjoint au Département des finances publiques du Fonds monétaire international (FMI). Avant de rejoindre le FMI, il a été membre du Kiel Institute for the World Economy, en Allemagne; professeur titulaire à l’Administrative Staff College of India, à Hyderabad, et Secrétaire de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie indiennes, à New Delhi. Il a d’abord exercé au sein du Département Europe du FMI, qu’il a rejoint en 1986, puis a travaillé au Département Afrique. M. Gupta a publié de nombreux ouvrages sur des questions de politique macroéconomique et budgétaire. Il a été le co-auteur ou directeur de nombreuses publications, dont : Governance, Corruption, and Economic Performance, dont il a assuré la direction avec G. Abed, en novembre 2002; Helping Countries Develop: The Role of Fiscal Policy, codirigé avec B. Clements et G. Inchauste, en septembre 2004; et The Economics of Public Health Care Reform in Advanced and Emerging Economies, codirigé avec B. Clements et D. Coady, en avril 2012.


Michael Keen
est Directeur adjoint du Département des finances publiques du Fonds monétaire international, où il a également dirigé les divisions de la politique fiscale et de la coordination fiscale. Avant de rejoindre le FMI, M. Keen a enseigné les sciences économiques à l’Université de l’Essex et a été professeur invité à l’Université de Kyoto. Il a dirigé des missions d’assistance technique dans une trentaine de pays sur un grand nombre de dossiers liés à la politique fiscale, et fourni des services de conseil à la Banque mondiale, à la Commission européenne et dans le secteur privé. Il a siégé au conseil d’administration de la National Tax Association aux États-Unis et au conseil de rédaction de l’American Economic Journal: Economic Policy, International Tax and Public Finance (dont il a été un des co-fondateurs), du Journal of Public Economics, de la Review of Economic Studies et de nombreux autres périodiques. Il est co-auteur des ouvrages The Modern VAT, Taxation of Petroleum and Minerals et Changing Customs.



DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

Relations publiques    Relations avec les médias
Courriel : publicaffairs@imf.org Courriel : media@imf.org
Télécopie : 202-623-6220 Télécopie : 202-623-7100