Grèce : bilan des critiques et perspectives d’avenir

Par Olivier Blanchard, Conseiller économique et Directeur, Département des études, FMI
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Le 09 juillet 2015

Tous les regards sont tournés vers la Grèce, à l’heure où les parties en présence s’efforcent encore de parvenir à un accord durable, suscitant des débats passionnés et certaines critiques acerbes, y compris à l’endroit du FMI.

Dans ces circonstances, il m’a semblé utile d’engager une réflexion sur les principales critiques pour tenter d’éclairer certains grands points de discorde et signaler une issue éventuelle.

À mon sens, les principales critiques peuvent être rangées dans quatre catégories :

• Le programme de 2010 n’a servi qu’à alourdir la dette et a exigé un ajustement budgétaire excessif.

• Le financement accordé à la Grèce a servi à rembourser les banques étrangères.

• Les réformes structurelles nuisibles à la croissance et l’austérité budgétaire ont provoqué une dépression économique.

• Les créanciers n’ont rien appris et ils continuent de commettre les mêmes erreurs.

Critique 1: Le programme de 2010 n’a servi qu’à alourdir la dette et a exigé un ajustement budgétaire excessif.

• Même avant le programme de 2010, la dette grecque s’élevait à 300 milliards d’euros, soit 130 % du PIB. Le déficit représentait 36 milliards d’euros, soit 15½ % du PIB. La dette accusait une progression annuelle de 12 %, ce qui à l’évidence était insoutenable.

• Si la Grèce avait été livrée à elle-même, il lui aurait tout simplement été impossible d’emprunter. Avec des besoins de financement bruts de 20-25 % du PIB, elle aurait dû réduire son déficit budgétaire d’autant. Même avec un défaut de paiement total, vu un déficit primaire de plus de 10 % du PIB, elle aurait dû comprimer son déficit budgétaire de 10 % du PIB du jour au lendemain. Cela aurait entraîné des ajustements beaucoup plus douloureux et un coût social bien plus élevé que dans le cadre des programmes, qui ont accordé à la Grèce plus de cinq ans pour parvenir à un solde primaire équilibré.

• Même si la dette existante avait été entièrement éliminée, il aurait fallu réduire le déficit primaire, considérable au début du programme. L’austérité budgétaire n’était pas un choix, mais une nécessité. Il n’y avait simplement d’autre possibilité que de comprimer les dépenses et de relever l’impôt. La réduction du déficit a été forte car au départ le déficit lui-même était élevé. «Moins d’austérité budgétaire», c’est-à-dire un ralentissement de l’ajustement budgétaire, aurait exigé un financement encore plus important doublé d’une restructuration de la dette; or, il y avait une limite politique à ce que les créanciers officiels pouvaient exiger de leurs propres contribuables.Even before the 2010 program, debt in Greece was 300 billion euros, or 130% of GDP. The deficit was 36 billion euros, or 15½ % of GDP. Debt was increasing at 12% a year, and this was clearly unsustainable.

Critique 2 : Le financement accordé à la Grèce a servi à rembourser les banques étrangères.

• La restructuration de la dette a été retardée de deux ans. Il y avait des raisons à cela : la crainte d’un risque de contagion (la chute de Lehman était encore présente dans les esprits), et l’absence de coupe-feu pour contenir cette contagion. Ces raisons étaient-elles suffisamment valides? C’est tout un débat. Dans le feu de l’action, les risques étaient jugés trop élevés pour engager une restructuration.

• En partie à cause de ce report, une part importante des fonds alloués au premier programme a servi à rembourser les créanciers à court terme, et à remplacer la dette privée par de la dette publique. Cela dit, l’opération de sauvetage n’a pas profité qu’aux banques étrangères; les déposants et les ménages grecs en ont aussi bénéficié car un tiers de la dette était détenu par des banques grecques et d’autres établissements financiers nationaux.

• Qui plus est, les créanciers privés n’étaient pas sortis d’affaire et en 2012 la dette a été substantiellement réduite : l’opération de 2012 liée à la participation du secteur privé a entraîné une décote de plus de 50 % sur environ 200 milliards d’euros de dette détenue par le privé, ce qui a abouti à une réduction de la dette de plus de 100 milliards d’euros (soit 10.000 euros par citoyen grec).

• En outre, le remplacement des créanciers privés par des créanciers publics est allé de pair avec une nette amélioration des conditions d’emprunt, à savoir taux inférieurs au marché et échéances longues. Ainsi, les paiements d’intérêt sur la dette grecque représentaient l’année dernière 6 milliards d’euros (3,2 % du PIB), contre 12 milliards d’euros en 2009. Pour le présenter sous une autre forme : les paiements d’intérêt de la Grèce étaient inférieurs, en part de PIB, à ceux du Portugal, de l’Irlande ou de l’Italie.

Critique 3: Les réformes structurelles nuisibles à la croissance et l’austérité budgétaire ont provoqué une dépression économique

• Vu la déplorable croissance de la productivité affichée par la Grèce avant le programme, plusieurs réformes structurelles semblaient s’imposer : depuis la réforme de l’administration fiscale, jusqu’à la réduction des barrières à l’entrée dans beaucoup de professions, ou aux réformes des retraites, des conventions collectives ou de la justice, pour n’en citer que quelques-unes.

• Beaucoup de ces réformes n’ont pas été exécutées ou ne l’ont été que partiellement. Les efforts consentis pour améliorer le recouvrement de l’impôt et le civisme fiscal ont totalement échoué. La résistance était redoutable à l’ouverture des secteurs et professions fermés. Seules 5 des 12 revues que le FMI devait réaliser dans le programme en cours ont été menées à terme, et une seulement a été achevée depuis le milieu de 2013, en raison du blocage des réformes.

• La baisse de la production a en effet été bien plus forte que prévu. Les multiplicateurs ont été supérieurs aux hypothèses initiales. Cela dit, le rééquilibrage budgétaire n’explique qu’en partie le repli de la production. D’autres facteurs y ont contribué, à commencer par une production supérieure au potentiel, les crises politiques, des initiatives discordantes, des réformes insuffisantes, les craintes d’un Grexit, une faible confiance des entreprises ou bien encore la fragilité des banques.

Critique 4: Les créanciers n’ont rien appris et ils continuent de commettre les mêmes erreurs

• En 2015, l’élection d’un gouvernement ouvertement opposé au programme a davantage réduit l’appropriation de ce dernier, d’où la nécessité de le revoir, tant du point de vue des politiques à mettre en œuvre que du financement.

• Des réformes structurelles plus limitées ou un ajustement budgétaire plus lent se traduisent nécessairement par une augmentation des besoins de financement et, logiquement, par une nécessité accrue d’allégement de la dette. Pour prendre un cas extrême, si les créanciers européens étaient disposés à effacer purement et simplement toute la dette et à accorder d’autres financements, l’ajustement deviendrait pratiquement inutile. Mais à l’évidence il y avait et il y a toujours des limites politiques à ce qu’ils peuvent attendre de leurs contribuables.

• Autrement dit, une solution réaliste devait passer par un certain degré d’ajustement, un certain degré de financement et un certain degré d’allégement de la dette, bref par une démarche équilibrée. Le rôle du FMI dans les négociations consistait à exiger des ajustements spécifiques crédibles aux politiques mises en œuvre et à montrer clairement les conséquences sur le plan du financement et de l’allégement de la dette.

• Nous estimions qu’un modeste excédent primaire, appelé à s’accroître dans la durée, était absolument nécessaire pour préserver la viabilité de la dette. À regarder la situation budgétaire de près, il était difficile d’y parvenir sans réformer la TVA, pour élargir l’assiette, et sans réformer le retraites pour en viabiliser le système. Sur ces points, notre position rejoignait entièrement celle de nos partenaires européens.

• Jusqu’au référendum et ses retombées potentielles pour la croissance, nous étions persuadés qu’à partir de ces hypothèses d’excédent primaire il était possible d’assurer la viabilité de la dette par le rééchelonnement de la dette existante et par le rallongement des échéances des nouveaux emprunts. C’est ce que faisait apparaître l’analyse de viabilité de la dette (AVD) préliminaire que nous avions produite avant le référendum. Nos partenaires européens, à qui nous avions signalé bien avant la publication de l’AVD qu’un allégement était nécessaire, ont jugé cette analyse trop pessimiste. Nous estimons que la situation actuelle pourrait fort bien exiger un financement encore plus important, ne serait-ce que pour accompagner les banques, et un allégement de la dette encore plus poussé que celui prévu dans notre AVD.

Une issue possible

1. Compte tenu des résultats du référendum et du mandat que le peuple grec a accordé à son gouvernement, nous pensons qu’il serait encore possible de parvenir à un accord. Celui-ci doit s’appuyer sur un ensemble de politiques proches de celles examinées avant le référendum, en apportant des amendements pour tenir compte du fait que le gouvernement sollicite désormais un programme triennal, et pour traduire de manière plus explicite la nécessité d’un financement et d’un allégement accrus.

2. En substance, la zone euro se trouve devant un choix politique : qui dit abaissement des réformes et des objectifs budgétaires pour la Grèce dit coûts plus élevés pour les pays créanciers. Dans ce contexte, le rôle du FMI n’est pas de recommander une décision particulière, mais de mettre en lumière les conséquences des choix entre moins d’ajustement budgétaire et moins de réformes structurelles, d’une part, et la nécessité d’un financement et d’un allégement plus importants, d’autre part.

3. Les possibilités d’un accord sont extrêmement minces et le temps presse. Il ne devrait faire aucun doute que la sortie de la zone euro serait extrêmement coûteuse et pour la Grèce et pour ses créanciers. L’adoption d’une nouvelle monnaie et la modification des contrats en conséquence soulèvent des questions juridiques et techniques d’une très grande complexité, et elles s’accompagneraient vraisemblablement d’une chute encore plus marquée de la production. La dépréciation de la nouvelle monnaie mettrait probablement beaucoup de temps à inverser sensiblement la tendance..

En somme, nous restons persuadés qu’il existe une issue. Le FMI est déterminé à aider la Grèce à traverser cette période de turbulences économiques. Comme le pays n’a pas effectué un paiement qui arrivait à échéance le 30 juin 2015, le FMI ne sera pas en mesure d’accorder de financements tant que les arriérés n’auront pas été apurés. Nous avons toutefois proposé d’offrir une assistance technique, si elle était sollicitée, et restons pleinement présents.

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Olivier Blanchard, ressortissant français, a fait carrière à Cambridge (États-Unis). Après avoir obtenu un doctorat en économie au Massachusetts Institute of Technology en 1977, il a enseigné à l’université Harvard, puis est retourné en 1982 au MIT, qu’il n’a plus quitté. Il détient la chaire de professeur d’économie Class of 1941 et a été directeur de la faculté d’économie. Il est actuellement en congé du MIT et occupe les fonctions de Conseiller économique et Directeur du Département des études du Fonds monétaire international.

Il est spécialiste de la macroéconomie et a travaillé sur des sujets très variés — rôle de la politique monétaire, nature des bulles spéculatives, nature du marché du travail et facteurs déterminants du chômage, ou encore transition dans les anciens pays communistes. Ce faisant, il a travaillé avec un grand nombre de pays et d’organisations internationales. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles, dont deux manuels de macroéconomie, l’un écrit en collaboration avec Stanley Fischer pour les étudiants de troisième cycle, l’autre destiné aux étudiants des premier et deuxième cycles.

Il est membre de l’Econometric Society et siège à son Conseil, il a été vice-président de l’American Economic Association et il est membre de l’American Academy of Sciences.



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