Changement climatique : Le prix de Paris

Par Victor Gaspar, Michael Keen et Ian Parry
Affiché le 11 janvier 2016 par le blog du FMI - iMFdirect

L’Accord de Paris sur le changement climatique est un succès diplomatique historique. Le changement climatique est un problème mondial. Beaucoup croyaient illusoire toute recherche d’une solution à l’échelle mondiale car si la réduction des émissions a des effets positifs au niveau planétaire, c’est au niveau national que ses coûts sont assumés : les intérêts nationaux rendraient impossible un accord effectif. Paris a montré qu’il en était autrement, en créant une communauté d’objectif au niveau mondial.

À la base de l’Accord, il y a les engagements de réduction des émissions au niveau national et les échéanciers, présentés par 186 pays. L’Accord établit également les procédures à suivre pour l’actualisation et pour l’évaluation des progrès accomplis vers ces engagements nationaux. L’opinion exercera sur les gouvernements une pression considérable pour les pousser à tenir ces engagements. Comment peuvent-ils réussir? Comme nous le démontrons dans notre nouvelle étude, la clé est de déterminer le juste prix de l’énergie.

Les justes prix

D’après les estimations du FMI, en 2015 les prix de l’énergie sous-estimaient le vrai coût de l’utilisation des énergies fossiles – les coûts d’approvisionnement plus les préjudices qu’inflige la consommation d’énergie aux êtres humains et à l’environnement – de 5.300 milliards de dollars au total (soit 6½ % du PIB mondial). Cette estimation du total mondial des subventions à l’énergie donne un ordre d’idées des coûts invisibles que la consommation d’énergie fait peser sur l’économie et sur l’environnement. Le réchauffement planétaire ne représente que 25 % de ces subventions mondiales. Les 75 % restants sont imputables aux répercussions sanitaires de l’exposition à la pollution atmosphérique, ainsi qu’à la tarification insuffisante des effets secondaires locaux (par exemple, embouteillages) des véhicules à moteur, des coûts de la fourniture d’énergie et des taxes générales sur la consommation. Et les bienfaits obtenus en réduisant ces impacts grâce à une réforme de la tarification de l’énergie se font sentir, dans l’ensemble, dans le pays qui accomplit la réforme. Cela signifie également – et c’est une bonne chose - que l’intérêt national suffit largement à justifier qu’un pays fasse l’effort de réaliser une juste tarification de l’énergie.

Le juste prix de l’énergie passe par la tarification du carbone

Le fait est que les entreprises et les ménages ne paient pas le prix des conséquences environnementales de leurs émissions, essentiellement de dioxyde de carbone (CO2), causées par la combustion d’énergies fossiles. Il est capital que ces émissions soient correctement comptabilisées et payées.

La tarification du carbone est la première chose à faire en ce sens. Le mécanisme du prix met en action toute l’ingéniosité humaine dans la recherche de toutes les marges d’atténuation possibles : réduire la consommation d’énergie; passer des modes de génération d’énergie «sales» aux modes plus propres; encourager l’innovation et le progrès technologique.

Selon nous, la fiscalité est le meilleur vecteur pour mettre en œuvre la tarification du carbone. Dans l’idéal, il s’agit d’élargir le droit d’accise sur le carburant (impôt bien établi dans la plupart des pays et l’un des plus faciles à administrer) pour inclure une redevance sur le carbone et d’appliquer une redevance similaire à d’autres produits pétroliers, au charbon et au gaz naturel. Les recettes ainsi dégagées peuvent servir à stimuler l’économie, par exemple en réduisant les impôts sur le travail et sur le capital qui exercent un effet dissuasif sur le travail et l’investissement, ce qui contribuera à compenser l’effet négatif de ce renchérissement du prix de l’énergie sur l’économie.

Si les gouvernements optent pour des systèmes d’échange de droits, il faudrait concevoir des mécanismes fonctionnant comme un impôt, avec des droits vendus aux enchères qui compléteraient les recettes fiscales, et des prix plafond et plancher. Une tarification robuste et prévisible envoie le signal déterminant qui pousse les acteurs à réorienter l’effort technologique vers des investissements à faibles émissions. La plupart des engagements d’atténuation pris à Paris s’accompagnent de niveaux cible d’émission, mais il serait préférable de les atteindre en moyenne dans la durée (avec des prix prévisibles) plutôt que d’avoir des valeurs fixes à respecter d’une année sur l’autre (avec des prix non prévisibles). Les services du FMI évaluent actuellement les différents types de trajectoires de tarification que les pays devraient suivre pour y parvenir.

Une quarantaine de gouvernements nationaux et plus de vingt autorités infranationales ont adopté une forme ou une autre de tarification du carbone. C’est une très bonne chose, mais cela ne traite qu’une infime partie du problème. Ces dispositifs couvrent environ 12 % des émissions mondiales (pourcentage qui doublera lorsque la Chine comptabilisera les émissions industrielles en 2017) et les prix sont généralement trop bas (environ 10 dollars la tonne ou moins). Il faudrait que les pays aillent progressivement vers une plus large couverture des émissions et vers des prix plus en phase avec leurs engagements d’atténuation.

L’émergence d’une multitude de systèmes de tarification de niveau national appelle à une coordination internationale pour donner plus d’efficacité à ces efforts. Il est un mécanisme naturel pour y parvenir qui consisterait à établir des prix plancher du carbone (comparables à une taxe minimum pour les droits d’accise ou la taxe sur la valeur ajoutée dans l’Union européenne). Cela offrirait une certaine protection contre l’effet compétitivité et permettrait à certains pays, s’ils le souhaitent, de fixer des prix plus élevés que le plancher.

Nouvelles technologies

Les renouvelables et les autres formes de «technologies vertes» intéressent beaucoup les médias. Les techno-optimistes nous annoncent l’avènement d’une nouvelle révolution industrielle; il est important, à cet égard, que les gouvernements soutiennent l’innovation et le développement de technologies plus propres. Cela étant, pour que ces nouvelles technologies puissent voir le jour et être largement diffusées, il faut que les entreprises aient intérêt à les adopter -  c’est le facteur déterminant. Le moyen le plus efficace d’y parvenir passe par un juste prix du carbone. Faute de mécanismes incitatifs de ce type, compter sur le seul progrès technologique pour remédier au défi du changement climatique revient à tirer des plans sur la comète.

Pour poursuivre et concrétiser le succès de l’Accord de Paris, nous devons établir de justes prix pour l’énergie, et agir dès maintenant.

Pour en savoir plus sur les travaux du FMI en matière d’environnement et d’énergie, consulter cette page.

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Vitor GasparVitor Gaspar, ressortissant portugais, est Directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé plusieurs postes de direction au Banco de Portugal, notamment en dernier lieu celui de Conseiller spécial. Il a été Ministre d’État et des finances du Portugal entre 2011 et 2013. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne entre 2007 et 2010, et a été Directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. M. Gaspar détient un doctorat et un diplôme postdoctoral en économie de l’Universidade Nova de Lisboa; il a également fait des études à l’Universidade Católica Portuguesa.

Michael KeenMichael Keen est Directeur adjoint du Département des finances publiques du Fonds monétaire international, où il a également dirigé les divisions de la politique fiscale et de la coordination fiscale. Avant de rejoindre le FMI, M. Keen a enseigné les sciences économiques à l’Université de l’Essex et a été professeur invité à l’Université de Kyoto. Il a dirigé des missions d’assistance technique dans une trentaine de pays sur un grand nombre de dossiers liés à la politique fiscale, et fourni des services de conseil à la Banque mondiale, à la Commission européenne et dans le secteur privé. Il a siégé au conseil d’administration de la National Tax Association aux États-Unis et au conseil de rédaction de l’American Economic JournalEconomic Policy, International Tax and Public Finance (dont il a été un des co-fondateurs), du Journal of Public Economics, de la Review of Economic Studies et de nombreux autres périodiques. Il est co-auteur des ouvrages The Modern VATTaxation of Petroleum and Minerals et Moderniser la douane.

Ian ParryIan Parry est Expert principal en politique budgétaire et environnementale au sein du Département des finances publiques du FMI. Ses domaines de spécialité sont l’analyse budgétaire du changement climatique, l’environnement et les questions liées à l’énergie. Avant d’entrer au FMI en 2010, il était titulaire de la chaire Allen V. Kneese en économie de l’environnement au sein du think-tank Resources for the Future.



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