Accélérer le développement du secteur financier pour doper la croissance en Afrique subsaharienne

Anne-Marie Gulde-Wolf
13 juillet 2016

À bien des égards, un développement financier plus approfondi – à savoir l’augmentation des dépôts et des prêts, mais aussi la facilité d’accès à ces instruments et une plus grande efficience du secteur financier – est positif pour la croissance durable en Afrique subsaharienne. D’abord, il permet de mobiliser l’épargne et de l’orienter vers des usages productifs, en apportant par exemple un capital d’amorçage à de futurs champions de l’innovation, d’où une meilleure allocation des ressources et globalement, plus de productivité.

Ensuite, il favorise l’émergence d’une plus grande variété de produits et services, une meilleure gestion des risques, des paiements plus faciles et, pour les prêteurs, un meilleur suivi de la situation de leurs clients. Il permet aux ménages et aux entreprises de bénéficier d’instruments, tels qu’assurances, et d’informations qui les aident à mieux faire face aux revers de fortune, ce qui confère plus de stabilité à la consommation et à l’investissement.

Avec l’affaiblissement des perspectives de croissance de la région, il faut, aujourd’hui plus que jamais, s’intéresser aux facteurs propices à la croissance. Dans la dernière édition desPerspectives économiques régionales de l’Afrique subsaharienne nous évaluons dans quelle mesure des établissements et des marchés financiers développés, plus efficaces et plus accessibles pourraient aider la croissance, et nous examinons les politiques qui contribueraient le mieux à exploiter ce potentiel.


Des progrès notables, mais beaucoup reste à faire

Pour appréhender pleinement les bienfaits du développement financier, observons les progrès encourageants des pays d’Afrique subsaharienne durant les dernières décennies.

D’abord, l’Afrique subsaharienne a été à l’avant-garde de l’adoption des services financiers sur mobile, surtout en Afrique de l’Est. La rapide propagation de systèmes comme M-Pesa, M-Shwari et M-Kesho au Kenya, a rendu les transactions plus faciles et moins chères, malgré l’absence d’infrastructures financières traditionnelles. La microfinance, au service des clients plus pauvres, a elle aussi connu un développement rapide, et les services financiers en général sont désormais accessibles à de larges segments de la population (graphique 1).

Mais l’inclusion financière, qui mesure la possibilité d’utilisation des services financiers par l’ensemble des couches de population, reste très à la traîne du reste du monde en développement. Comme les pauvres, les populations moins éduquées et les femmes sont toujours plus nombreux à posséder un téléphone mobile, il existe un potentiel considérable de mise en valeur des paiements mobiles pour suppléer aux carences des modes traditionnels de prestation des services financiers aux populations mal desservies.

Deuxièmement, le secteur financier s’est, certes, approfondi : la médiane régionale du ratio crédit au secteur privé/PIB a doublé depuis 1995. Pourtant, hormis dans les pays à revenu intermédiaire, la profondeur du marché financier et le développement institutionnel restent très en-deçà des autres régions.

Troisièmement, des banques panafricaines – établissements à capitaux africains et opérant dans plusieurs pays – existent désormais dans une grande majorité de pays d’Afrique subsaharienne. Leur expansion est venue combler le vide laissé par les banques européennes et américaines, favorisant l’intégration économique et stimulant la concurrence dans le secteur. Mais, comme c’est souvent le cas lorsqu’un phénomène se développe rapidement dans le monde de la finance, les banques panafricaines ont amené dans leur sillage un cortège de défis nouveaux, en particulier la nécessité de renforcer la surveillance consolidée et transnationale et d’améliorer le contrôle interne et la transparence dans ces établissements.


Un gisement de croissance encore inexploité

Jusqu’à quel point les pays d’Afrique subsaharienne peuvent-ils vraiment espérer développer leur secteur financier? L’observation d’un indice combinant diverses dimensions du développement financier révèle un important écart entre le niveau de développement financier actuel de nombre de pays d’Afrique subsaharienne et celui qu’ils pourraient atteindre au vu des résultats d’autres régions aux structures similaires.

Il reste donc un important potentiel de développement financier, rattrapage qui représenterait environ 1½ point de croissance supplémentaires pour le pays médian d’Afrique subsaharienne, avec des variations d’un groupe de pays à l’autre (graphique 2).


Nous montrons aussi qu’un développement financier plus poussé peut atténuer la volatilité de la croissance, surtout lorsque le niveau initial est relativement faible, comme c’est le cas de la plupart des pays de la région (graphique 3). En l’occurrence, le développement financier abaisse les obstacles au crédit et apporte des instruments qui permettent de mieux faire face aux chocs négatifs. En revanche, à mesure que le secteur financier s’approfondit, sa contribution à la réduction de la volatilité s’amenuise car il peut alors contribuer à propager et amplifier les chocs.

Préserver la stabilité, tant au niveau macroéconomique qu’institutionnel

Quelles stratégies peuvent donc aider les pays d’Afrique subsaharienne à exploiter ce potentiel?

Notre analyse montre que durant ces dernières décennies le développement financier de la région s’est largement appuyé sur l’amélioration des fondamentaux macroéconomiques, mais qu’il a souffert de la faiblesse des institutions. Offrir des cadres juridiques et institutionnels plus solides et notamment un gouvernement d’entreprise plus robuste présente une importance cruciale pour créer un environnement propice au développement et à l’épanouissement du secteur financier.

Mais les pays doivent aussi se montrer vigilants quant aux risques pour le système financier et à leurs retombées sur l’économie réelle. Dans beaucoup de pays, la législation n’est pas totalement conforme aux bonnes pratiques internationales, et son application laisse encore à désirer : il est donc essentiel de renforcer non seulement le cadre réglementaire et la capacité de supervision, mais aussi les pouvoirs d’exécution. Parmi les nombreuses autres réformes souhaitables, il faudrait en toute priorité harmoniser les réglementations et les procédures de supervision afin d’éviter l’arbitrage réglementaire, et établir un mécanisme pour la résolution des institutions financières non viables.

Enfin, il importe que les organes de supervision financière surveillent étroitement les risques liés aux transactions monétaires mobiles, auxquelles recourent de plus en plus les populations à faible revenu, pour assurer la sécurité des fonds des ménages, tout en leur permettant de profiter de cette plus grande facilité de transaction, d’épargner pour faire face aux coups durs ou d’emprunter pour créer une entreprise.
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Anne-Marie Gulde-Wolf, ressortissante allemande, est Directrice adjointe au Département Afrique du FMI. Elle supervise les travaux et la définition des orientations du Département pour un grand nombre de pays d’Afrique centrale et australe, dont l’Afrique du Sud, le Botswana, la Namibie, le Lesotho et le Swaziland, ainsi que les pays de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale. Elle coordonne également les travaux du Département sur le secteur financier. Avant de rejoindre le Département Afrique en 2012, Mme Gulde a été Directrice adjointe du Département Europe et occupé plusieurs postes au sein du Département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Titulaire d’un doctorat en relations économiques internationales de l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, elle est l’auteur de publications sur les régimes de change, la stabilité financière et le développement.