La main-d'oeuvre de la zone euro vieillit, ce qui ralentit la croissance

Affiché le 17 août 2016 par - iMFdirect

Par Shekhar Aiyar, Christian Ebeke et Xiaobo Shao

Parallèlement au vieillissement démographique général, la main-d’œuvre de la zone euro prend aussi de l’âge. Cela pourrait ralentir l’augmentation la productivité dans les années à venir, ce qui constitue un problème supplémentaire pour les États déjà aux prises avec l’héritage de la crise, y compris le chômage et l’endettement élevés.

La population de la zone euro va considérablement vieillir au cours des deux prochaines décennies, pour deux raisons. Primo, le nombre des retraités va augmenter par rapport à celui des personnes en âge de travailler (15–64). Secundo, l’âge moyen des travailleurs au sein de la population active, beaucoup moins étudié, va augmenter : la part des 55-64 ans va croître d’un tiers, passant de 15 à 20 %, durant les vingt prochaines années (graphique 1).

Quel impact ce «vieillissement des effectifs» peut-il avoir? Si les différentes tranches d’âge ont des niveaux de productivité différents, il est clair que la productivité moyenne sera affectée par l’évolution de la répartition par âges. Mais dans quel sens?

Il existe différentes théories à propos des l’incidence de l’âge sur la productivité. D’un côté, l’expérience professionnelle accumulée par les travailleurs plus âgés les rend plus productifs. De l’autre côté, leur santé plus précaire et l’obsolescence de leurs compétences pourraient réduire leur productivité, au moins au-delà d’un certain seuil. Bien qu’il soit difficile de généraliser les conclusions pour l’ensemble des professions, la plupart des études s’accordent sur l’idée que la productivité croît d’abord avec l’âge, culminant entre les 40 et 50 ans. Puis elle diminue.

Estimations empiriques

Nous utilisons un échantillon de pays européens au cours de la période 1950 – 2014 pour examiner le rapport entre le vieillissement de la main-d’œuvre et la productivité du travail. Après correction de divers écueils économétriques — dont la causalité inverse —, nous constatons que le vieillissement de la main-d’œuvre fait baisser sensiblement la production par travailleur. Une hausse de cinq points de la part des travailleurs de 55 à 64 ans va de pair avec une diminution d’environ 3 % de la productivité du travail.

Les variations de productivité du travail — autrement dit de la production par travailleur — peuvent se décomposer en deux catégories : variations du montant de capital physique et humain utilisé et «productivité totale des facteurs» ou PTF. La PTF mesure l’efficacité avec laquelle l’économie transforme les intrants en extrants. Sur le long terme, la PTF est le principal moteur de la croissance économique.

Nous constatons que la PTF est principal canal par lequel le vieillissement de la main-d’œuvre agit sur la productivité du travail. En particulier, une hausse de 5 points de la part des travailleurs de 55 à 64 ans va de pair avec une baisse de la PTF de 2 à 4 %.

Qu’est-ce que cela signifie pour les pays de la zone euro?

Premièrement, le vieillissement pèse considérablement sur l’augmentation de la productivité à moyen et long terme. Comme le montre le graphique 2, la hausse moyenne de  la PTF est d’environ 0,8 % par an. Elle pourrait être un quart plus élevée — donc augmenter de 1 % par an — si on supprime l’effet du vieillissement de la main-d’œuvre. Cela contraste vivement avec le résultat qu’on obtient aux États-Unis, où on ne prévoit pas de vieillissement de la main-d’œuvre (en fait, elle doit légèrement rajeunir), et donc un impact négligeable sur la PTF.

Deuxièmement, le poids du vieillissement de la main-d’œuvre est inégalement réparti entre les pays membres de la zone euro. L’inquiétant, c’est que certains des effets les plus négatifs sur la productivité vont se faire sentir dans les pays qui en ont le moins les moyens, tels que la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Italie. Ces pays ont déjà un endettement élevé et peu de marge de manœuvre budgétaire, et ont besoin d’une hausse de productivité rapide pour renforcer leur compétitivité et faire baisser le chômage.

Quelles sont les mesures qui marchent?

La bonne nouvelle, c’est que l’action des pouvoirs publics a son importance. Nous constatons que diverses interventions peuvent atténuer l’impact du vieillissement de la main-d’œuvre sur la progression de la productivité (graphique 3).

Les conditions sanitaires — mesurées dans notre étude par la disponibilité de médecins— sont particulièrement importantes. Une progression suffisante de cet indicateur peut réduire sensiblement les effets négatifs du vieillissement sur la productivité. Si la qualité des soins de santé est clairement dans l’intérêt de toutes les tranches d’âge, il y a des chances pour que les personnes âgées consomment plus de services médicaux et bénéficient de manière disproportionnée des efforts des pouvoirs publics en faveur de l’amélioration des soins.

Les réformes de politique active des marchés du travail centrées sur la formation ou la reconversion sont une autre manière importante d’atténuer les effets du vieillissement. Comme l’amélioration des soins, ces programmes de formation sont disproportionnellement bénéfiques pour les travailleurs âgés, dont les qualifications sont souvent à la traîne de l’évolution des nouvelles technologies et des compétences professionnelles. D’autres réformes publiques — telles que la réduction de l’écart entre l’impôt sur le revenu brut et le revenu après-impôt, grâce à la diminution de l’impôt sur l’emploi marginal ou les investissements dans la recherche-développement — peuvent aussi aider.

Shekhar Aiyar est Chef de division adjoint au Départment Europe du FMI. Il a travaillé sur une large gamme de pays d’Europe, d’Asie et d’Afrique. Ses sujets d’étude comprennent la macroéconomie internationale, la réglementation bancaire, la croissance économique et le rôle de la chance dans les compétitions internationales de cricket. Il est titulaire d’un doctorat de Brown University.

Christian Ebeke est économiste au Départment Europe, et fait partie de l’équipe chargée de la zone euro. Il travaillait précédemment avec l’équipe chargée de la Pologne, couvrant les finances publiques et le secteur réel. M. Ebeke a publié divers articles sur des sujets traitant de la stabilité macroéconomique, des finances internationales, de la politique budgétaire, des ressources naturelles et des migrations internationales. Il est titulaire d’un doctorat de l’Université d’Auvergne en France.

Xiaobo Shao est analyste de recherche au Département Europe, où elle est chargée au sein de l’équipe chargée de la zone euro de nombreux dossiers liés aux perspectives macroéconomiques, à la stabilité financière et aux politiques monétaires. Mme Xiaobo Shao a aussi travaillé avec l’équipe chargée d’Aruba sur le secteur réel et le secteur extérieur. Elle est titulaire d’une maîtrise en Finances de l’Université de Floride.