Les effets transfrontières positifs des mesures budgétaires

Par Patrick Blagrave, Giang Ho, Ksenia Koloskova et Esteban Vesperoni
27 septembre 2017
Les politiques budgétaires nationales, en matière de dépenses publiques par ex., peuvent entraîner des effets de débordement significatifs pour les pays voisins. (Photo: Ymgerman/iStock/GettyImages).


Au lendemain de la crise financière mondiale, des politiques de relance budgétaire ont été largement recommandées pour atténuer la récession. Ces politiques étaient censées se révéler particulièrement efficaces parce que leur impact sur l’activité économique tend à être plus fort lorsque, d’une part, la demande est inférieure à l’offre et, d’autre part, les banques centrales maintiennent les taux d’intérêt à un niveau bas. Cela entraînerait en outre d’importantes retombées positives par-delà les frontières (effets de débordement).

Près de dix ans plus tard, la conjoncture s'est améliorée. Les effets de débordement des mesures budgétaires ont-ils encore une importance aujourd'hui, dans un contexte marqué par une diminution des capacités inutilisées et par une politique monétaire moins accommodante? La réponse est oui. Notre analyse, au chapitre 4 des Perspectives de l’économie mondiale d’octobre 2017, indique que leur ampleur dépend de la nature des mesures budgétaires (dépenses publiques ou impôts) et de la conjoncture dans le pays qui produit le choc budgétaire et dans ceux qui en perçoivent les effets.

Les conditions économiques sont un facteur crucial

Sur la base des recherches innovantes menées par Auerbach et Gorodnichenko (2013), nous examinons un large éventail de mesures budgétaires — liées tant à des dépenses publiques qu'à des impôts, tant à des expansions qu'à des consolidations budgétaires — et étudions dans quelle mesure les effets de débordement budgétaire dépendent des conditions économiques, sur la base d'un large échantillon de pays avancés et émergents.


Notre étude empirique indique de façon très probante que la conjoncture influe sur l'ampleur des effets de débordement dus à la politique budgétaire.

Il est intéressant de constater que cela vaut à la fois pour le pays qui prend des mesures budgétaires et pour ceux qui profitent de leurs effets de débordement. Les forces qui tendent à amplifier les retombées nationales de la politique budgétaire influent également sur les effets de débordement dont bénéficient d'autres pays.

Concrètement, les effets de débordement peuvent être nettement plus importants qu'en temps normal si des capacités sont inutilisées ou si les taux d'intérêt doivent être maintenus à un niveau faible malgré l'augmentation de la demande. Par exemple, pour une augmentation du déficit budgétaire correspondant à 1 % du PIB dans un grand pays important pour le système (comme les États-Unis), la production dans le pays bénéficiaire augmenterait d'environ 0,1 % s'il présente des capacités inutilisées, et d'environ la moitié de ce chiffre dans le cas contraire. Dans le même ordre d’idées, si le taux d'intérêt est exceptionnellement bas, la hausse de la production pourrait être quatre fois plus élevée qu'en temps normal.

Ce phénomène est tout à fait explicable:

ü Une politique budgétaire expansionniste serait plus susceptible de nuire à l'emploi dans le secteur privé lorsque le taux de chômage est faible — c'est-à-dire lorsqu'il y a moins de capacités inutilisées. Les répercussions nettes sur l'économie nationale sont ténues, tout comme les effets de débordement pour les partenaires commerciaux (demande d'importations accrue). De même, si les pays bénéficiaires ne présentent pas de capacités inutilisées, la demande extérieure, plus élevée, risque d’évincer l’activité dans d’autres segments de l’économie, atténuant ainsi l’impact total.

ü Lorsque la politique monétaire n'est pas capable ou désireuse de contrer les effets d'une mesure budgétaire sur la demande et les prix, l'effet national de cette mesure est plus marqué, tout comme l'évolution de la demande d'importations. Cette logique s'applique aussi du point de vue des bénéficiaires: si la demande extérieure change en raison d'une mesure budgétaire prise dans un autre pays, l'effet est plus important lorsque la politique monétaire ne contrecarre pas cette impulsion extérieure.

De l'importance de l'instrument budgétaire: dépenses ou impôts?


Les mesures de relance budgétaire ne donnent pas toutes lieu aux mêmes répercussions nationales et effets de débordement. D'une manière générale, une augmentation des dépenses publiques — pour développer les infrastructures, par ex. — est supposée avoir le plus de retombées, puisqu'elle stimule directement la production et peut renforcer les capacités de production de l'économie. Ces deux éléments entraîneraient une hausse de la demande d'importations, et donc un coup d'accélérateur plus important pour les autres pays. A contrario, les baisses d'impôts n'ont qu'une incidence indirecte sur la production, car leur effet dépend des décisions d'épargne et de dépense des entreprises et des particuliers.

Ces prévisions sont confirmées par notre analyse empirique, qui indique qu’une augmentation des dépenses publiques correspondant à 1 % du PIB a un impact plus fort sur la production des autres pays (environ 0,15 %) qu’une baisse d’impôts d’une ampleur équivalente, dont l'impact ne s'élèverait qu'à environ 0,05 % (les chiffres présentés dans ce graphique ne distinguent pas les effets de débordement en fonction des conditions économiques).

Implications pour la politique budgétaire actuelle

Notre analyse fournit des informations sur les effets transfrontières potentiels des politiques budgétaires nationales. Par exemple, des mesures de relance budgétaire fondées sur une hausse des investissements publics en Allemagne entraîneraient des effets de débordement significatifs pour les pays voisins en Europe dans lesquels la production reste en-deçà du potentiel et les taux d'intérêts sont exceptionnellement bas. L'augmentation des investissements publics est également susceptible de profiter davantage aux autres pays que des baisses d'impôts. Inversement, compte tenu de la conjoncture aux États-Unis, une politique de relance budgétaire dans ce pays n'aurait probablement que de faibles effets de débordement, surtout si elle était mise en œuvre au moyen de mesures fiscales.
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Patrick Blagrave est économiste à la Division de la surveillance multilatérale du Département des études du FMI. Il a auparavant travaillé à la Division modélisation économique du Département des études du FMI, ainsi qu'au département international de la Banque du Canada. Ses recherches portent principalement sur la modélisation économique (prévision et grands modèles semi-structurels) et sur les mécanismes des effets de débordement transfrontières. Il est titulaire d'une maîtrise en économie de la Queen’s University (Canada) et d'une licence en économie de l'université Mount Allison (Canada).


Giang Ho est économiste au Département des études du FMI. Elle est titulaire d'un doctorat de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Elle s'intéresse principalement à des questions de macroéconomie appliquée (croissance, productivité et marché du travail).


Ksenia Koloskova est économiste à la Division de la surveillance multilatérale du Département des études du FMI. Elle a contribué aux travaux du département sur de nombreux sujets qui vont de la faiblesse de l'inflation mondiale au ralentissement de la productivité. Elle a auparavant travaillé au Département Europe du FMI et a réalisé un stage au sein du Département des finances publiques du FMI. Ses recherches portent sur la politique budgétaire, les inégalités et les méthodes quantitatives. Elle est titulaire d'un doctorat en économie de l’université Bocconi (Italie).


Esteban Vesperoni est économiste principal au Département des études du FMI. Il est titulaire d’un doctorat de l’Université du Maryland, à College Park. Il s'intéresse principalement à l'étude macroéconomique des économies ouvertes (taux de change, flux de capitaux, dette et crédit).



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