Des emplois plus nombreux et plus technologiques pour tous grâce à la croissance inclusive

Stefania Fabrizio et Andrea F. Presbitero
4 décembre 2017

Pretoria (Afrique du Sud) : des techniciens à l’œuvre dans une nouvelle locomotive (photo: Zhai Jianlan Xinhua News Agency/Newscom).

La croissance démographique et l’innovation technologique ne sont pas nécessairement synonymes d’inégalité croissante dans les pays en développement. Elles peuvent également ouvrir de nouvelles perspectives pour la croissance et l’emploi : leur impact à long terme dépend des décisions prises aujourd’hui. Ces décisions ne sont toutefois pas simples, car les politiques propices à une croissance durable et inclusive ne coïncident pas toujours avec les besoins à court terme. L’analyse de ces contradictions permet de déterminer comment concilier les objectifs à court terme et à long terme afin d’assurer une croissance durable et inclusive.

La croissance démographique et l’automatisation

Contrairement aux pays avancés, qui sont déjà confrontés aux problèmes du vieillissement de la population et de la raréfaction de la main-d’œuvre, les pays en développement connaissent encore une croissance démographique, et les enfants d’aujourd’hui sont les travailleurs de demain. Selon les Nations unies, les moins de 25 ans représentent 60 % de la population en Afrique. La croissance démographique augmente potentiellement le nombre de travailleurs peu qualifiés, alors que dans le même temps, l’automatisation réduit la demande de main-d’œuvre. Cette nouvelle génération ne trouvera donc des débouchés professionnels que si elle se dote de compétences recherchées sur le marché.

L’automatisation affecte déjà la création d’emplois dans les pays avancés. Dans les pays en développement, où la main-d’œuvre bon marché est traditionnellement un atout, la Banque mondiale estime que deux tiers des emplois sont menacés par la mécanisation. Un récent rapport de McKinsey indique par exemple que des robots fondés sur les technologies actuelles pourraient déjà effectuer plus de 50 % des tâches dans des pays comme le Kenya ou la Colombie. En outre, les avancées technologiques pourraient polariser plus encore le marché du travail, avec d’un côté des travailleurs sans aucune qualification et, de l’autre, des travailleurs très qualifiés, entraînant une hausse des inégalités qui nuirait à la croissance inclusive.

Le manque de main-d’œuvre qualifiée et d’infrastructures électriques et routières entrave la croissance inclusive. Comme l’indiquait Dani Rodrik, économiste de Harvard, dans son discours lors de la récente conférence du FMI sur les pays à faible revenu intitulée «Towards 2030: Trends, Opportunities, Challenges, and Policies for Inclusive Growth», l’amélioration constante des compétences dans l’industrie manufacturière entraîne jusqu’ici une diminution des emplois peu qualifiés. Ce processus de «désindustrialisation prématurée» transforme le modèle de croissance des pays en développement, qui entament leur désindustrialisation plus rapidement que par le passé, et à des niveaux de revenu inférieurs. Les pays à faible revenu risquent ainsi de rater les occasions qui ont favorisé le développement de nombreux pays d’Asie orientale, car l’automatisation pourrait nuire à la compétitivité de leur main-d’œuvre.

La technologie peut aider

Mais la technologie peut également soutenir le développement et la croissance en facilitant la mise en correspondance des emplois et des compétences, en réduisant les prix pour les consommateurs et en ouvrant l’accès à de nouveaux marchés et services grâce à la baisse des coûts de connexion. Ainsi, au Kenya, l’accès à la monnaie électronique M-PESA a augmenté les niveaux de consommation par habitant et tiré 2 % des ménages kenyans de la pauvreté, surtout les ménages administrés par des femmes. Au Rwanda, une jeune entreprise utilise des drones pour livrer des médicaments et du sang dans des régions isolées.

Le changement technologique peut également révolutionner la prestation de services publics en améliorant la transparence et l’efficacité. Ainsi, en 2013, la Tanzanie a adopté un nouveau système de paiement des impôts par téléphone portable, ce qui réduit le risque lié au transport d’argent à la banque et diminue les coûts liés au temps perdu dans les files d’attente. Aux Philippines, grâce à l’Agence américaine pour le développement international, la ville de Batangas a lancé un système semblable en mars 2014 afin d’aider les entreprises à payer leurs impôts par téléphone portable.

Il est essentiel d’investir dans l’éducation et d’améliorer la mobilité et la connectivité pour suivre le rythme des changements mondiaux. Pourtant, dans de nombreux pays en développement, les écoles sont trop peu nombreuses, les infrastructures sont inadaptées et la formation des enseignants est souvent insuffisante. Une expérience menée en Afghanistan a démontré que la création de bonnes écoles de village augmente considérablement le taux d’inscription et les résultats scolaires des élèves, surtout pour les filles. En matière d’éducation, les investissements devraient donner la priorité à la qualité de l’enseignement, à son adéquation avec les besoins du marché du travail, et à la formation en milieu professionnel.

Pour Ricardo Hausmann, économiste de Harvard qui était le deuxième orateur principal de la conférence, le potentiel de croissance dépend de la diffusion du savoir-faire et de la technologie. Il a souligné la nécessité d’améliorer la connectivité, d’adopter des politiques migratoires plus ouvertes et de développer des zones économiques spéciales pour attirer les investissements étrangers. Des réseaux de transport à haute technologie peuvent renforcer les avantages de l’urbanisation, créer de nouvelles perspectives et augmenter l’emploi. Des politiques migratoires visant non seulement à faciliter la participation des travailleurs étrangers au marché du travail, mais également à inciter les travailleurs émigrés à investir dans leur pays d’origine, peuvent stimuler la diversification et la croissance grâce à la diffusion des technologies et de l’innovation. Comme le résume M. Hausmann, «il est plus simple de déplacer des cerveaux que de faire entrer les informations nécessaires dans les cerveaux».

Alors que nous connaissons les moyens d’éviter les effets nocifs du progrès technologique, dans les faits, il est souvent difficile de les intégrer aux politiques publiques. Leur mise en œuvre est souvent source de compromis entre efficacité et équité. Par exemple, la concentration de ressources dans une partie d’un pays, où ces ressources stimuleront l’innovation et l’emploi, creuse dans le même temps l’écart de revenu entre les régions riches et les régions pauvres. De telles situations peuvent entraîner des tensions sociales et politiques. En outre, certaines mesures favorisant la croissance à long terme ne produisent que peu de résultats à court terme, ce qui n’incite pas les responsables politiques à les entreprendre.

C’est ici que réside la principale difficulté, car une croissance durable et inclusive à long terme nécessite de concilier des impératifs à court terme et des objectifs à long terme. Imaginer le monde tel qu’il se présentera dans vingt ans n’a rien d’un exercice théorique : c’est une tâche concrète que nous devons commencer dès aujourd’hui pour nous préparer à demain.
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Stefania Fabrizio est chef d’unité adjointe du Département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI. Avant de rejoindre le FMI, elle était professeur invité à l’université de Salamanque (Espagne). Ses travaux de recherche portent sur la macroéconomie, les finances publiques et les institutions budgétaires. Elle a beaucoup travaillé sur les questions liées aux incidences des politiques et réformes macroéconomiques sur la répartition des richesses. Ses travaux ont été publiés dans des revues économiques de premier plan. Elle est titulaire d’un doctorat en économie de l’Institut universitaire européen.


Andrea F. Presbitero est économiste dans l’unité chargée de la stratégie des pays à faible revenu au sein du Département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI. Avant d’entrer au FMI en 2013, il était professeur assistant à l’Università Politecnica delle Marche (Italie). Il a publié de nombreux articles sur la macroéconomie, l’économie du développement et les activités bancaires empiriques dans des revues internationales de premier plan comme le Journal of International Economics, le Journal of Development Economics et le Journal of Money, Credit and Banking. Ses études sont consultables sur le site : https://sites.google.com/site/presbitero/



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