S’appuyer sur de nouvelles règles fiscales et les lanceurs d’alerte pour taxer les riches

Par James Brumby et Michael Keen
13 février 2017

New Delhi : à l’heure actuelle, il existe très peu d’impôts efficaces frappant explicitement le patrimoine, que ce soit dans les pays en développement ou les pays avancés

Les inégalités de revenu marquées et croissantes sont préoccupantes dans bon nombre de pays comme l’a souligné une édition récente du Moniteur des finances publiques publié par le FMI. Mais le graphique ci-dessous montre que la répartition des richesses est encore plus inégale que celle des revenus.

Malgré la célèbre proposition de Piketty d’introduire un impôt de 2 % sur la fortune coordonné au niveau mondial, il n’existe à l’heure actuelle que très peu d’impôts efficaces frappant explicitement le patrimoine, que ce soit dans les pays en développement ou les pays avancés : entre 1985 et 2007, le nombre de pays de l’OCDE taxant effectivement le patrimoine a chuté de 12 à tout juste 4. Et, dans la plupart des cas, l’impôt en question était, et reste, d’une efficacité limitée. Rares sont les pays en développement ayant officiellement adopté un impôt sur la fortune; quant à l’Inde, elle l’a supprimé de son dernier budget.

Il est notoire que la conception de l’impôt sur la fortune peut être influencée par des groupes de pression et prévoir des exemptions au bénéfice des plus riches. En outre, les contribuables fortunés se sont révélés adeptes de l’évasion ou de la fraude fiscales, plaçant leur argent dans des pays à faible fiscalité. D’après les estimations de Alstadsæter, Johannesen et Zucman, environ 8 % de tout le patrimoine financier des ménages, soit approximativement 10 % du PIB mondial, est confié à des établissements étrangers dans des pays à faible fiscalité et les trois quarts de ces placements ne sont pas déclarés. Pour les pays en développement, les chiffres sont encore plus importants. Il semble qu’environ 22 % de toute la richesse financière de l’Amérique latine se trouve à l’étranger et, pour l’Afrique, la proportion atteint même 30 %.

Cette question éminemment actuelle de la mise à contribution des régimes fiscaux pour remédier au creusement excessif des inégalités de richesse a été débattue en octobre dernier, lors de la session ordinaire du FMI et de la Banque mondiale sur la fiscalité. La fiscalité et les inégalités seront également examinées durant la première conférence organisée par la Plateforme de collaboration sur les questions fiscales qui se tiendra demain à New York, aux Nations Unies.

Selon nous, des progrès sont possibles dans plusieurs domaines.

Traquer les gros capitaux. Pour les grandes fortunes, une approche fondée sur les risques ainsi que des mesures graduées combinant information et sanctions ont permis d’obtenir des résultats. Au cours des trois dernières années, le taux effectif d’imposition des revenus des particuliers fortunés a augmenté d’environ 9 % à 10,5 % au Chili. Un nombre croissant de pays trouvent utile de créer au sein de leur administration fiscale des unités spécifiquement chargées de l’imposition des particuliers fortunés. 

La conception du système fiscal n’est pas anodine. Pour que l’imposition des riches soit efficace, il faut prêter attention à de nombreux aspects lors de la conception et de la mise en œuvre de la fiscalité. L’absence d’impôt annuel sur le patrimoine, par exemple, peut ne pas être vraiment problématique si les revenus du capital produits par ce patrimoine et leur transfert intergénérationnel sont soumis à une fiscalité efficace. Et il peut être judicieux d’imposer différemment les différents types de fortune. Ainsi, une grande partie de la richesse est liée à l’immobilier, de sorte que les impôts fonciers peuvent être considérés comme une forme utile bien qu’imparfaite de fiscalisation du patrimoine (même si elle est sans doute moins efficace pour taxer les très grandes fortunes, comme l’a indiqué Alex Cobham). Il faut aussi garder à l’esprit qu’un impôt sur la fortune mal conçu permettant l’évasion fiscale, par des exemptions excessives ou encore une faible imposition des dons ou des legs, peut entraîner d’importantes distorsions tout en ne rapportant que de maigres recettes.

Faire appel au cœur et à la raison pour délier les bourses. Parmi les personnes extrêmement fortunées, quelques-unes au moins (comme le père de Bill Gates) reconnaissent qu’une fiscalité plus lourde peut être bénéfique sur le plan social. Nous pouvons donc peut-être faire davantage pour favoriser ce sens de la responsabilité sociale, par exemple en démontrant que des dépenses ciblées dans les pays pauvres ont des effets sur le développement, notamment en matière d’éducation. Plus généralement, les riches, comme chacun d’entre nous, sont plus susceptibles d’être disposés à payer des impôts — et moins enclins à dissimuler leurs avoirs — quand l’État est fiable et efficient et que les droits de propriété sont protégés. 

Fédérer en faveur de la fiscalité. Les médias ont montré comment, partout dans le monde, des multinationales s’arrangeaient pour ne pas payer des milliards de dollars d’impôts dans les pays où elles étaient implantées. Des organisations de la société civile ont pointé le manque à gagner que cela semblait représenter pour les pays en développement. Ces échos exprimaient pour la plupart l’idée (sans doute contestée par certains) selon laquelle les pratiques abusives d’évasion fiscale des entreprises multinationales sont moralement inacceptables. Et le journalisme d’investigation a recentré encore un peu plus le débat sur ces questions.

Penser aux gestionnaires de fortune. Les intermédiaires qui aident les contribuables à dissimuler leurs avoirs sont soucieux de leur réputation. Il est donc envisageable de les faire participer à la réforme du système, en particulier en les utilisant comme lanceurs d’alerte. Le sentiment d’injustice que suscitent dans l’opinion certaines activités même légales peut fortement contribuer à inciter les dirigeants politiques à agir, comme l’ont montré les travaux de Brooke Harrington, un autre intervenant des Assemblées annuelles. Il faut aussi se souvenir que, dans certains cas, les lanceurs d’alerte ont obtenu des contreparties financières considérables.

Plus de transparence pour une meilleure surveillance. Les échanges internationaux de renseignements fiscaux sont un moyen très efficace de remédier à la non-déclaration des revenus et du patrimoine, tant dans les pays en développement que les pays avancés : il est indéniable que les initiatives pilotées par le G-20 dans ce domaine sont remarquables et pourraient changer la donne en matière d’imposition des plus riches dans le monde. Mais il est impératif de veiller à ce que les autorités fiscales des pays en développement récoltent les fruits de ces partages d’informations. Les organisations internationales peuvent les aider à améliorer la pertinence des normes et mieux sensibiliser le public aux notions de propriété effective et de patrimoine extraterritorial global. Cela peut déboucher sur des contrôles opportuns et susciter une plus large adhésion en faveur de la lutte contre la fraude transfrontalière.

Certes, les avancées vraiment spectaculaires qui permettraient de taxer la fortune avec plus d’efficacité dans les pays à faible revenu ne sont pas encore perceptibles, mais nous avons effectivement des raisons d’être moins pessimistes qu’il y a seulement quelques années.
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James Brumby est Directeur de la Banque mondiale pour le secteur public et les institutions au Pôle mondial d’expertise en gouvernance depuis le 1er mars 2015. Il a d’abord été gestionnaire des pratiques pour la région Asie de l’Est-Pacifique, à Jakarta, en Indonésie, et directeur de secteur et économiste en chef pour le programme en faveur de l’Indonésie. Il a œuvré tout au long de sa carrière professionnelle pour une réforme de la gestion publique au niveau infranational, national et international; il est entré en 2007 à la Banque, où il a joué un rôle de premier plan dans la réforme de la gestion des finances publiques au sein du groupe Réduction de la pauvreté et gestion économique. En 2009, il a été nommé directeur de secteur pour le secteur public et la gouvernance et a dirigé les services de la Vice-Présidence travaillant sur un certain nombre d’aspects critiques liés à la gouvernance (lutte contre la corruption, réforme du droit et de la justice, gestion des finances publiques, réforme de la fonction publique). Il a également occupé des postes de direction au FMI, à l’OCDE et au Gouvernement de l’État de Victoria, en Australie.


Michael Keen est Directeur adjoint du Département des finances publiques du FMI. Avant de rejoindre le FMI, il a été professeur d’économie à l’Université de l’Essex et professeur invité à l’Université de Kyoto. Il a reçu le prix CESifo-IIPF Musgrave en 2010 et est Président honoraire de l’International Institute of Public Finance. M. Keen a dirigé des missions d’assistance technique dans plus de 30 pays et est coauteur des ouvrages The Modern VAT, T he Taxation of Petroleum and Minerals et Changing Customs.



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