(Natnan Srisuwan Getty Images by iStock) (Natnan Srisuwan Getty Images by iStock)

Trois mesures à prendre pour prévenir une crise de la dette

Martin Mühleisen et Mark Flanagan
 

La question de la viabilité de la dette d’une poignée de pays à risque a suscité un vaste débat public. Le fardeau de la dette publique (a)est pourtant un phénomène qui prend de l’ampleur dans le monde entier.

Dans les pays avancés, malgré un recul récent, la dette publique atteint des niveaux inédits depuis la Deuxième Guerre mondiale. La dette publique accumulée par les pays émergents se situe à des niveaux jamais atteints depuis la crise de la dette des années 1980 et 40 % des pays à faible revenu (24 sur 60) présentent un risque élevé de surendettement, à savoir une incapacité à assurer le service de la dette publique, ce qui pourrait fortement perturber l’activité économique et l’emploi. Il n’est donc pas étonnant que le Japon, qui assure la présidence du G20, ait fait de la viabilité de la dette publique une question prioritaire du programme du Groupe (a).

Des niveaux de dette sans précédent ne constituent pas nécessairement un problème lorsque les taux d’intérêt réels sont très bas, comme c’est actuellement le cas dans de nombreux pays avancés. Ils peuvent toutefois rendre les États beaucoup plus vulnérables à un durcissement des conditions financières mondiales et à une hausse des charges d’intérêts, ce qui pourrait provoquer des corrections sur les marchés, de brusques fluctuations du taux de change et un nouveau ralentissement des flux de capitaux.

Bien évidemment, l’endettement n’est pas forcément néfaste. Il peut en fait permettre de débloquer des fonds indispensables pour investir dans les infrastructures, la santé, l’éducation et d’autres services publics. L’investissement dans des capacités de production, lorsqu’il est effectué avec discernement, peut engendrer une hausse du revenu qui permet de compenser le coût du service de la dette. En outre, une partie de l’augmentation de la dette, en particulier dans des pays avancés, a permis de soutenir la croissance au lendemain de la crise financière mondiale et d’en atténuer les répercussions.

Des problèmes se posent lorsque la dette est déjà élevée et que les ressources provenant de nouveaux emprunts ne sont pas employées à bon escient (notamment à cause de la corruption et de la faiblesse des institutions) ou lorsqu’un pays est touché par une catastrophe naturelle ou un choc économique, tel qu’une inversion brutale des flux de capitaux, qui compromettent sa capacité à rembourser la dette. Certains pays émergents se trouvent actuellement dans cette situation.

Toutefois, ce sont généralement les pays à faible revenu qui connaissent les problèmes d’endettement les plus graves et qui sont souvent les moins bien armés pour les résoudre.

Bon nombre de ces pays ont fortement besoin de dégager des ressources supplémentaires pour se développer et s’en remettent de plus en plus à des émissions obligataires souveraines, à des prêts consentis par de nouveaux créanciers officiels et à des créanciers bancaires étrangers pour obtenir des financements extérieurs. Les obligations souveraines et les prêts aux conditions du marché se caractérisent souvent par des taux d’intérêt plus élevés et des échéances plus courtes, ce qui accroît le coût du service de la dette et en complique la gestion.

Si la diversification des sources de financement présente des avantages, elle est également source de nouvelles difficultés en ce qui concerne la gestion de la dette et, si besoin, sa restructuration, compte tenu de l’absence de mécanismes établis de coordination qui incluraient les nouveaux créanciers.

Quelle marche à suivre pour les prêteurs et les emprunteurs ? Trois mesures prioritaires peuvent contribuer à changer la donne.

Premièrement, il faut redoubler d’efforts pour garantir la viabilité financière des emprunts souverains. Les emprunteurs devraient établir soigneusement leurs plans de dépenses et de déficit budgétaires, afin que la dette publique conserve une trajectoire soutenable. Ils devraient aussi examiner de près les rendements potentiels de leurs projets et leur capacité à rembourser au moyen d’une augmentation des recettes fiscales avant de consentir un nouvel emprunt. Les prêteurs doivent évaluer l’incidence de nouveaux prêts sur l’endettement de l’emprunteur avant de lui octroyer un crédit, ce qui épargnera tant au prêteur qu’à l’emprunteur l’établissement d’accords qui seront source de difficultés financières pour les deux parties.

Deuxièmement, il faut que tous les pays acceptent de rendre compte de leur dette publique de manière exhaustive et transparente. Il reste encore beaucoup à faire pour renforcer les institutions qui enregistrent la dette, la surveillent et la déclarent dans de nombreux pays en développement. Parmi les pays à faible revenu, par exemple, un tiers ne fait pas état des garanties accordées par le secteur public et moins d’un sur dix divulgue la dette des entreprises publiques. Les créanciers peuvent davantage rendre publiques toutes les modalités des prêts qu’ils octroient. Améliorer la transparence des engagements au titre de la dette publique peut contribuer à prévenir l’accumulation d’engagements « cachés » considérables qui constitueront ultérieurement une dette explicite de l’État.

Troisièmement, il faut promouvoir la collaboration entre les créanciers officiels afin de traiter les cas de restructuration de la dette qui font intervenir des prêteurs non traditionnels. Compte tenu de la dette élevée qui est détenue par de nouveaux créanciers, il convient de réfléchir à la manière de rendre efficace la coordination entre les créanciers officiels, si souvent indispensable à la résolution des crises de la dette.

 Le FMI, en coopération avec des institutions partenaires, collabore étroitement avec ses pays membres pour renforcer leurs capacités à enregistrer la dette, à la gérer et à en garantir la transparence. Il améliore ses méthodes d’évaluation de la viabilité de la dette et forme les responsables nationaux à leur application. En outre, il coopère activement avec de nouveaux prêteurs, notamment pour accroître leurs capacités à participer à des restructurations multilatérales de la dette, si celles-ci se révélaient nécessaires.

 Dans les années 1980 et 1990, des négociations éreintantes ont dû être menées pendant des années pour résoudre les crises de la dette en Amérique latine, puis dans des pays pauvres très endettés. Des études et des faits ont souligné comment le surendettement pèse sur la reprise économique dans les pays avancés. Il faut donc anticiper les risques inhérents à l’accumulation actuelle de la dette et prendre les mesures opportunes pour les atténuer. 

 

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Martin Mühleisen est directeur du département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI. Dans le cadre de ses fonctions, il dirige les travaux relatifs à la direction stratégique du FMI ainsi que l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de l’institution. Il supervise également les relations du FMI avec d’autres organismes internationaux, dont le G20 et l’Organisation des Nations Unies.


Mark Flanagan est le directeur adjoint du département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI. Depuis 1998, année où il a rejoint l’institution, il a travaillé sur plusieurs pays en Afrique, en Asie du Sud et en Europe, où il a été chef de mission pour l’Islande et chef de mission adjoint pour l’Ukraine et la Grèce. Depuis 2015, il est le chef de la division politique de la dette au sein dudit département. Il dirige les travaux portant sur des questions d’analyse de la dette et de transparence de la dette, et supervise la réforme des cadres de viabilité de la dette du FMI.

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