Au cours des dix prochaines années, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devront être réduites de 25 à 50 % pour que soit atteint l’objectif de l’Accord de Paris de 2015 qui consiste à limiter le réchauffement climatique à 1,5 à 2 degrés Celsius.
Les États-Unis entendent jouer leur rôle. Avec leur plan d'action en faveur du climat, ils s’engagent à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 et annonceront prochainement leur objectif de niveau d’émissions pour 2030.
Ce plan d’action prévoit des normes d’efficacité énergétique plus strictes, des subventions aux technologies propres et 2 000 milliards de dollars de financement public sur dix ans pour des infrastructures énergétiques propres et des technologies indispensables, telles que l’hydrogène vert.
Il s’agit là d’un excellent début. Nos études récentes mettent en évidence des mesures budgétaires spécifiques qui contribueraient à réduire les émissions et à susciter une meilleure adhésion aux mesures de lutte contre les changements climatiques.
Argument en faveur de la tarification du carbone
Prenons, par exemple, la mise en place d’une redevance sur le carbone. Un programme national de tarification des émissions de dioxyde de carbone (CO2), une taxe sur le carbone par exemple, permettrait de réduire considérablement les coûts économiques nécessaires pour atteindre les objectifs en matière d’émissions. Cette taxe augmenterait le prix des combustibles et de l’électricité à forte teneur en carbone et inciterait donc à réduire la consommation d’énergie et à passer à des carburants plus propres dans l’ensemble des secteurs. Elle contribuerait également à stimuler les investissements dans les technologies propres. La tarification du carbone permet aussi d’augmenter les recettes et de réduire les décès dus à la pollution atmosphérique locale, tout en étant simple à gérer. Les autorités pourraient intégrer les redevances sur le carbone dans les taxes fédérales sur l’essence et le diesel, par exemple, et les étendre au charbon, au gaz naturel et à d’autres produits pétroliers.
La tarification du carbone serait très efficace pour réduire les émissions. À titre d’illustration, une taxe sur le carbone qui augmenterait jusqu’à 50 dollars la tonne d’ici à 2030 réduirait de 22 % les émissions de CO2 des États-Unis. En outre, elle accroîtrait les recettes d’environ 0,7 % du PIB par an.
Une dynamique en faveur de la tarification du carbone gagne du terrain dans tous les pays. Des systèmes d’échange de droits d’émissions ont récemment vu le jour en Chine, en République de Corée et en Allemagne, tandis que le Canada compte augmenter son prix du carbone jusqu’à 135 dollars américains d’ici à 2030. Aux États-Unis, la résistance à la tarification du carbone reste forte : neuf projets de loi relatifs à une taxe sur le carbone présentés depuis 2018 n’ont pas réussi à obtenir l’assentiment du Congrès, mais des stratégies ont été élaborées pour susciter une meilleure adhésion.
Une telle taxe a pour aspect particulièrement sensible l’incidence qu’elle peut avoir sur les prix énergétiques : une taxe sur le carbone de 50 dollars augmenterait le prix futur de l’essence de 15 %, celui de l’électricité de 40 % et celui du gaz naturel de 100 %. En outre, la charge qui en résulterait pour les ménages est régressive dans un premier temps, car elle représenterait 1,6 % de la consommation pour les personnes situées dans le cinquième inférieur des tranches de revenu, mais seulement 0,9 % pour celles situées dans le cinquième supérieur. Toutefois, cela ne tient pas compte de l’utilisation des recettes de cette taxe sur le carbone pour dédommager ceux qui sont le plus touchés par la mesure : seules 25 % des recettes seraient nécessaires pour indemniser les ménages dont les revenus se situent dans la tranche des 40 % les plus faibles. Le reste pourrait être alloué à d’autres investissements productifs, notamment aux dépenses en infrastructures propres ou à la réduction des lourdes taxes sur l’emploi.
Préserver la compétitivité
Le plan d’action en faveur du climat propose également un ajustement de la tarification du carbone aux frontières : certains biens à fortes émissions de carbone importés de pays où le prix du carbone n’est pas équivalent à celui des États-Unis seraient soumis à une surtaxe pour compenser la différence. Inversement, un produit fabriqué aux États-Unis et exporté vers ces pays pourrait faire l’objet d’un remboursement de la redevance carbone en fonction de son empreinte carbone. L’Union européenne devrait adopter ce mécanisme prochainement et d'autres pays envisagent de le faire. Si les États-Unis mettaient en place la tarification du carbone, la proposition d’ajustement de cette tarification aux frontières permettrait de préserver la compétitivité des industries américaines de l’acier et de l’aluminium et d’autres secteurs de production énergivores, au moins jusqu’à ce que les pays se coordonnent en la matière.
Quelle que soit la stratégie d’atténuation des émissions adoptée, la transition vers l’énergie propre offrira de nombreuses possibilités dans des secteurs tels que la technologie et les énergies renouvelables, tout en ayant des incidences négatives sur un certain nombre d’autres secteurs : il faudra donc prendre des mesures pour venir en aide aux travailleurs et aux régions vulnérables concernés.
Renforcer les incitations au niveau sectoriel
Dans la mesure où la tarification du carbone reste limitée par des facteurs de nature politique ou autres, elle devra être renforcée par d’autres instruments. Une piste encourageante à cet égard est celle du système de « redevance-remise » qui consiste à imposer une redevance sur les produits ou activités à forts taux d’émission de CO2 et à accorder une remise aux produits ou activités pour lesquels ces taux sont faibles.
À titre d’exemple, un régime de redevance-remise dans les transports se traduirait par l’imposition d’une taxe sur les véhicules neufs égale au prix du carbone (différence entre les émissions du véhicule au kilomètre et la moyenne du parc) multiplié par le kilométrage moyen du véhicule sur sa durée de vie. Une redevance-remise avec un prix fictif de 200 dollars la tonne de CO2 donnerait lieu à une subvention de 5 000 dollars pour les véhicules électriques et à une surtaxe de 1 200 dollars pour un véhicule consommant environ un gallon de carburant aux 50 kilomètres. Les subventions pour les véhicules propres diminueraient (et les taxes sur les voitures à fortes émissions de CO2 augmenteraient) à mesure que les taux moyens d’émissions baisseraient à terme. Des systèmes similaires pourraient s’appliquer à d’autres secteurs, notamment à la production d’électricité, à l’industrie, à la construction, à la foresterie et à l’agriculture.
Un système de redevance-remise pourrait être plus facile à accepter que la tarification du carbone, car il éviterait une forte hausse des prix énergétiques (dans la mesure où les recettes de la taxe carbone n’entraînent pas une hausse des prix de l’énergie). Dans le même temps, il ne favoriserait pas certaines des réactions de la demande à la tarification du carbone : par exemple, contrairement à une hausse des taxes sur les carburants, un système de redevance-remise n’encourage pas les gens à conduire moins. En revanche, il est généralement plus souple et plus avantageux qu’une réglementation, et (à la différence des subventions aux technologies propres) n’entraîne pas de coût budgétaire.
La coordination internationale est fondamentale
Le plan d’action des États-Unis vise à encourager les grands pays émetteurs à se montrer plus ambitieux en matière d’atténuation des changements climatiques. La coordination internationale peut permettre de rassurer ceux qui craignent que ces mesures aient des incidences sur la compétitivité ou que certains pays renoncent à leurs engagements en la matière. Pour compléter les engagements pris par les pays dans le cadre de l’Accord de Paris, un mécanisme intéressant consisterait à établir un prix plancher international du carbone, autrement dit les grands pays émetteurs conviendraient d’un prix minimum à appliquer à leurs émissions de carbone. Il serait possible de déterminer ce prix plancher de façon équitable en prévoyant des obligations plus strictes pour les pays avancés, une aide pour les pays à plus faible revenu, ou ces deux éléments à la fois. Il pourrait également s’appliquer avec souplesse pour tenir compte d’autres démarches aux incidences équivalentes sur les émissions, adoptées dans les pays où la tarification est difficile à mettre en place.
En tant que deuxième pays émetteur au monde, les États-Unis devront prendre des mesures décisives pour apporter leur contribution à la réduction indispensable des émissions mondiales au cours des dix prochaines années. Les autorités américaines doivent saisir cette occasion pour adopter des démarches novatrices susceptibles de faire avancer le programme de lutte contre les changements climatiques dans tous les domaines.
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Ian Parry est expert principal en politique budgétaire et environnementale au département des finances publiques du FMI. Ses domaines de spécialité sont l’analyse budgétaire des questions liées aux changements climatiques, l’environnement et l’énergie. Avant de rejoindre l’institution en 2010, il a été titulaire de la chaire Allen V. Kneese d’économie environnementale au sein de l’institution de recherche « Resources for the Future ».