Redresser l’économie mondiale en freinant

Par Olivier Blanchard, Conseiller économique et Directeur, Département des études, FMI
Affiché le 24 janvier 2012 par le blog du FMI - "iMFdirect"

Après le discours que la Directrice générale du FMI a prononcé hier à Berlin, mes principaux messages sur les perspectives de l’économie mondiale ne vous surprendront pas :

Commençons par les mauvaises nouvelles :

La reprise de l'économie mondiale, qui était déjà faible, risque de marquer le pas. L'épicentre du danger, c'est l'Europe, mais le reste du monde est de plus en plus touché.

Il existe un danger encore plus grand, à savoir que la crise européenne s'intensifie. Dans ce cas, le monde pourrait être plongé dans une autre récession.

Maintenant, les bonnes nouvelles :

Si les mesures appropriées sont prises, le pire peut certainement être évité, et la reprise peut être remise sur la bonne voie. Ces mesures peuvent être prises, doivent être prises, et ce, d’urgence.

Et enfin, les chiffres, en commençant par l'épicentre :

Pour la zone euro, le FMI prévoit une croissance de -0,5 % en 2012 — c'est-à-dire une révision à la baisse de 1,6 point de pourcentage par rapport à notre projection de septembre 2011. En particulier, nous prévoyons une contraction en Italie (-2,2 %) et en Espagne (-1,7 %).

Nous avons aussi révisé à la baisse nos prévisions pour les autres pays avancés, mais dans des proportions moindres. Il n'y a que pour les États-Unis que notre prévision est inchangée, à 1,8 %.

Les prévisions de croissance pour les pays émergents et les pays en développement sont aussi en baisse, à 5,4 %, une diminution de 0,7 point de pourcentage par rapport à notre prévision de septembre. Cette révision est particulièrement forte en Europe centrale et orientale, du fait des liens de la région avec la zone euro. Mais elle est considérable aussi en Chine et en Inde, où elle s'explique pour l'essentiel par des facteurs internes.

Quelles sont les forces qui se cachent derrière ces chiffres?

La plupart des pays avancés opèrent avec deux freins importants.

• Le premier est le rééquilibrage des finances publiques. Ce rééquilibrage est nécessaire, car les dettes sont très élevées, mais, à court terme, il freine manifestement la demande, et donc la croissance.

• Le deuxième est le resserrement du crédit. Dans bon nombre de pays, en particulier en Europe, les banques restent fragiles. Elles inversent leur levier financier. Et, dans de nombreux cas, cela signifie que les ménages et les entreprises accèdent moins facilement au crédit, ce qui freine aussi la croissance.

À cause de ces freins, la reprise ne peut pas être très vigoureuse, et en fait c'est un phénomène que l'on observe dans des crises financières antérieures.

Ce qui se passe en Europe, cependant, aggrave la situation.

Les doutes quant à la viabilité des finances publiques entraînent des rendements élevés sur les obligations souveraines et, partant, des doutes concernant la solvabilité des banques. Pour rassurer les marchés, les gouvernements ont pensé qu'ils devaient rééquilibrer davantage leur budget. Pour rassurer les investisseurs, les banques ont inversé leur levier financier et ont resserré le crédit. Ces deux actions ont encore pesé sur la croissance, avec pour conséquence une dangereuse spirale négative.

Cela explique nos prévisions d'une croissance négative pour certains des pays de la périphérie de la zone euro, et d'une croissance faible dans le reste de la zone. En dehors de l'Europe, les effets de débordement par la voie du commerce sont déjà apparents chez les partenaires commerciaux de la zone euro. Et une poussée de l'aversion pour le risque et de l'incertitude entraîne une forte volatilité des flux de capitaux vers les pays émergents.

Si cette spirale négative n'est pas maîtrisée, elle peut avoir des conséquences pires encore, qu'il s'agisse d'une défaillance désordonnée ou d'un abandon de l'euro, avec des répercussions majeures, tout d'abord sur le reste de la zone euro et ensuite sur le reste du monde.

Dans ce contexte, l'action à entreprendre est claire.

Je reprendrai pour l'essentiel les messages principaux du discours que la Directrice générale a prononcé hier.

• Premièrement, il faut continuer de rééquilibrer les budgets, mais à un rythme approprié. La réduction de la dette, c'est un marathon, et pas un sprint. Une action trop rapide tuera la croissance et torpillera la reprise. Il a fallu plus de 20 ans pour réduire la dette après les records observés pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faut s'attendre à ce que cela dure aussi longtemps ou plus longtemps cette fois-ci.

À cet égard, un plan crédible à moyen terme est essentiel, et cela manque encore aux États-Unis et au Japon. Lorsqu'un tel plan sera en place, dans la plupart des pays, il faudra laisser jouer les stabilisateurs automatiques. Dans certains pays, un rééquilibrage plus lent pourrait même être de mise.

• Deuxièmement, il faut éviter une pénurie de crédit. Les banques qui doivent rehausser leur ratio de fonds propres doivent le faire en augmentant leurs fonds propres plutôt qu'en réduisant le crédit qu'elles octroient. La recapitalisation à l'aide de fonds publics aidera le crédit, soutiendra l'activité et pourrait en fait améliorer les perspectives budgétaires.

• Troisièmement, et dans la mesure où ils prennent les mesures rigoureuses qui s'imposent, les pays de la périphérie de la zone euro, tels que l'Italie ou l'Espagne, doivent être en mesure d'emprunter à de faibles taux d'intérêt. Comme beaucoup d'investisseurs ont quitté le marché et que leur retour est peu probable, l'octroi de liquidités publiques sera peut-être nécessaire, par la Banque centrale européenne, par l'Union européenne ou par le FMI. Quelle que soit la combinaison utilisée, les fonds mis à disposition devront être suffisamment élevés pour maintenir des taux d'intérêt faibles et préserver la viabilité des finances publiques.

Nos prévisions reposent sur l'hypothèse selon laquelle ces mesures seront adoptées et que la crise dans la zone euro perdra progressivement de son intensité. Sinon, on peut craindre le pire. Si ces mesures sont adoptées de manière résolue, l'économie mondiale pourrait se porter mieux que nous le prévoyons.

Toutefois, ne nous faisons pas d'illusions. Même dans ce cas, les freins seront encore actionnés, et le chômage ne diminuera que lentement. Il y a encore beaucoup d'efforts à déployer avant que l'économie mondiale soit totalement remise sur pied.



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