Une fois pour toutes : pourquoi les taxes sur le capital ne sont la solution

Affiché le 06 novembre 2013 par le blog du FMI - iMFdirect

Par Michael Keen est Directeur adjoint du Département des finances publiques du Fonds monétaire international, où il a également dirigé les divisions de la politique fiscale et de la coordination fiscale. Avant de rejoindre le FMI, M. Keen a enseigné les sciences économiques à l’Université de l’Essex et a été professeur invité à l’Université de Kyoto. Il a dirigé des missions d’assistance technique dans une trentaine de pays sur un grand nombre de dossiers liés à la politique fiscale, et fourni des services de conseil à la Banque mondiale, à la Commission européenne et dans le secteur privé. Il a siégé au conseil d’administration de la National Tax Association aux États-Unis et au conseil de rédaction de l’American Economic Journal: Economic Policy, International Tax and Public Finance (dont il a été un des co-fondateurs), du Journal of Public Economics, de la Review of Economic Studies et de nombreux autres périodiques. Il est co-auteur des ouvrages The Modern VAT, Taxation of Petroleum and Minerals et Changing Customs.

Saint Graal

Hier soir, avant d’aller vous coucher, vous avez laissé 40 dollars sur la table de la cuisine. Aujourd’hui, en vous levant vous découvrez qu’il n’en reste plus que 30 et que le fisc vous a laissé une note : «Merci beaucoup, nous avons pris 10 dollars de prélèvement». Cela a, bien entendu, de quoi vous fâcher, mais pour un économiste cette forme de taxation serait presque idéale. Impossible de réduire, de déduire ou de frauder, bref le Saint Graal de ce que ce même économiste appellerait une fiscalité exempte de distorsions.

(À propos, cela ne signifie pas que votre comportement sera indifférent. Ayant perdu de l’argent, vous allez sans doute travailler un peu plus ou épargner un peu moins. Mais tout autre complément de revenu imposable réduira davantage vos ressources, car il agira sur les prix relatifs (par exemple, l’imposition de votre revenu rendra le travail moins attirant), et changera encore plus votre comportement par rapport à ce que vous feriez en l’absence de taxation).

Nous venons en fait de décrire l’idée à la base de la «taxe sur le capital», thème de l’encadré 6 de la dernière édition du Moniteur des finances publiques, qui du reste a attiré beaucoup d’attention (qu’une chose soit claire : le FMI ne préconise pas ce type d’impôt; l’encadré analyse simplement la question et les expériences en la matière, qui d’ailleurs avaient déjà été abondamment débattues). Cette taxation prendrait la forme d’un prélèvement ponctuel sur les avoirs en capital, dont l’assiette resterait à définir par les autorités fiscales, étant entendu qu’elle serait plus vaste que celle des billets laissés sur la table de la cuisine. Outre l’efficience que présenterait ce type de taxe, elle semblerait présenter, pour d’aucuns, un certain intérêt au regard de l’équité, en ce sens qu’elle frapperait naturellement les personnes les plus fortunées.

Il n’est donc pas étonnant que l’idée d’une taxe sur le capital ait parfois suscité un débat animé, notamment au sortir d’une guerre, où l’on s’efforce par tous les moyens de réduire des niveaux élevés d’endettement — aussi bien du côté des vainqueurs (la Grande-Bretagne après les Guerres napoléoniennes et la Première guerre mondiale, par exemple) que des perdants (l’Allemagne après la Première guerre mondiale et le Japon après la Deuxième guerre mondiale). Mais comme le montre clairement l’étude de l’économiste de Berkeley Barry Eichengreen, les États ont rarement mis en œuvre des impôts sur le capital, et cette entreprise n’a presque jamais réussi. Il y a de bonnes raisons à cela.

Ou calice empoisonné?

Notre métaphore de la table de la cuisine peut également servir à mettre en évidence un vice fondamental de l’argumentaire en faveur des taxes sur le capital. Ce soir, comme vous craignez que le fisc ne récidive, vous n’allez sans doute pas laisser votre argent sur la table, ou vous allez peut-être le dépenser. Mais vous rejetez un coup d’œil à la note et vous y lisez «PS : Nous promettons de ne pas le refaire».

Êtes-vous dupe? Que fera l’État s’il se trouve de nouveau dans une mauvaise passe? Vous allez certainement chercher des moyens de réduire ou d’éviter, de manière légale ou non, tout prélèvement futur ; l’impôt peut alors induire de fortes distorsions.

Le fait est que pour éviter toute distorsion l’impôt doit être à la fois imprévu et l’assujetti doit être certain qu’il ne se reproduira pas, conditions très difficiles à remplir.

L’adoption et la mise en application de nouveaux prélèvements prennent un certain temps et les gouvernements peuvent rarement le faire dans le secret le plus absolu (même en faisant abstraction des questions de transparence).Cela laisse un certain temps pour placer les avoirs à l’étranger, les dépenser ou les cacher. Le risque de prélèvements futurs peut être même plus préjudiciable car il peut exercer un effet dissuasif sur l’épargne et l’investissement, sources de futurs avoirs en capital. En outre, de manière plus générale, la crédibilité de la politique fiscale de l’État peut être remise en cause par des impôts inopinés de ce genre. Si l’État peut le faire, qu’est-ce qui l’empêchera, par exemple, de décider soudainement que l’amortissement des investissements passés ou les intérêts courus d’un ancien prêt ne sont plus déductibles?

Pour être efficace, la fiscalité exige un certain degré de confiance dans la politique fiscale future, par-delà les restrictions légales pouvant limiter la capacité des États à imposer. Autrement dit, le problème ne tient pas à ce que les taxes sur le capital induisent des distorsions, mais plutôt à ce qu’ils risquent d’induire de très fortes distorsions.

L’expérience des taxes sur le capital confirme à quel point ces mises en garde sont justifiées. Là où elles ont été appliquées, elles ont rarement été fructueuses, et sont souvent allées de pair avec de longs débats et des fuites de capitaux (avec par ailleurs une inflation qui a érodé le problème sous-jacent d’endettement). Eichengreen ne relève qu’un seul cas de réussite : celui du Japon après la Deuxième guerre mondiale, où la taxe a été imposée par une force d’occupation, et échappait donc à toute contrainte démocratique et n’engageait pas les gouvernements à venir. Bref, l’exception qui confirme clairement la règle.

Une abondance de taxes sur la richesse

La taxe sur le capital est une forme d’impôt sur la richesse. Il ne faut cependant pas la confondre, comme cela est parfois le cas, avec les autres types envisageables d’impôts sur le patrimoine et les transmissions, comme par exemple l’impôt sur les successions, les legs ou les dons, les taxes sur les biens immobiliers, ou bien encore l’imposition des transactions sur actifs, pour ne citer que quelques exemples. La logique économique de ces autres prélèvements est fort différente et, dans certains cas bien plus séduisante. Nous avons examiné cette question dans le Moniteur des finances publiques, et elles mériteraient un article à part entière.



DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

Relations publiques    Relations avec les médias
Courriel : publicaffairs@imf.org Courriel : media@imf.org
Télécopie : 202-623-6220 Télécopie : 202-623-7100