Les pays émergents doivent faire davantage d’efforts pour rester les moteurs de la croissance mondiale

Par Min Zhu, Directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI)
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Le 22 janvier 2014

Lors de notre assemblée annuelle d’octobre 2013, nous avons eu un grand débat sur les perspectives de croissance des pays émergents. Nous avons fortement révisé en baisse nos prévisions de croissance de 2013 pour les pays émergents et en développement, en les diminuant de 0,5 point de pourcentage par rapport à nos prévisions antérieures. Aux yeux de certains observateurs, nous avons péché par excès de pessimisme. Selon d’autres, nous aurions dû nous cantonner au scénario de croissance le moins optimiste que nous avions établi au moment de l’éclatement de la crise financière mondiale.

Qu’en est-il aujourd’hui? De fait, les chiffres les plus récents indiquent que les moteurs de la croissance mondiale, à savoir les pays émergents et en développement, ont considérablement ralenti. Leurs taux de croissance ont diminué d’environ trois points de pourcentage en 2013 par rapport à 2010, plus des deux tiers de ces pays ayant enregistré une baisse — avec en tête le Brésil, la Chine et l’Inde. Cela n’est pas sans importance pour l’économie mondiale, dans la mesure où ces économies comptent aujourd’hui pour moitié dans l’activité économique mondiale.

À l’occasion de mes voyages récents à travers le monde (cinq régions sur trois continents), j’ai entendu partout les mêmes questions : que se passe-t-il du côté des pays émergents? Le ralentissement est-il permanent? Les pays émergents peuvent-ils renforcer leur croissance? Quels sont les aléas négatifs?

Pas d’accélération sensible de la croissance dans les pays émergents et en développement

Les pays émergents et en développement sont en cours de stabilisation, mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils retrouvent à brève échéance les taux de croissance élevés observés pendant la décennie écoulée. En fait, d’après nos prévisions, la croissance de ces pays devrait s’accélérer légèrement pour atteindre 5,1 % cette année et [5,4] % à moyen terme.

 

L’une des raisons principales en est que plusieurs vents favorables qui ont soutenu la croissance dans le passé sont en train de faiblir :

• Nous estimons que le taux de croissance de la Chine, qui a été supérieur à 10 % pendant des décennies et qui a soutenu la croissance des partenaires commerciaux du pays, est descendu en moyenne à 7,7 % ces deux dernières années.

• Les flambées des prix des matières premières, qui ont aidé les pays riches en ressources naturelles, ont pris fin.

• Les conditions financières, qui n’avaient jamais été aussi favorables, commencent à laisser la place à une hausse des taux d’intérêt mondiaux.

• La part du commerce international dans la production totale a diminué ces deux dernières années, et rien ne permet d’affirmer que le mouvement va s’inverser et que l’on va retrouver la tendance à la hausse observée pendant la décennie écoulée.

Les changements structurels intervenus dans l’économie mondiale ont une influence fondamentale sur les pays émergents et en développement.

En Chine, le rééquilibrage au détriment de l’investissement aura un effet à long terme sensible sur un grand nombre de pays. Nous saluons le ralentissement modéré observé en Chine parce que les niveaux d’investissement actuels ne sont pas tenables. Les politiques publiques sont à juste titre axées sur la réduction de plusieurs points de pourcentage de la part de l’investissement dans le PIB dans les trois à cinq prochaines années.

Selon notre analyse, une diminution d’un point de pourcentage de la croissance de l’investissement en Chine se traduirait par une baisse comprise entre 0,5 et 0,9 point de pourcentage de la croissance du PIB dans la chaîne de l’offre régionale. Cela aurait un impact considérable sur diverses variables économiques, commerciales et financières parmi les principaux partenaires commerciaux de la Chine et les exportateurs de matières premières. 

Il est probable que les marchés financiers resteront volatils dans l’avenir envisageable. La principale raison en est que, selon toute vraisemblance, le passage ordonné à un monde sans politiques monétaires non conventionnelles se heurtera à un certain nombre de difficiles impératifs :

• l’ajustement en douceur des anticipations concernant les taux d’intérêt à court terme

• le retour progressif à la normale de la différence de rendement entre obligations à long terme et à court terme

• l’ajustement en douceur des portefeuilles

• l’inversion progressive des effets de levier excessifs

• l’existence de marchés liquides en permanence, et

la montée en régime de la croissance économique.

Les turbulences qui ont agité les marchés financiers en mai 2013 après que la Réserve fédérale des États-Unis a commencé à parler de son projet de ralentir le rythme auquel elle achète les obligations d’État est un exemple parfait à cet égard. À ce moment-là, les taux d’intérêt ont augmenté même dans les pays d’Europe, alors que la santé de leur économie n’avait aucunement changé.

Pour s’adapter à cet environnement mondial en constante évolution, les pays émergents et en développement doivent sans cesse ajuster leurs structures et leurs politiques économiques.

Un exemple frappant de la difficulté de parvenir durablement à une croissance forte réside dans l’absence de convergence des économies d’Amérique latine vers les pays avancés. Le graphique ci-dessous montre que le PIB de ce groupe de pays a effectué une rotation inversée complète entre 1962 et 2011. Le revenu par habitant a stagné par rapport à celui des États-Unis. En revanche, il s’est amélioré de façon ininterrompue dans les pays émergents d’Asie, à l’exception notable de la période de la crise asiatique à la fin des années 90.

 

Dans beaucoup de pays qui sont tributaires des flux de capitaux, les politiques internes actuelles ne suffisent pas à maintenir la stabilité financière. Dans plusieurs autres, les bilans des entreprises sont mis à mal. L’incertitude qui règne concernant le contenu et l’orientation des politiques ainsi que les contraintes du côté de l’offre, notamment les déficiences infrastructurelles et réglementaires, freinent l’investissement dont ces pays ont pourtant bien besoin. Enfin, les pressions démographiques, notamment le vieillissement de la population, et les relations tendues entre employeurs et travailleurs ne facilitent rien.

Comment ils peuvent s’en sortir

Il reste essentiel de consolider l’économie plutôt que de continuer à simplement stimuler l’activité par voie monétaire et budgétaire. Par exemple, le Brésil devrait chercher avec détermination à atteindre l’objectif d’excédent primaire fixé de longue date. L’Inde doit relancer le processus de réduction de la dette publique et des déficits ainsi que la réforme de l’appareil productif pour faire descendre l’inflation et rendre possible une croissance forte. L’Indonésie devrait redonner toute sa place au rôle fondamental de la politique monétaire, qui consiste à fournir un point d’ancrage nominal. La Turquie devrait accroître son taux d’épargne.

Il est nécessaire mais non suffisant de mieux gérer la demande pour parvenir à une croissance vigoureuse et durable. Les pouvoirs publics doivent aussi assurer une croissance forte de la productivité, notamment en encourageant l’innovation.

S’il n’existe pas de recette unique pour rehausser la productivité, il ressort de nos travaux que les pays devraient calibrer les réformes en fonction de leur stade de développement. Ainsi, dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, cela supposerait d’améliorer encore les qualifications des travailleurs et d’investir dans la recherche et de développement. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, il conviendrait en priorité de desserrer les goulets d’étranglement dans le domaine des infrastructures et de réduire les obstacles à l’investissement direct étranger. Dans les pays à faible revenu, l’accent pourrait être mis sur le renforcement des institutions économiques qui sont nécessaires au bon fonctionnement d’une économie de marché, sur le développement du secteur agricole et sur l’amélioration de l’éducation de base et des infrastructures.

Les décideurs doivent comprendre comment les politiques mises en place dans une région du monde influent sur toutes les autres régions, car cela déterminera leurs décisions et leurs actions, quel que soit le pays où ils vivent. Pour leur faciliter la tâche, nous mettons en lumière les principales retombées internationales dans nos études de contagion.

Cela signifie aussi que, dans le monde hyperconnecté d’aujourd’hui, la coordination des politiques économiques est indispensable. La relance budgétaire mondiale engagée au début de la crise financière en est un exemple important, de même que le besoin de coordination dans le domaine du règlement transfrontalier de la situation des banques en faillite ou en difficulté. Nous encourageons ce type de coordination à chaque occasion qui se présente.

L’accélération modérée de la croissance mondiale ne doit pas nous inciter au triomphalisme. Nous ne pourrons peut-être pas revenir au bon vieux temps. Pour être juste, plusieurs pays émergents et en développement ont appliqué de bonnes politiques au lendemain des turbulences de mai dernier. Cependant, compte tenu de la longue liste des politiques difficiles à mettre en œuvre pour parvenir à une croissance forte et soutenue, toute hésitation dans ce domaine compliquera la vie des pays émergents à l’avenir.



DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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