Lutter contre les inégalités à l’aide de la redistribution : le remède est-il pire que le mal ?

Par Jonathan D. Ostry et Andrew Berg
Affiché le 26 février 2014 par le blog du FMI - iMFdirect

L’augmentation des inégalités de revenus occupe une place importante dans le programme d’action à l’échelle mondiale, du fait non seulement des craintes de ses effets sociaux et politiques négatifs (y compris des questions quant à la compatibilité des inégalités extrêmes avec la gouvernance démocratique), mais aussi de ses implications économiques. Si des incitations positives sont certainement nécessaires pour récompenser le travail et l’innovation, des inégalités excessives risquent de peser sur la croissance, par exemple en réduisant l’accès à la santé et à l’éducation, en provoquant de l’instabilité politique et économique qui réduit l’investissement et en mettant à mal le consensus social requis pour faire face à des chocs de grande envergure.

Naturellement, les économistes cherchent à mieux comprendre les liens entre la hausse des inégalités et la fragilité de la croissance économique. De récentes études montrent comment les inégalités ont intensifié le cycle d’endettement et de financement, devenant la source de la crise, ou comment des facteurs d’économie politique, en particulier l’influence des riches, ont permis aux excès financiers de s’accumuler avant la crise.

Mais quel est le rôle de la politique des pouvoirs publics, et en particulier de la redistribution, dans la réduction des inégalités ? Si l’on en croit ce qui est communément admis, la redistribution en tant que telle serait nocive pour la croissance, mais il se pourrait que, en réduisant les inégalités, elle contribue à la croissance. Nous n’avons guère trouvé de données montrant qu’une redistribution typique a eu en moyenne un effet négatif sur la croissance. En outre, une croissance plus rapide et plus durable semble avoir suivi la réduction des inégalités qui en a résulté.

Démêler les effets des inégalités et de la redistribution sur la croissance

Dans des travaux antérieurs (en anglais), nous avons décrit une relation robuste à moyen terme entre l’égalité et la pérennité de la croissance. Cependant, nous ne nous sommes guère intéressés à la question de savoir si cette relation justifie la redistribution.

En fait, nombreux sont ceux qui estiment que la redistribution sape la croissance, et même que les mesures prises pour redistribuer le revenu face à de fortes inégalités constituent la source de la corrélation entre les inégalités et une faible croissance. Si c’est exact, les taxes et les transferts pourraient bien être le mauvais remède, un remède qui pourrait être pire que le mal lui-même.

Les ouvrages spécialisés restent controversés. Plusieurs d’entre eux indiquent que certaines politiques de redistribution, par exemple les investissements publics dans les infrastructures, les dépenses de santé et d’éducation et l’assurance sociale, peuvent être propices tant à la croissance qu’à l’égalité. D’autres penchent plutôt pour un arbitrage fondamental entre la redistribution et la croissance, comme l’indiquait Okun (1975) lorsqu’il parlait des « fuites » d’efficience qui vont de pair avec les efforts déployés pour réduire les inégalités.

Dans un nouveau document, nous nous intéressons à ce que les données rétrospectives révèlent à propos de la relation entre les inégalités, la redistribution et la croissance. En particulier, que disent les données en ce qui concerne les effets macroéconomiques des politiques de redistribution sur la croissance, directement et indirectement en réduisant les inégalités, ce qui à son tour influe sur la croissance ?

Pour démêler ces voies de transmission, nous utilisons un nouvel ensemble de données internationales qui distingue soigneusement les inégalités nettes (après impôts et transferts) des inégalités de marché (avant impôts et transferts), et nous permet de calculer les transferts redistributifs pour un grand nombre de pays (avancés ou en développement) sur une certaine période. Nous analysons l’évolution de la croissance moyenne pendant des périodes de cinq ans, ainsi que la pérennité et la durée de la croissance.

Nos questions principales sont de nature empirique. Quelle est l’importance de cet « arbitrage fondamental » ? Comment l’effet direct (négatif, selon Okun) de la redistribution peut-il être comparé à son effet indirect et apparemment positif (par le biais d’une réduction des inégalités) ?

Des résultats frappants en ce qui concerne les liens entre la redistribution, les inégalités et la croissance

Premièrement, nous continuons d’observer que les inégalités sont un déterminant robuste et puissant du rythme de la croissance à moyen terme et de la durée des périodes de croissance, même compte tenu du niveau des transferts redistributifs. Ce serait donc encore une erreur de mettre l’accent sur la croissance et de laisser les inégalités se résoudre d’elles-mêmes, ne serait-ce que parce que la croissance qui en résulterait pourrait être faible et intenable. Les inégalités et une croissance intenable pourraient être les deux facettes d’un même problème.

Deuxièmement, très peu de données rétrospectives utilisées dans notre document font apparaître les effets négatifs de la redistribution sur la croissance. La redistribution moyenne et la réduction des inégalités qui en résulte semblent être solidement liées à une croissance plus élevée et plus durable. Des redistributions très importantes pourraient avoir des effets négatifs directs sur la durée de la croissance, de telle sorte que l’effet global, y compris l’effet positif sur la croissance par le biais de la diminution des inégalités, est plus ou moins neutre pour la croissance : les signaux sont mitigés sur ce point.

Mises en garde

Ces observations portent peut-être à croire que les pays qui ont pris des mesures de redistribution ont conçu ces mesures d’une manière assez efficiente. Cependant, cela ne signifie bien entendu pas que les pays qui souhaitent accroître le rôle redistributif de la politique budgétaire ne doivent pas prêter attention à l’efficience. C’est particulièrement important pour les pays dont la gouvernance et les capacités administratives sont faibles, où il est essentiel d’établir des instruments de fiscalité et de dépense qui peuvent permettre aux pouvoirs publics de procéder à une redistribution efficiente. Un document du FMI à paraître examinera plus en détail ces questions.

Bien entendu, il faut aussi être prudent à l’heure de tirer des conclusions définitives à partir d’une analyse de régression internationale. Nous savons que, après un certain point, la redistribution sera nocive pour la croissance, et que, au-delà d’un certain point, une égalité extrême ne peut pas non plus être propice à la croissance. Il est difficile d’établir la causalité avec certitude. Nous savons aussi que des politiques différentes auront probablement des effets différents dans des pays différents à des moments différents.

Conclusion

Il ressort des données macroéconomiques rétrospectives utilisées dans ce document que, en moyenne, dans l’ensemble des pays et au fil du temps, les mesures que les pouvoirs publics ont généralement prises pour redistribuer le revenu ne semblent pas avoir pesé sur la croissance. En dehors de considérations éthiques, politiques ou sociales plus largement, l’égalité qui en résulte semble avoir contribué à une croissance plus rapide et plus durable.

En termes clairs, il ne semble guère établi qu’il existe un « arbitrage fondamental » entre redistribution et croissance. Dans bon nombre de cas, il semble donc improbable qu’il soit justifié de ne rien faire face à des inégalités élevées.



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