Stabilité financière mondiale : un début d’amélioration

Par José Viñals
Affiché le 9 avril 2014 par le blog du FMI - iMFdirect

La stabilité financière dans le monde commence à s’améliorer. Mais il est encore trop tôt pour crier victoire, car il faut sortir de la dépendance à l’égard de la liquidité — thème central de notre rapport — pour surmonter les derniers obstacles sur la voie de la stabilité financière.

Progrès

Nous avons accompli d’énormes progrès ces dernières années et nous en récoltons aujourd’hui les dividendes. Comme l’a expliqué hier Olivier Blanchard lors de la conférence de presse sur les Perspectives de l’économie mondiale, l’économie américaine monte en régime, et prépare le terrain à la normalisation de la politique monétaire.

En Europe, des politiques économiques mieux conçues ont conduit à un net regain de confiance des marchés à l’égard des États et des banques.

Au Japon, la politique dite «Abenomics» a bien commencé : les tensions déflationnistes refluent et la confiance dans l’avenir revient. Enfin, les pays émergents, qui ont connu récemment plusieurs périodes de turbulences, apportent les ajustements voulus à leurs politiques.

Défis

Mais, alors que le lourd héritage de la crise commence à se dissiper, la stabilité financière se heurte à de nouveaux défis. J’en décrirai les principaux.

Les États-Unis peuvent-ils sortir en douceur de leur politique monétaire non conventionnelle? J’appellerais cela une «sortie à la Boucle d’or» – pas trop chaude, pas trop froide, juste comme il faut. C’est le scénario de référence que nous retenons, celui qui est le plus probable. Après un démarrage agité, la normalisation de la politique monétaire est en route. L’amélioration de la communication favorise un ajustement en douceur du marché, tandis que les «pousses vertes» de la reprise économique sont de plus en plus visibles — les conditions monétaires favorables engendrent le crédit, et celui-ci stimule la croissance.

La Fed lève progressivement le pied de l’accélérateur en retirant en douceur ses mesures non conventionnelles. Selon notre scénario de référence, la Fed va commencer à actionner doucement le frein et à relever les taux directeurs à partir du milieu de 2015, tout en continuant d’avancer tranquillement sur la voie de la croissance et de la reprise.

Mais une sortie mouvementée n’est pas à exclure — même si ce n’est pas notre scénario de référence. Ce scénario défavorable pourrait être engendré par l’inquiétude croissante suscitée aux États-Unis par les risques pour la stabilité financière ou un niveau d’inflation plus élevé que prévu. Il en résulterait vraisemblablement une hausse plus rapide des taux directeurs et des primes d’échéance, une augmentation des marges de crédit et une accentuation de la volatilité financière, qui pourrait déborder sur les marchés mondiaux.

Il n’y a rien de nouveaux à cela, mais nous continuons de surveiller les points chauds qui sont en train de se développer dans le système financier américain. Beaucoup ont trait au système bancaire parallèle, notamment les nombreuses émissions d’obligations à haut rendement et les prêts à effet de levier, le relâchement des normes de souscription et la sous-évaluation du risque. Par exemple, le montant des obligations à haut rendement émises ces trois dernières années représente aujourd’hui plus du double du montant enregistré avant la dernière récession, tandis que les marges sur les obligations à haut rendement sont descendues à des niveaux proches de ceux d’avant la crise. Les mesures de contrôle, tout en étant plus intenses, n’ont pas encore suffisamment restreint certains de ces excès. Par conséquent, une hausse soudaine des rendements pourrait entraîner une forte augmentation des marges de crédit et ajouter aux craintes concernant l’effet de levier et les défauts de paiement futurs.

Les pays émergents sont particulièrement vulnérables à un resserrement des conditions financières extérieures, après une période prolongée d’afflux de capitaux, d’accès facile aux marchés internationaux et de taux d’intérêt bas.

Cela a encouragé des emprunts massifs, en particulier de la part des entreprises des pays émergents. Mais, selon notre scénario défavorable, la hausse des taux d’intérêt, la diminution des bénéfices et la dépréciation des monnaies pourrait soumettre à des pressions considérables les bilans de ces entreprises. En effet, dans ce scénario, les entreprises des pays émergents, qui détiennent près de 35 % de l’encours de la dette, pourraient avoir du mal à assurer le service de leur dette. La situation varie largement d’un pays à l’autre, mais les pays récemment mis à mal en raison de leurs déséquilibres macroéconomiques ont en commun certains facteurs de vulnérabilité dans le secteur des entreprises.

En Chine, l’un des plus grands défis consiste à assurer le désendettement ordonné du système bancaire parallèle. Les établissements financiers non bancaires sont devenus une source importante de financement en Chine, dont la part a doublé depuis 2010 pour atteindre 30 % à 40 % du PIB.

Bien qu’ils témoignent d’une certaine diversification du système, ces prêts non bancaires sont aussi exposés à des risques dans la mesure où les épargnants, tablant sur les garanties implicites, ne comprennent pas forcément que les taux de rendement plus attractifs offerts par les produits d’épargne non bancaires sont aussi assortis de risques plus élevés.

La difficulté pour les autorités consiste à gérer la transition vers un secteur financier où la discipline de marché joue un plus grand rôle et où les prix reflètent plus correctement les risques — notamment par la suppression des garanties implicites — sans provoquer des tensions dans tout le système.

Dans la zone euro, l’assainissement incomplet des bilans des banques et des entreprises continue de freiner la reprise. La fragmentation entre la périphérie et les pays du noyau persiste, les conditions monétaires accommodantes n’ayant pas engendré le flux de crédit qui serait nécessaire pour alimenter une reprise plus vigoureuse, en particulier en faveur des petites entreprises. Il convient donc de redoubler d’efforts pour renforcer les bilans des banques, au moyen d’un diagnostic complet des banques à l’échelle européenne et des mesures de suivi, et pour remédier au surendettement des entreprises.

Si les retombées des événements en Ukraine ont jusqu’à présent été limitées, les risques géopolitiques restent élevés et pourraient être à l’origine d’un choc sur les marchés mondiaux.

Enfin, l’absence d’actions adéquates face aux défis que je viens de mentionner pourrait avoir de lourdes conséquences pour la stabilité mondiale. L’afflux de capitaux dont les pays émergents ont bénéficié ces dernières années pourrait s’inverser. Les variations des prix des actifs pourraient être amplifiées par la baisse de la liquidité sur les marchés, la porte de sortie se révélant trop étroite pour la masse d’investisseurs qui s’y précipite. Cette ruée vers la sortie pourrait s’étendre à certains segments des marchés développés, ce qui provoquerait des tensions de liquidité et amplifierait la volatilité sur les marchés.

Actions recommandées

Le principal message est que les pouvoirs publics doivent agir avec détermination pour tourner définitivement la page de la Grande crise financière et réussir la transition vers des marchés animés non plus par la liquidité mais par la croissance.

o Premièrement, il faut veiller à ce que la normalisation de la politique monétaire américaine se déroule dans les meilleures conditions, sur le plan des délais, de l’exécution et de la communication. Une politique macroprudentielle efficace est indispensable pour permettre le retrait en douceur des mesures non conventionnelles en limitant les risques pour la stabilité financière, en particulier dans le système bancaire parallèle.

o Deuxièmement, les pays émergents doivent continuer à se préparer au resserrement des conditions financières mondiales en cherchant à devenir plus résistants, notamment par la mise en œuvre de politiques macroéconomiques et prudentielles bien conçues, en constituant des amortisseurs budgétaires et en gérant les risques financiers des entreprises. Ils devraient aussi se tenir prêts à agir pour assurer le fonctionnement ordonné des marchés en fournissant suffisamment de liquidité en cas de turbulences.

o Troisièmement, si le Japon doit mener à terme sa politique dite “Abenomics”, la zone euro doit terminer l’assainissement des bilans des banques et des entreprises, lancer l’union bancaire dans de bonnes conditions et développer les sources de crédit non bancaires pour les petites entreprises. Tout cela est indispensable pour établir la confiance et assurer la reprise.

Cela dit, au delà des actions menées au niveau national, nous avons besoin d’une plus grande coordination au niveau mondial, car nous sommes tous dans le même bateau. Cela vaut pour la politique monétaire, pour la réglementation et la supervision financière, et pour le fonctionnement ordonné des marchés.

BIO


José Viñals

José Viñals est Conseiller financier et Directeur du Département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Auparavant, il a été Sous-Gouverneur de la Banque d’Espagne et a siégé dans plusieurs comité consultatifs et stratégiques au sein de la banque centrale et au niveau de l’Union européenne, notamment en qualité de Président du Comité des relations internationales de la Banque centrale européenne. Il est aussi l’auteur de nombreuses publications sur la macroéconomie, la politique monétaire et les questions financières.



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