Le temps de l'indifférence bienveillante à l'égard des booms immobiliers est révolu

Par Min Zhu, Directeur général adjoint, FMI
Affiché le 11 juin 2014 par le blog du FMI - iMFdirect

Les prix de l’immobilier augmentent peu à peu. Mais faut-il vraiment s’en réjouir? Ou bien sommes-nous en train de revoir le même film? Rappelons-nous que, après avoir flambé pendant une décennie, les prix des logements ont commence à chuter en 2006, d’abord aux États-Unis puis ailleurs, et ont contribué ainsi à la crise financière mondiale de 2008–09. De fait, il ressort de nos études que ce schéma flambée–effondrement des prix des logements a précédé plus de deux tiers des cinquante dernières crises bancaires systémiques.


Graphique 1 — Indice mondial des prix des logements : les prix recommencent à augmenter

Le redressement du marché de l’immobilier (graphique 1) est certainement une bonne chose, mais il faudrait éviter une nouvelle flambée insoutenable des prix. Le logement est un secteur essentiel de toute économie et il a une influence systémique; c’est pourquoi, au FMI, nous nous y intéressons non seulement au niveau de chaque pays, mais aussi au niveau international.

Cela dit, la tâche est difficile pour deux raisons. Premièrement, déterminer si les prix des logements sont décalés par rapport aux paramètres fondamentaux de l’économie relève autant de l’art que de la science. Deuxièmement, l’arsenal d’instruments pouvant servir à gérer les cycles de l’immobilier est encore en chantier.

Pour partager les informations internationales, l’analyse des marchés immobiliers et les débats sur l’efficacité de l’action des pouvoirs publics dans ce domaine, le FMI a créé une page web — la Global Housing Watch — qui permettra de trouver en un lieu unique nos données sur les indicateurs du logement. Ces informations seront actualisées chaque trimestre, la prochaine mise à jour devant avoir lieu en juillet.

Le FMI a aussi organisé une conférence en novembre dernier, avec la Banque de réserve fédérale de Dallas, qui a rassemblé des experts du secteur du logement, et une seconde conférence, où j’ai prononcé une allocution, s’est tenue la semaine dernière, sous l’égide de la Bundesbank.

Trouver le juste prix

Au cours de l’année écoulée, les prix des logements ont augmenté dans 33 des 52 pays compris dans notre indice mondial des prix du logement (graphique 2). Ces évolutions ont-elles pour effet de rapprocher ou d’éloigner les prix des logements des paramètres fondamentaux de l’économie?

Graphique 2 — Prix des logements : évoluent-ils dans la bonne direction?

La théorie veut que les prix des logements, les loyers et les revenus évoluent de concert sur le long terme. Si les prix des logements et des loyers accusent des mouvements aberrants, les gens se mettent à acheter plutôt qu’à louer, ou vice versa, et les deux finissent par se rejoindre. De même, sur le long terme, le prix des logements ne peut pas s’éloigner trop de la capacité des gens de les payer — autrement dit, de leur revenu. C’est pourquoi le rapport entre les prix des logements, d’une part, et les loyers et les revenus, d’autre part, est souvent utilisé comme premier indicateur pour déterminer si les prix des logements sont décalés par rapport aux paramètres fondamentaux de l’économie.

Si l’on regarde les chiffres, que nous disent-ils? Dans le cas des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, pour lesquels on dispose de séries chronologiques suffisamment longues des prix des logements, des loyers et des revenus, ce rapport reste largement au-dessus des moyennes historiques pour la majorité des pays. C’est vrai par exemple de l’Australie, de la Belgique, du Canada, de la Norvège et de la Suède (graphiques 3a et 3b).

Graphique 3a : La baisse peut-elle continuer? Ratios prix des logements/loyers (par rapport aux moyennes historiques)

Graphique 3b : Des prix abordables? Ratios prix des logements/revenus (par rapport aux moyennes historiques)

Détecter une surévaluation : un art plus qu’une science

Les informations sur les ratios prix des logements/loyers et prix des logements/revenus ne nous fournissent toutefois qu’une indication générale de la valeur de marché des logements. Pour se faire une idée de la valeur des logements, il faut avoir des renseignements supplémentaires sur, par exemple, la croissance du crédit, l’endettement des ménages, les caractéristiques des prêteurs et les méthodes de financement.

Dans leurs rapports périodiques sur la situation économique des pays (ce qu’on appelle les rapports Article IV), les équipes du FMI fournissent souvent une évaluation des marchés immobiliers et s’intéressent de plus en plus à la croissance du crédit, ainsi qu’à plusieurs autres caractéristiques du marché immobilier local. Dans certains cas, cet examen plus détaillé révèle une surévaluation beaucoup plus modeste que ne le laisseraient penser les ratios prix des logements/revenus et prix des logements/loyers. C’est le cas par exemple en Belgique, où le FMI a conclu que, malgré le niveau élevé de ces ratios, le risque d’une correction brutale des prix immobiliers semblait limité. Étant donné que le cycle du logement a des caractéristiques propres en fonction du pays concerné, il ne saurait être question de prôner une «solution universelle» valable pour tous les pays.

La constitution d’un arsenal d’instruments

La réglementation du secteur du logement fait appel à un ensemble complexe de politiques — l’économiste de renom Avinash Dixit a proposé les acronymes anglais MiP, MaP, MoP pour les politiques microprudentielle, macroprudentielle et monétaire.

La politique macroprudentielle a pour but de veiller à ce que les différents établissements financiers soient résilients. Cela est nécessaire à la solidité du système financier, mais ce n’est pas toujours suffisant; parfois, des actions qui conviennent au niveau d’un établissement particulier peuvent déstabiliser l’ensemble du système.

C’est pourquoi nous avons aussi besoin de politiques macroprudentielles pour rendre l’ensemble du système plus résilient. Les principaux instruments macroprudentiels utilisés pour maîtriser les booms immobiliers sont la limitation de la quotité et du ratio dette/revenus ainsi que l’imposition de niveaux de fonds propres obligatoires par secteur (graphique 4). La RAS de Hong Kong plafonne ainsi la quotité et le ratio dette/revenus depuis 1990, la Corée depuis le début des années 2000, et, pendant et après la crise financière mondiale, plus de vingt pays avancés et émergents ont suivi leur exemple.

Graphique 4 : Adoption de mesures macroprudentielles pour gérer les cycles du logement (nombre de pays)

Un autre instrument macroprudentiel consiste à imposer des normes de fonds propres plus strictes pour les prêts à certains secteurs, tels que celui de l’immobilier. Cela force les banques à détenir davantage de fonds propres pour couvrir ces prêts, ce qui décourage la surexposition à l’égard de ce secteur. Dans un grand nombre de pays avancés (Irlande, Norvège et Espagne), et de pays émergents (Estonie, Pérou et Thaïlande), la pondération du risque afférent aux fonds propres a été accrue pour les prêts hypothécaires à quotité élevée.

Même si, jusqu’à présent, les chiffres portent à croire que les politiques macroprudentielles sont efficaces à court terme pour calmer le marché du logement, il va de soi qu’elles gagneraient à être encore affinées.

Enfin, il y a la politique monétaire, par laquelle la banque centrale relève les taux d’intérêt quand elle veut calmer le secteur du logement. Si la politique monétaire peut être un instrument important dans bien des cas pour soutenir les politiques macroprudentielles, la répartition optimale entre l’une et les autres est encore loin de faire l’unanimité. Ce qui est clair, toutefois, c’est que désormais la politique monétaire devra se soucier davantage qu’auparavant de la stabilité financière et, par conséquent, des marchés du logement.

Les instruments qui permettraient de contenir les booms immobiliers sont encore en cours d’élaboration. Les preuves de leur efficacité commencent seulement à s’accumuler. Les interactions entre différents instruments peuvent être complexes. Mais cela ne doit pas être un prétexte pour ne rien faire. L’effet combiné de plusieurs outils pourrait avoir raison de l’inefficacité relative de chacun lorsqu’il est utilisé seul. Les pouvoirs publics doivent dépasser l’attitude de «bienveillante indifférence» en faveur d’une approche « d’actions tous azimuts”.

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Min Zhu

Directeur général adjoint, FMI

M. Min ZHU a pris les fonctions de Directeur général adjoint le 26 juillet 2011. Il a auparavant occupé le poste de Conseiller spécial auprès du Directeur général du Fonds monétaire international du 3 mai 2010 au 25 juillet 2011.

M. Zhu, ressortissant chinois, était Gouverneur adjoint de la Banque populaire de Chine. Il était responsable des affaires internationales, des études et des informations de crédit. Avant de travailler à la Banque centrale de Chine, il avait occupé divers postes à la Bank of China, où il avait été Vice-président exécutif du Groupe, chargé des finances et de la trésorerie, de la gestion du risque, du contrôle interne, des questions juridiques et du respect des règles, ainsi que de la stratégie et de la recherche. M. Zhu a aussi travaillé à la Banque mondiale et enseigné l’économie à la fois à la Johns Hopkins University et à l’université Fudan.

M. Zhu est titulaire d’un doctorat et d’une maîtrise d’économie de la Johns Hopkins University, d’une maîtrise d’administration publique de la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs de Princeton University et d’une licence d’économie de l’Université Fudan.



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