Stabilité financière dans le monde : vulnérabilité, séquelles

Par José Viñals, Conseiller financier et Directeur du Département des marchés monétaires et de capitaux du FMI
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Le 7 octobre 2015

Aujourd’hui, la stabilité financière dans le monde n’est pas encore assurée et les aléas négatifs prédominent. Nous recommandons une mise à niveau urgente des politiques afin d’éviter ces risques et de concrétiser notre scénario optimiste de «normalisation réussie» des conditions monétaires et financières. Cela garantira la stabilité financière et consolidera la reprise économique.

Laissez-moi vous parler d’abord de notre évaluation globale de la stabilité financière. Comment a-t-elle évolué depuis l’édition d’avril de notre Rapport sur la stabilité financière dans le monde? Les nouvelles sont bonnes. La stabilité financière s’est améliorée dans les pays avancés, dans la mesure où la reprise économique s’est généralisée et affermie. La Réserve fédérale a indiqué qu’elle s’apprêtait à relever les taux d’intérêt aux États-Unis car les conditions économiques préalables à cette hausse sont pratiquement réunies. Dans la zone euro, les politiques de la Banque centrale européenne ont porté leurs fruits et la situation du crédit s’améliore.

Cependant, comme indiqué dans cette édition et dans notre rapport d’avril 2015, les risques basculent vers les pays émergents. Si bon nombre de ces pays ont renforcé leur dispositif d’action et leur résilience face aux chocs exogènes, plusieurs d’entre eux se heurtent à d’importants déséquilibres intérieurs. La croissance s’essouffle pour la cinquième année consécutive, sachant que le super-cycle des matières premières et l’essor du crédit sans précédent se sont achevés. Cela revêt une importance particulière, compte tenu du poids des pays émergents dans l’économie mondiale ainsi que du rôle joué par les marchés mondiaux dans la propagation des chocs aux autres pays émergents et des retombées sur les pays avancés, comme en témoignent les remous sur les marchés financiers cet été.

Trois grands enjeux

Premièrement, les facteurs de vulnérabilité des pays émergents. Les entreprises et les banques ont perdu leur marge de manœuvre bilancielle : nous estimons que l’excès d’emprunts sur les marchés émergents peut se chiffrer jusqu’à trois mille milliards de dollars. Compte tenu de l’endettement accru du secteur privé et de la plus forte exposition aux conditions financières mondiales, les sociétés sont plus vulnérables aux baisses de conjoncture, et les pays émergents aux sorties de capitaux et à la dégradation de la solvabilité. La Chine notamment aura pour redoutable tâche de concilier la transition vers une croissance plus axée sur la consommation sans trop ralentir l’activité et de diminuer son endettement élevé via une réduction ordonnée de l’effet de levier, tout en évoluant vers un système davantage fondé sur le marché.

Deuxièmement, il faut s’attaquer aux séquelles de la crise dans les pays avancés afin de consolider la stabilité financière et de réduire les obstacles à la croissance. Dans la zone euro, la correction des facteurs de vulnérabilité souveraine et bancaire ainsi que la correction des lacunes dans l’architecture financière demeurent indispensables. Aux États-Unis, le lancement du processus tant annoncé, mais sans précédent, de relèvement des taux directeurs pour la première fois en neuf ans constituera une transition importante pour les marchés mondiaux.

Le troisième enjeu tient à la manière dont les marchés financiers mondiaux réagissent lorsqu’ils sont en proie à des tensions. Nous avons découvert que les marchés peuvent amplifier les chocs et représenter une source d’instabilité et de contagion lorsque leur liquidité est faible. Ce rapport montre d’ailleurs que la liquidité des marchés est devenue moins solide.

Cela est d’autant plus important que les politiques monétaires extrêmement accommodantes ont contribué à une compression des primes de risque sur un large éventail de marchés d’actifs. En réalité, cette compression pourrait s’inverser d’une manière désordonnée, enclenchant ainsi un cercle vicieux de ventes de liquidation, de remboursements et de volatilité accrue.

L’effet de levier dans les fonds d’investissement est aussi susceptible d’amplifier les chocs. Notre analyse a montré que les fonds obligataires intégraient un endettement de 1.500 milliards de dollars via des dérivés.

Une mise à niveau rapide des politiques s’impose. Notre objectif est une normalisation réussie des conditions financières et des politiques monétaires ainsi qu’une reprise économique durable. Toutefois, des revers et/ou des chocs négatifs pourraient provoquer des remous persistants sur les marchés mondiaux qui, à terme, feraient caler la reprise économique et se traduiraient par ce que j’appelle un «échec de normalisation». La différence entre ces deux scénarios est assez nette puisqu’elle correspond à pratiquement 3 % de la production mondiale d’ici à 2017.

Quelles sont les mesures d’urgence qui doivent être prises?

Dans les principaux pays avancés, les politiques monétaires doivent rester accommodantes et réactives. La zone euro comme le Japon devront continuer à résister aux pressions à la baisse sur les prix. Sur fond de montée de l’incertitude dans l’économie mondiale, les États-Unis devraient attendre de nouveaux signes de hausse régulière des prix et de vigueur persistante du marché du travail avant de relever les taux directeurs. Les relèvements ultérieurs de ces taux devraient être progressifs et faire l’objet d’une communication claire.

Dans la zone euro, les dirigeants ne peuvent s’appuyer uniquement sur la Banque centrale européenne mais doivent s’efforcer de finaliser l’union bancaire pour mieux asseoir la stabilité financière. Il leur faut aussi progresser sur le front de l’union des marchés de capitaux. Un nouveau renforcement des banques de la zone euro, en remédiant globalement aux prêts improductifs et au surendettement privé, accentuera l’efficacité de la politique monétaire, dopera la confiance des marchés et améliorera les perspectives. La résolution du problème des créances bancaires improductives dans la zone euro pourrait libérer environ 3 % de prêts dans la nouvelle capacité de prêt, ce qui représente quelque 600 milliards d’euros.

Le rééquilibrage et le désendettement en Chine demanderont une grande prudence. Les autorités chinoises font face à des problèmes sans précédent pour opérer la transition vers un nouveau modèle de croissance et un système financier davantage fondé sur le marché. Le désendettement du secteur des entreprises et l’amélioration de la discipline de marché entraîneront forcément des défaillances d’entreprises, la sortie du marché de sociétés non viables ainsi que le passage par pertes et profits de créances improductives, ce qui nécessitera de renforcer encore les banques. Cependant, agir avec résolution se révèlera au final moins coûteux que de tenter de s’affranchir du problème.

Il sera capital de développer la résilience et de préserver la confiance dans les pays émergents. Ces pays ont besoin d’anticiper le cycle de crédit. Face au ralentissement de la croissance et à l’endettement grandissant des entreprises, une attention doublée de prudence s’impose immédiatement pour garantir la résilience des sociétés et des banques. En outre, il est essentiel de prendre des mesures adéquates pour que les emprunteurs souverains se maintiennent dans la catégorie investissement. Pour lutter contre les éventuels phénomènes de contagion financière, il faudra utiliser avec habilité et pertinence les marges de manœuvre disponibles.

La protection contre l’illiquidité des marchés et le renforcement des structures des marchés financiers constituent des priorités. La surveillance de la liquidité dans le secteur de la gestion d’actifs devrait être améliorée pour éviter le risque de ventes de liquidation et une course aux remboursements.

Une démarche collective visant à mettre à niveau les politiques s’impose de toute urgence pour faire face aux difficultés croissantes dans un contexte d’incertitude mondiale, afin de garantir la stabilité financière et de meilleures perspectives de croissance. 3 % de la production mondiale sont en jeu.

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José Viñals est Conseiller financier et Directeur du Département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Auparavant, il a été Sous-gouverneur de la Banque d’Espagne et a siégé dans plusieurs comités consultatifs et stratégiques au sein de la banque centrale et au niveau de l’Union européenne, notamment en qualité de Président du Comité des relations internationales de la Banque centrale européenne. Il est aussi l’auteur de nombreuses publications sur la macroéconomie, la politique monétaire et les questions financières.



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