Agir face à l’atonie de la croissance et à la dégradation des perspectives

Par Maurice Obstfeld, Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI
Affiché le 19 janvier 2016 par le blog du FMI - iMFdirect

En ce début de 2016, les turbulences gagnent une fois de plus les marchés financiers face aux craintes qui pèsent de nouveau sur la croissance économique mondiale. Les forces fondamentales qui étaient à la base des projections de l’édition d’octobre des Perspectives de l’économie mondiale ne se sont pas dissipées; à certains égards elles se sont d’ailleurs intensifiées, ce qui nous pousse à revoir légèrement à la baisse nos prévisions de croissance mondiale à moyen terme.

Dans la Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale publiée aujourd’hui, nous précisons toutefois que la croissance devrait rebondir cette année dans la plupart des pays.

Certes, le repli des perspectives de croissance générale est modeste et des améliorations devraient se produire durant les années à venir, mais les risques baissiers qui pèsent sur notre scénario de base se sont intensifiés. Selon nous, l’évolution récente des marchés financiers s’explique principalement par l’attention portée à ces risques.

Le parcours pourrait être accidenté cette année, notamment dans les pays émergents et en développement.

Les trois forces que nous avions signalées en octobre dernier continuent de jouer un rôle prépondérant dans la conjoncture mondiale actuelle : le ralentissement de la croissance en Chine et la montée des risques des marchés financiers à l’heure où le pays renonce à la primauté des secteurs traditionnels de l’industrie et du BTP pour procéder à un rééquilibrage macroéconomique; la chute des cours des matières premières, et notamment du pétrole; et l’évolution asynchrone des politiques monétaires, notamment entre les États-Unis et la plupart des autres pays avancés. Les effets continuent de se manifester. Depuis la mi-octobre, par exemple, le prix des métaux de base a encore perdu 15 % et celui du pétrole 40 %.

Si l’aversion pour le risque a poussé certains investisseurs à se centrer sur les retombées négatives que peuvent avoir ces phénomènes, ceux-ci ouvrent paradoxalement des perspectives contrastées et renferment des promesses de redressement qui devraient en principe défier le pessimisme des marchés au regard de la croissance mondiale totale. Le rééquilibrage de la Chine est essentiel pour sa transition vers une croissance plus résiliente et durable axée sur la consommation; le repli des cours des produits de base profite aux consommateurs et réduit les coûts de production; et le relèvement des taux d’intérêt américains en décembre dernier, que la Réserve fédérale a bien communiqué, s’explique par la tenue relativement bonne de l’économie américaine, qui reste la première au monde. Cela étant, ces mutations appellent de profonds ajustements dans de nombreux pays, ajustements qui prédominent dans les perspectives à moyen terme.

Perspectives mondiales

Passons aux chiffres concrets. La croissance économique mondiale devrait se hisser de 3,1 % en 2015 à 3,4 % en 2016, puis à 3,6 % en 2017. Les chiffres de 2016 et 2017 sont tous deux inférieurs de 0,2 point aux prévisions d’octobre. Les pays émergents et en développement comptent pour plus de deux tiers dans cette révision à la baisse, mais ils devraient connaître une accélération modérée en 2016 et 2017, par rapport à l’année dernière. Les pays avancés progresseront légèrement en 2016 et 2017, mais, là aussi, à des taux un peu inférieurs à ceux qui nous projetions dans la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale.

Bien entendu, les moyennes globales cachent de grandes disparités entre pays. La faible révision à la baisse des projections de croissance des pays avancés s’explique par un léger repli de l’optimisme à l’égard des États-Unis. Les perspectives de croissance de la zone euro, du Royaume-Uni et du Japon sont globalement inchangées.

Parmi les pays émergents et les pays en développement, se démarquent particulièrement ceux qui sont aux prise avec une multiplicité de défis particulièrement graves et accusent une croissance très négative en 2015, comme par exemple le Brésil et la Russie (et ses voisins de la CEI), dont la forte contraction de cette année devrait ralentir durant les deux prochaines années. Cela dit, même si elle se trouve en deçà des chiffres de ces derniers exercices, la croissance paraît meilleure dans d’autres pays d’Amérique latine et dans les pays émergents et en développement d’Europe. Les perspectives de croissance se sont quelque peu atténuées dans certaines parties d’Asie en raison des retombées extérieures étonnamment fortes de la transition de la croissance chinoise. En revanche l’Inde, gros importateur net de matières premières, continue d’afficher le taux de croissance le plus vigoureux parmi les grands pays émergents.

Risques baissiers

Un certain nombre de risques baissiers spécifiques pèsent sur notre scénario et, naturellement, toute altération qui pourrait survenir dans une grande économie malmenée pourrait avoir des retombées internationales par le biais des échanges, des prix des actifs et des matières premières et de la confiance.

L’un des risques baissiers est celui d’un parcours accidenté de l’économie chinoise si sa croissance ralentissait plus que prévu, ce qui aurait des retombées directes sur les partenaires commerciaux et perturberait les marchés des changes et les autres marchés financiers à travers le monde. Nous avons maintenu notre évaluation pour la croissance chinoise en 2016 et 2017 compte tenu de la robuste tenue du secteur des services et des autres secteurs de la «nouvelle économie», et des initiatives budgétaires destinées à accompagner la demande. La situation pourrait toutefois changer. La poursuite d’une croissance vigoureuse en Chine dépend de l’action rapide et résolue des autorités pour corriger les déséquilibres résiduels et les séquelles des déséquilibres passés. En outre, la communication claire d’une stratégie globale cohérente, y compris au regard du taux de change du yuan, est vitale, tant pour la stabilité de la situation intérieure que pour celle des marchés internationaux.

Les dépréciations monétaires ont servi à amortir les chocs dans de nombreux pays émergents et en développement, mais à terme elles pourraient mettre en évidence des faiblesses bilantielles en présence d’engagements en devises. De même, les flux de capitaux privés vers les pays émergents et préémergents se sont pratiquement interrompus au troisième trimestre 2015, la Chine y ayant compté pour beaucoup. La poursuite et l’élargissement de cette tendance représentent une menace même avec la marge de protection accrue que représentent les réserves internationales. Le creusement généralisé des écarts de taux souverains en Amérique latine et en Afrique constitue un autre indicateur de tension. Une aversion plus marquée pour le risque à l’échelle mondiale, quelle qu’en soit l’origine, pourrait durcir davantage les conditions financières des pays vulnérables.

Enfin, loin de s’atténuer, les risques politiques et géopolitiques se sont intensifiés durant ces derniers mois. À ce titre, on citera surtout les flux de réfugiés venus de Syrie et d’Iraq qui mettent à très rude épreuve les pays voisins et s’étendent à l’Europe, déclenchant des divergences politiques au sein de l’Union européenne et menaçant le cadre actuel de libre-circulation de la main-d’œuvre. L’absorption rapide des réfugiés par les marchés du travail permettra en dernière analyse de relever la production, mais dans un premier temps, les budgets des États seront sollicités. Pour difficiles que soient ces problèmes dans les pays d’accueil, il ne faut pas perdre de vue les défis sécuritaires des pays d’origine, qui sont la cause des déplacements internes et externes. Ils imposent des coûts immenses, d’abords aux réfugiés eux-mêmes.

L’heure est à l’action

Dans les pays avancés, les taux de croissance actuellement projetés sont trop faibles pour réduire le niveau élevé du chômage et corriger les autres séquelles des crises récentes, ou pour déclencher une forte croissance des salaires réels. Dans les pays émergents et en développement, les taux de croissance actuellement prévus ralentissent considérablement la convergence vers des niveaux supérieurs de revenu. Il faut agir. Les recommandations doivent s’adapter à chaque pays mais de manière générale il y a trois priorités.

Premièrement, accompagner la demande globale face à l’atonie de l’activité et, dans certains pays, à la persistance des tensions déflationnistes.

Deuxièmement, promouvoir l’efficience économique et la croissance à long terme tant il est vrai que les taux de croissance potentielle ont chuté de par le monde durant la dernière décennie. La réforme structurelle est un volet important; elle sera d’ailleurs l’un des temps forts de la prochaine édition des Perspectives de l’économie mondiale en avril 2016.

Enfin, il faut renforcer davantage et élargir le dispositif de protection international, en consolidant la résilience face à ce que l’avenir pourrait nous réserver.

Voir également la vidéo et l’infographie sur M. Obstfeld.


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Maurice Obstfeld est Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI, en disponibilité de l’Université de Californie, à Berkeley, où il est professeur d’économie (classe de 1958) et anciennement directeur de la Faculté d’économie (1998-2001). Professeur à Berkeley depuis 1991, il a auparavant occupé les postes de professeur titulaire à Columbia (1979-1986) et à l’Université de Pennsylvanie (1986-1989), et de professeur invité à Harvard (1989-90). Il a obtenu son doctorat en économie au MIT en 1979, après avoir étudié à l’Université de Pennsylvanie (licence, 1973) et au King’s College de l’Université de Cambridge (maîtrise, 1975).

De juillet 2014 à août 2015, M. Obstfeld a été membre du Conseil des conseillers économiques du Président Obama. De 2002 à 2014, il a occupé le poste de conseiller honoraire auprès de l’Institut d’études économiques et monétaires de la Banque du Japon. Il est en outre membre de la Société d’économétrie et de l’Académie américaines des arts et des sciences. M. Obstfeld a notamment reçu les distinctions suivantes : le prix Tjalling Koopmans de l’Université de Tilburg, le prix John von Neumann du Rajk Laszlo College of Advanced Studies (Budapest), et le prix de l’Institut Bernhard Harms de l’Université de Kiel. Il a prononcé des conférences de renom, dont la conférence annuelle Richard T. Ely de l’American Economic Association, la conférence L. K. Jha Memorial de la Banque de réserve de l’Inde, et la conférence Frank Graham Memorial de l’Université de Princeton. M. Obstfeld a été membre du Comité de direction ainsi que Vice-président de l’American Economic Association. Il a également été consultant et a donné des cours au FMI, ainsi que dans de nombreuses banques centrales dans le monde.

Il a par ailleurs coécrit deux des ouvrages phares en économie internationale — Économie internationale (10e édition, 2014, avec Paul Krugman et Marc Melitz), et Foundations of International Macroeconomics (1996, avec Kenneth Rogoff) —, ainsi qu’une centaine d’articles de recherche sur les taux de change, les crises financières internationales, les marchés mondiaux de capitaux, et la politique monétaire.



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