Grèce : à la recherche d’un programme viable

Blog par Poul M. Thomsen, Directeur du Département Europe, FMI
Affiché 11 février 2016 par le blog du FMI - iMFdirect

Le gouvernement d’Alexis Tsipras, qui a réussi à éviter le scénario catastrophe l’été dernier puis à stabiliser l’économie grecque, négocie actuellement avec ses partenaires européens et le FMI un programme pluriannuel global qui vise à assurer durablement la reprise et à rendre la dette viable. Durant les pourparlers en cours, des perceptions erronées se sont fait jour quant à la position du FMI et à son rôle dans le processus. Il m’a paru utile de préciser quelques points.

D’aucuns disent que le FMI a subordonné sa participation à la réalisation de réformes sociales draconiennes, portant notamment sur le système des retraites. Ce n’est pas le cas. Au bout du compte, il faut que le programme se tienne : il doit comporter un ensemble de réformes en sus d’un allègement de la dette qui nous permette, à nous-mêmes et à la communauté internationale, d’être raisonnablement convaincus qu’au terme du prochain programme et après avoir été pendant près de dix années tributaire de l’aide de l’Europe et du FMI, la Grèce sera enfin en mesure de voler de ses propres ailes. Il y a donc un rapport inversement proportionnel entre la vigueur des réformes et le degré d’allègement de la dette : nous pouvons certes nous accommoder de réformes moins ambitieuses, mais cela impliquera forcément un allègement plus important de la dette.

Cela dit, quelle que soit l’ampleur de la réforme des retraites, l’endettement de la Grèce ne peut pas être viable s’il n’est pas allégé et, quel que soit le degré d’allègement de la dette, le régime des retraites ne peut pas être viable s’il n’est pas réformé. L’un ne va pas sans l’autre. Il est certain que tant la Grèce que ses partenaires européens vont devoir prendre des décisions difficiles au cours des prochains mois pour parvenir à un programme viable – un programme qui tienne la route.

Il ne saurait être question de «remettre au lendemain» ces décisions ardues en s’appuyant sur des hypothèses irréalistes. Certes, il y a moyen d’améliorer sensiblement la productivité en réformant le système, mais, comme l’ont montré ces six dernières années, l’ampleur et le rythme des réformes que la société grecque est prête à accepter ne permettent pas d’espérer une amélioration rapide de la productivité porteuse d’une croissance vive et durable. Il est donc vain de supposer que la Grèce peut simplement sortir de son problème d’endettement par la croissance, sans allègement — en sautant subitement du dernier rang au premier en matière de croissance de la productivité dans la zone euro. De même, au vu des très maigres progrès dans la lutte contre la fraude fiscale notoire en Grèce — le but étant que les nantis paient leur dû —, il est vain de supposer que l’on peut faire l’économie de la réforme des retraites en tablant simplement sur une amélioration des rentrées fiscales à l’avenir.

Pourquoi cette insistance sur le système des retraites? En dépit des réformes de 2010 et 2012, le système grec reste exagérément généreux. Par exemple, en valeur nominale, le niveau de pension standard est à peu près identique en Grèce et en Allemagne, alors que, d’après le salaire moyen, l’Allemagne est deux fois plus riche que la Grèce. De plus, les Grecs partent en retraite bien plus tôt que les Allemands et la collecte des cotisations sociales est beaucoup plus efficace en Allemagne. Résultat : la Grèce est obligée de ponctionner sur son budget environ 10 % du PIB pour combler le trou béant du système de retraites, contre une moyenne européenne d’environ 2½ % seulement. Ce n’est manifestement pas viable.

Mais la Grèce ne peut-elle pas protéger ses retraités en pratiquant des coupes par ailleurs ou en relevant les taux d’imposition? La marge existe, mais elle est très limitée. Des coupes claires ont déjà frappé la plupart des autres dépenses pour protéger les retraites et les prestations sociales, et comme il n’a pas été possible d’élargir l’assiette de l’impôt et d’améliorer le civisme fiscal, le levier de la majoration des taux a déjà été actionné de façon abusive. Pour atteindre son objectif à moyen terme ambitieux — un excédent primaire de 3½ % du PIB —, la Grèce va devoir faire des économies d’environ 4 % à 5 % du PIB. Nous ne voyons pas comment elle peut y parvenir sans une réforme majeure des retraites.

Ces réformes auront assurément un large impact social sur le peuple grec, qui a déjà été rudement éprouvé ces dernières années. De fait, la pression sociale a déjà obligé le précédent et l’actuel gouvernements à faire machine arrière et la Grèce est malheureusement bien plus éloignée de ses objectifs à moyen terme qu’elle ne l’était à la mi-2014, avant une vague d’assouplissement fiscal qui a effacé un excédent primaire qui n’a donc guère duré. À cet égard, le gouvernement fait observer à juste titre que les retraites ont en Grèce une fonction sociale plus vaste. Mais on ne peut pas s’en servir ainsi indéfiniment. Ce qui est nécessaire — la solution que le FMI recommande — est l’établissement d’un système de protection sociale moderne et viable à moyen terme.

Est-ce que la nécessaire réforme des retraites serait moins pénible si l’objectif d’excédent primaire était nettement inférieur à 3½ % du PIB? Peut-être, mais cela exigerait un allègement plus prononcé de la dette. Voilà qui est problématique pour les partenaires européens de la Grèce, ce qui peut se comprendre, d’une part parce qu’ils sont plusieurs à être tenus de dégager des excédents primaires du même ordre afin de préserver la viabilité de leur dette, et d’autre part parce que certains des pays qui seraient mis à contribution pour financer l’allègement de la dette grecque sont plus pauvres que la Grèce et ont des systèmes de retraites moins généreux. La zone euro étant encore loin d’être une union politique, il faudra trouver un compromis face à ces contraintes politiques. Le FMI est prêt à s’accommoder de la combinaison de réformes et d’allègement de la dette sur laquelle la Grèce et ses partenaires européens peuvent s’accorder. Mais, répétons-le, il faut que l’ensemble se tienne.

Le FMI ne souhaite pas que la Grèce procède à un resserrement budgétaire draconien alors que l’économie est déjà très déprimée. De fait, nous avons à maintes reprises plaidé pour un ajustement des finances publiques qui soutienne davantage le redressement à court terme et soit plus réaliste à moyen terme. La Grèce ne nous a pas encore présenté un plan crédible expliquant comment elle compte atteindre l’excédent primaire très ambitieux qu’elle s’est fixé comme objectif à moyen terme et qui est un élément essentiel de la stratégie du gouvernement pour rétablir la viabilité de la dette. Il est crucial d’insister sur cette exigence de crédibilité pour obtenir la confiance des investisseurs qui est indispensable au redressement de la Grèce. Un plan fondé sur des hypothèses trop optimistes ne ferait que ressusciter les craintes de la sortie de la Grèce de la zone euro et alourdirait le climat des investissements.

L’objectif primordial de l’engagement du FMI aux côtés de la Grèce est d’aider le pays à retrouver la voie d’une croissance durable profitant au peuple grec. Le FMI œuvrera avec les autorités grecques et leurs partenaires européens à l’élaboration d’un programme de réformes et d’allègement de la dette qui se tienne. Il y a des choix difficiles à faire, mais il est important d’en passer par là pour que les efforts consentis par la Grèce depuis six mois ne l’aient pas été en vain.
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Poul M. Thomsen est Directeur du Département Europe du FMI. Il est actuellement chargé des programmes du FMI avec la Grèce et le Portugal, et il supervise aussi les travaux des autres équipes chargées des programmes de l’Islande, de la Roumanie et l’Ukraine.

Pendant les années 1990 et au début de la décennie suivante, M. Thomsen a acquis une vaste expérience des problèmes économiques et sociaux auxquels sont confrontés les pays d’Europe centrale et orientale à l’occasion de nombreux détachements dans la région, y compris en qualité de Représentant résident principal du FMI et Directeur du Bureau de Moscou.



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