Signaux d’alerte face à la montée des risques financiers mondiaux

Par José Viñals
Affiché le 13 avril 2016 par le blog du FMI

Durant les six derniers mois, les risques liés à la stabilité financière mondiale se sont accentués sous l’effet de plusieurs phénomènes :

• Premièrement, les risques macroéconomiques se sont intensifiés, en raison des perspectives de croissance et d’inflation plus faibles et plus incertaines et d’un regain de morosité sur les marchés. Ces risques ont été mis en relief hier lors de la conférence de presse sur les Perspectives de l’économie mondiale.

• Deuxièmement, la chute des cours des matières premières et les craintes suscitées par l’économie chinoise ont accentué les tensions sur les marchés du crédit des pays émergents et des pays avancés.

• Enfin, la confiance à l’égard des politiques mises en œuvre a diminué compte tenu des doutes quant à la capacité des politiques monétaires, par trop sollicitées, à compenser l’impact de la montée des risques économiques et politiques.

Au début de l’année, les marchés ont réagi de manière négative à ces phénomènes. Les valeurs boursières se sont effondrées, la volatilité s’est fortement accentuée, les risques de récession des pays avancés étaient de plus en plus présents dans les esprits et les actions bancaires ont été de nouveau chahutées.

Aujourd’hui, les marchés semblent s’être sensiblement redressés par rapport aux minima de la mi-février. Les places boursières ont effacé une très grande partie de leurs pertes, les cours du pétrole sont remontés et la volatilité s’est quant à elle apaisée. Cette embellie fait suite à quelques bonnes nouvelles sur le front économique, à une intensification de l’action de la Banque centrale européenne et à une démarche plus prudente de la Réserve fédérale au regard du relèvement des taux d’intérêt. La Chine a également redoublé d’efforts pour renforcer son cadre d’action afin de doper la croissance et de stabiliser le taux de change.

La présente édition du Rapport sur la stabilité financière dans le monde pose la question de savoir si les turbulences observées durant ces derniers mois sont révolues ou si elles constituaient un signal d’alerte nous invitant à agir davantage. Je penche plutôt pour la deuxième explication : il faut faire plus pour assurer la stabilité mondiale.

Les enjeux sont considérables. Des mesures additionnelles s’imposent pour opérer un dosage de politiques plus puissant et plus équilibré, faute de quoi les turbulences risquent de s’emparer de nouveau des marchés et de s’intensifier, en créant un cercle vicieux de crise de confiance, d’affaiblissement de la croissance, de durcissement des conditions financières et d’alourdissement de la dette. Cette situation pourrait aboutir à une stagnation économique et financière à l’échelle mondiale. Dans ce type de scénario, selon nos estimations la production mondiale pourrait chuter de près de 4 % par rapport à nos projections de référence sur les cinq années à venir (graphique 1). Cela reviendrait à renoncer à un an de croissance mondiale.

Que faut-il donc faire? Nous ne pouvons pas nous contenter du statu quo. Nous devons engager une démarche collective pour relever un triple défi mondial. Il s’agit des mêmes défis que j’avais soulignés il y a six mois, à savoir les séquelles persistantes de la crise dans les pays avancés, l’aggravation des vulnérabilités dans les pays émergents et les risques de liquidité sur les marchés d’importance systémique. Les turbulences qu’ont accusées les marchés au début de l’année nous rappellent sans équivoque que le travail reste inachevé.

Passons aux défis auxquels se heurtent les pays avancés et les pays émergents et aux moyens à mettre en œuvre pour les relever. Résoudre ces défis permettra d’accroître la production mondiale dans une proportion pouvant aller jusqu’à 1,7 %, par rapport au scénario de référence sur les cinq années à venir (graphique 1). Cela reviendrait à gagner un semestre de croissance mondiale.

Le premier défi à relever est celui des séquelles de la crise dans les pays avancés, notamment dans le secteur bancaire, compte tenu du rôle fondamental qu’il joue dans le financement de l’économie. Les banques des pays avancés sont aujourd’hui beaucoup plus sures mais elles ont tout de même été fortement malmenées au début de l’année, face à l’affaiblissement des perspectives économiques et aux incertitudes grandissantes.

Les banques doivent aussi s’attaquer à d’importants défis structurels pour s’adapter aux nouvelles réalités d’après-crise qui continuent de compromettre leur rentabilité. Le modèle de gestion de beaucoup de banques dans les pays avancés est mis à rude épreuve. Selon nous, ces banques représenteraient environ 15 % des actifs bancaires des pays avancés (graphique 2). Dans la zone euro, les tensions des marchés mettent aussi en évidence des séquelles de longue date. Il est urgent de corriger le niveau élevé des créances improductives en mettant en œuvre une stratégie globale et, à terme, il faudra gérer l’excédent de capacité du système bancaire, à savoir le nombre trop élevé d’établissements. L’Europe doit en outre parachever l’union bancaire et établir un dispositif commun de garantie des dépôts.

Le deuxième grand défi provient des pays émergents. L’effondrement des cours des matières premières a exacerbé les vulnérabilités des entreprises et des États, entretenant de la sorte un niveau élevé de risques économiques et financiers. Après des années d’endettement grandissant, les pays émergents se heurtent aux problèmes issus de l’effet conjugué du ralentissement de la croissance, du durcissement des conditions de crédit et de la volatilité des flux de capitaux. Jusqu’à présent, beaucoup de pays ont fait preuve d’une remarquable résilience dans cette conjoncture difficile, grâce à l’utilisation judicieuse des marges de manœuvre accumulées durant les années d’expansion. Mais ces marges s’épuisent rapidement et certains pays n’en ont plus du tout.

Vu la détérioration de la santé du secteur des entreprises, notamment dans les pays exportateurs de matières premières et dans les secteurs liés à ces produits, les tensions de refinancement risquent de s’accentuer. Cela peut entraîner des retombées sur les États car parmi les entreprises les plus faibles il y a beaucoup de sociétés publiques. Les marges de fonds propres des banques sont globalement suffisantes dans beaucoup de pays émergents, mais elles seraient vraisemblablement mises à rude épreuve par une augmentation des créances improductives (graphique 3). Ces liens d’interdépendance soulignent combien il est important d’assurer un suivi rapproché des vulnérabilités des entreprises, de comptabiliser et de gérer de manière rapide et transparente les actifs improductifs, et de renforcer la résilience des banques.

La Chine est le plus important des pays émergents. Elle continue de gérer une transition complexe vers une croissance plus lente et plus équilibrée et un système financier davantage axé sur le marché. Les autorités chinoises ont engagé des réformes mais la transition demeure intrinsèquement complexe.

Le lien entre les entreprises et les banques y est également vital. Malgré les progrès enregistrés sur la voie du rééquilibrage économique, la santé des entreprises chinoises se dégrade en raison du ralentissement de la croissance et des pertes de rentabilité. Cela est mis en évidence par la part croissante de la dette détenue par des entreprises qui peinent à couvrir les charges d’intérêt. Ce paramètre, que nous désignons «dette à risque», représente désormais 14 % de la dette des entreprises chinoises cotées en bourse, soit plus du triple de 2010.

L’intensification des tensions que subissent les entreprises chinoises se répercute sur les banques du pays. Selon la présente édition du rapport, en Chine, les prêts bancaires aux entreprises qui pourraient être compromis se chiffrent à près de 1.300 milliards de dollars. Ces prêts pourraient se traduire par des pertes bancaires équivalant à près de 7 % du PIB (graphique 4). Ce chiffre pourrait certes paraître considérable mais il n’en demeure pas moins gérable compte tenu des marges de manœuvre dont disposent les banques et les autorités et de la solidité que continue d’afficher la croissance économique. Il importe en outre de préciser que les autorités chinoises sont conscientes de ces vulnérabilités et qu’elles prennent des mesures pour faire face au surendettement des entreprises. Cela étant, l’ampleur de ces vulnérabilités exige un plan d’action ambitieux visant à : 1) corriger le surendettement des entreprises, 2) renforcer les banques, et 3) mettre à niveau le dispositif de supervision afin d’accompagner un système financier de plus en plus complexe.

Nous devons agir ensemble pour consolider la croissance et la stabilité financière par-delà l’actuel scénario de référence. Cela est faisable. Les gouvernants doivent déployer des panoplies de mesures plus puissantes et plus équilibrées, en s’affranchissant de la dépendance excessive à l’égard de la politique monétaire. La politique monétaire reste certes déterminante mais elle ne saurait suffire. Il est essentiel de mettre en œuvre des réformes structurelles bien conçues et de mener une politique budgétaire d’accompagnement propice à la croissance. En outre, des politiques financières plus vigoureuses doivent être engagées pour conforter la résilience. À l’échelle mondiale, il importe de parachever et d’exécuter le travail de réforme de la réglementation financière, y compris pour les établissements non bancaires. Toutes ces initiatives contribueront à équilibrer l’ensemble des politiques engagées et à leur donner plus de vigueur et d’efficacité.
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José Viñals est Conseiller financier et Directeur du Département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Auparavant, il a été Gouverneur adjoint de la Banque d'Espagne et il a fait partie de divers comités consultatifs et directeurs à la banque centrale et au sein de l'Union européenne, notamment comme Président du Comité des relations internationales de la BCE. Il a publié de nombreux ouvrages sur la macroéconomie, la politique monétaire et la finance.



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