La politique des taux négatifs de la BCE a été efficace mais fait face à des limites

Affiché le 10 août 2016 par - iMFdirect

Andy Jobst et Huidan Lin

Il y a plus de deux ans, pour tenter de ranimer une économie moribonde, la Banque centrale européenne (BCE) s’est lancée dans une nouvelle mesure de politique monétaire : la facturation d’un intérêt sur les excédents de trésorerie déposés par les banques auprès de la banque centrale. Cette mesure complétait une série d’autres mesures d’assouplissement, destinées à ramener l’inflation à l’objectif fixé par la BCE pour garantir la stabilité des prix, à savoir un niveau en dessous, mais proche, de 2 % à moyen terme. 

Il y a une certaine logique dans des taux directeurs négatifs. Lorsque les banques commerciales sont facturées (plutôt que rémunérées) pour déposer à la BCE leurs excédents de liquidités, elles devraient plutôt être incitées à prêter aux consommateurs et aux entreprises. Les consommateurs seraient ainsi amenés à acquérir davantage de biens, et les entreprises à investir dans de nouvelles capacités de production. Une accélération de la croissance économique contribuerait à empêcher l’inflation de glisser trop bas — ou même de devenir négative —, signe d’un malaise économique.

Pendant longtemps, nombre d’économistes et de décideurs ont estimé que les banques centrales ne pouvaient pas abaisser leur taux directeur en dessous de zéro.  Dans un tel cas, selon leur argument, les banques commerciales seraient obligées de réagir en facturant un intérêt à leurs propres clients sur leurs dépôts. En conséquence, les entreprises et les ménages commenceraient à retirer leur argent et à l’amasser sous leurs fameux matelas (Bech and Malkhozov, 2016). Mais ne pas passer en dessous de zéro signifiait que les taux d’intérêt qualifiés de réels  — taux nominaux moins inflation— ne pouvaient pas descendre plus bas lorsque l’inflation était trop faible. Et des taux d’intérêt réels trop élevés brideraient l’investissement et la consommation. En fait, dans la zone euro, les taux réels étaient vraisemblablement encore bien supérieurs au taux requis pour augmenter la production à son niveau potentiel (techniquement, le taux d’intérêt «naturel»). Donc, pour faire baisser encore les taux réels, la BCE serait obligée d’abaisser le taux directeur nominal en dessous de zéro. 

Bilan des taux d’intérêt négatifs

Après deux ans, quel bilan peut-on tirer de la politique de taux d’intérêt négatifs de la BCE — également adoptée par d’autres banques centrales, notamment au Japon et en Suisse — ? Notre étude conclut que, jusqu’à présent, elle a été bénéfique. La baisse du taux a assoupli les conditions financières, en abaissant le coût de l’emprunt, à la fois pour les banques et pour leurs clients (BCE, 2016; Heider and others, 2016). La diminution des coûts de financement pour les banques a aussi renforcé «l’orientation prospective» de la BCE, c’est-à-dire son engagement à maintenir les taux bas sur une longue période. La baisse des coûts d’emprunt à la fois pour les ménages et les entreprises a aussi contribué à une modeste expansion du crédit — favorable à la croissance et à l’inflation. Enfin, la baisse des taux de dépôt par la BCE a contribué à amplifier l’impact de ses achats d’actifs, qui ont pour but de stimuler les marchés et l’économie. En effet, les banques ont réduit leurs soldes de trésorerie pour investir plutôt dans des actifs davantage risqués mais à plus fort rendement.

Toutefois, les taux négatifs dans la zone euro ne sont pas sans engendrer des difficultés particulières. Dans la mesure où la BCE ne facture des intérêts que sur les excédents de liquidités, ce sont les pays dont les banques détiennent les plus forts excédents de réserves qui sont facturés le plus. Ces pays sont en général ceux qui affichent d’importants excédents de leurs transactions courantes vis-à-vis d’autres membres de l’union monétaire. En même temps, les banques ont vu s’amoindrir leur capacité à générer des revenus d’intérêts sur chaque euro d’actifs : en effet leur dépendance à l’égard d’un grand nombre de déposants les a empêchées de réduire l’intérêt qu’elles versent sur les dépôts de leurs clients dans les mêmes proportions que celui qu’elles facturent pour leurs crédits. Et dans plusieurs grands pays, les emprunts sont en général indexés sur le taux directeur (prêts dits «à taux variable»). Dans ces pays, les banques sont confrontées à une diminution de leurs marges non seulement sur les nouveaux engagements de prêts mais aussi sur les encours existants, comme en atteste l’analyse du FMI dans l’édition d’avril du Rapport sur la stabilité financière dans le monde (GFSR) (graphique 1).

Les banques ont réussi dans une certaine mesure à compenser la baisse de leur rentabilité par une augmentation de leurs volumes de prêts et une baisse de leurs charges d’intérêt, ainsi que par les plus-values de leurs investissements, la réduction de leur provisionnement pour risque et une légère hausse de leurs frais et commissions, tout en dégageant des économies par des réductions de coûts (Rostagno and others, 2016). Mais de telles mesures d’atténuation ont de toute évidence leurs limites.

Des avantages qui s’estompent

Dans l’ensemble, la BCE a peu de marge de manœuvre pour continuer à abaisser considérablement les taux d’intérêt sans porter atteinte à la rentabilité des banques. Comme il a été souligné dans notre analyse et dans le   rapport des services du FMI sur la zone euro, la perspective de faibles taux directeurs sur une longue période a assombri les perspectives de bénéfices de la plupart des banques, ce qui laisserait entendre que les avantages d’une politique de taux d’intérêt négatifs pourraient bien s’estomper progressivement, tandis que la croissance future du crédit pourrait ne pas suffire pour compenser la réduction des marges d’intérêt dans un certain nombre de pays (graphique 2).

De nouvelles baisses du taux directeur pourraient mettre en évidence l’arbitrage éventuel à opérer entre une transmission efficace de la politique monétaire et la rentabilité des banques. Une baisse de rentabilité des banques et des prix des actifs pourrait inciter les banques disposant de faibles volants de fonds propres à diminuer leurs volumes de prêts, surtout celles qui ont des niveaux élevés de créances improductives (graphiques 3 et 4).

En conséquence, à l’avenir, la BCE pourrait devoir compter davantage sur les achats d’actifs. De nouvelles baisses des taux d’intérêt pourraient affaiblir l’efficacité de la politique monétaire, si les taux de prêts ne s’ajustent pas ou si les clients retirent leur argent des banques. Privilégier les achats d’actifs permettrait de faire monter leurs prix ainsi que la demande globale, tout en facilitant également le crédit bancaire. Cela permettrait aussi de voir l’amélioration des conditions de financement des banques se répercuter plus facilement sur l’économie réelle.

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Andreas (Andy) Jobst est chef économiste au Département Europe du FMI, où il travaille sur le secteur financier, la politique monétaire, et la surveillance macro prudentielle pour la zone euro. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé pendant trois ans les fonctions de chef économiste et directeur adjoint (du contrôle) à l’Autorité monétaire des Bermudes. M. Jobst est titulaire d’un doctorat de la London School of Economics.

 

Huidan Lin est économiste au Département Europe du FMI, où elle travaille sur la politique monétaire et les perspectives macroéconomiques de la zone euro, après avoir travaillé sur le Portugal et la Corée. Ses travaux de recherche ont été axés sur un vaste éventail de questions macroéconomiques et financières relatives à la croissance, le secteur bancaire, le marché du travail et la finance d’entreprises, en Chine, dans la zone Euro et aux États-Unis. Mme Lin est titulaire d’un doctorat en économie de l’Université Columbia et d’une licence d’économie de l’Université de Pékin.