Les travaux du FMI sur les inégalités : un lien entre la recherche et la réalité

Par Prakash Loungani et Jonathan D. Ostry
Affiché le 22 février 2017 par le blog du FMI - iMFdirect

Ces trente dernières années, les inégalités de revenu se sont creusées dans la plupart des pays développés ainsi que dans de nombreux pays en développement. Pourquoi? Dans l’essentiel des travaux de recherche consacrés aux inégalités, les progrès technologiques et la libéralisation des échanges font figure de causes principales. Si les technologies et les échanges commerciaux sont des tendances mondiales auxquelles il est difficile de s’opposer, les études du FMI montrent que l’élaboration des politiques publiques joue un rôle important et peut contribuer à limiter le creusement des inégalités.

Autre conclusion importante des études du FMI : le creusement des inégalités met en danger une croissance économique durable. De ce fait, la lutte contre les inégalités relève pleinement de la mission du FMI qui consiste à aider les pays à améliorer leurs résultats économiques. Le FMI s’appuie aujourd’hui sur des années de recherches consacrées aux inégalités pour proposer des solutions à ses membres, en particulier des méthodes équitables en termes de fiscalité et de dépenses.

Comprendre les inégalités

La Bolivie, qui affichait l’un des niveaux d’inégalités de revenu les plus élevés en Amérique latine au début du siècle, est un bon exemple. Lorsque les prix de ses exportations de produits de base se sont envolés au début de ce siècle, le pays a pu observer une réduction sensible des inégalités qui lui a permis de se classer au milieu des pays de la région. Soucieuses de conserver ces acquis, les autorités ont souhaité comprendre les causes du recul et élaborer des politiques susceptibles d’empêcher un retour des inégalités à la suite de la chute récente des cours des produits de base.

Dans ce contexte, les inégalités ont occupé une place centrale dans les consultations annuelles du FMI avec les autorités en 2015 et 2016, qui se sont inspirées d’une étude approfondie utilisant les statistiques des revenus des ménages boliviens. Cette étude approfondie a montré que les inégalités avaient reculé sous l’effet du partage avec le reste de l’économie de la richesse issue des exportations de produits de base via une hausse de l’investissement public et du salaire minimum ainsi que des transferts sociaux. Une autre étude a mis en évidence le rôle essentiel que pouvait jouer un meilleur accès aux services financiers dans la réduction des inégalités.

Le FMI a mis au point un modèle de l’économie bolivienne pour simuler l’évolution probable des inégalités et déterminer quelles politiques pourraient contribuer à conserver les acquis. La poursuite des investissements ’en infrastructure, le renforcement de leur efficience et un meilleur ciblage des transferts monétaires sont apparus comme les meilleurs moyens d’action.

L’Éthiopie est un autre exemple de pays ayant bénéficié de conseils pratiques du FMI. Le FMI y a analysé l’évolution des inégalités et mesuré l’effet des politiques visant à stimuler la croissance sur la répartition du revenu. Parmi ses recommandations figuraient l’adoption de seuils d’imposition sur le revenu plus progressifs, la création d’instruments financiers pour les épargnants ruraux et une réforme des aides indirectes afin de mieux répondre aux besoins des ménages à faible revenu.

Les causes : déficits budgétaires et marchés du travail


Pour étudier les causes des inégalités, les économistes du FMI ont privilégié trois axes : la réduction des déficits budgétaires via des hausses d’impôts ou des baisses des dépenses, la libéralisation des marchés du travail et la suppression des obstacles aux flux transfrontaliers de capitaux. Si ces mesures peuvent s’avérer bénéfiques, elles peuvent aussi parfois avoir pour effet indirect de creuser les inégalités.

Les études consacrées à certains pays ont corroboré ces conclusions, qui s’appuyaient sur un large échantillon.

Les travaux de recherche sur le Honduras, le Guatemala, l’Ouganda et la République du Congo ont confirmé que les politiques budgétaires ont un impact prononcé sur les inégalités.

Ils montrent aussi que l’ampleur de l’impact dépend de la manière dont les impôts sont recouvrés et les recettes dépensées. Les effets sur les inégalités sont plus marqués lorsque le recours aux impôts directs sur le revenu est moindre et celui aux impôts indirects plus important. Par contre, les dépenses en infrastructure réduisent les inégalités.

Les études de cas de l’Éthiopie et du Myanmar confirment que les réformes du secteur financier peuvent accentuer les inégalités si l’accès aux services financiers reste limité et si la mobilité de la main-d’œuvre est restreinte.

Les conséquences : inégalités et croissance

L’importance accordée aujourd’hui par de nombreux pays à la lutte contre les inégalités semble indiquer que l’inaction aura selon eux des répercussions négatives sur le plan socioéconomique. Leurs craintes ont été alimentées par la conclusion d’une étude du FMI selon laquelle la croissance économique devient moins durable en cas d’inégalités.

Cette conclusion a suscité un vif intérêt. Elle montre en effet que des inégalités fortes ont un coût économique direct, en plus des inconvénients mis en évidence par d’autres auteurs (hors FMI) comme une captation du processus politique par les élites et une érosion de la cohésion sociale. Elle place aussi les inégalités dans le domaine de compétence des travaux du FMI : pour favoriser une croissance soutenue, l’un des objectifs des conseils du FMI, il faut prêter attention aux inégalités.

Pourquoi un creusement des inégalités finit-il par nuire à une croissance durable? Dans les pays en développement, des inégalités plus prononcées ont parfois déclenché des crises sociales ou politiques, qui peuvent ensuite torpiller la croissance.


Dans les pays développés, les travaux du FMI montrent qu’un creusement des inégalités de revenu peut se traduire par un excès d’emprunts par les ménages à faible revenu et à revenu intermédiaire, ce qui à terme provoque une crise. Cette suite d’événements a caractérisé à la fois les périodes qui ont précédé la Grande Dépression et la Grande Récession. La dernière étude par le FMI de l’économie américaine a montré que la polarisation des revenus depuis 2000 a eu «un impact négatif sur l’économie, qui a entravé le principal moteur de la croissance américaine, à savoir la consommation».

Les remèdes aux inégalités excessives

Les études des causes et conséquences des inégalités excessives débouchent naturellement sur un examen des remèdes potentiels. Par exemple, si les politiques budgétaires sont à l’origine des inégalités, les avis du FMI sur l’élaboration de ces politiques doivent tenir compte de cette réalité. D’une part, car les effets sur la répartition des revenus peuvent en soi être importants pour certains gouvernements et d’autre part, car ils peuvent rendre la croissance moins durable.

L’élaboration de la politique budgétaire est déterminante pour la redistribution et la «pré-distribution» — améliorer l’égalité des chances pour empêcher l’apparition même d’inégalités extrêmes. Ces politiques incluent les dépenses publiques consacrées à la santé et à l’éducation, qui peuvent améliorer l’égalité des chances pour les personnes issues de ménages à plus faible revenu.

En revanche, la redistribution désigne les mesures prises a posteriori pour que les revenus disponibles ou nets soient plus égalitaires que les revenus marchands. Les mesures englobent la progressivité de l’impôt, les transferts monétaires vers les familles à faible revenu et d’autres prestations sociales. Une autre conclusion importante des travaux de recherche, qui a des conséquences sur l’élaboration de nombreuses politiques, est que la redistribution, sauf si elle prend des proportions extrêmes, n’a pas d’effet négatif sur la croissance.

Conclusion

En résumé, les travaux du FMI ont beaucoup apporté à l’étude des inégalités.

• Concernant les causes, la conclusion selon laquelle les politiques économiques sont un facteur important d’inégalités signifie que les autorités peuvent prendre des mesures pour réduire les inégalités lorsqu’elles sont jugées excessives;

• S’agissant des conséquences, il apparaît que les inégalités ont un coût économique direct en termes de croissance moins durable; les travaux sur les inégalités appartiennent donc à la mission principale du FMI;

• Pour ce qui est des remèdes, l’élaboration des politiques devrait tenir compte des effets sur la répartition des revenus. Cela est de plus en plus le cas dans les conseils que le FMI prodigue à ses membres.

Lire aussi la récente déclaration du FMI sur l’intégration des inégalités dans les activités du FMI.
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Prakash Loungani est chef de la Division de macroéconomie du développement au sein du Département des études du FMI. Il a coprésidé le groupe de travail Emploi et croissance du FMI de 2011 à 2015. Il est aussi professeur auxiliaire de gestion à l’Owen School de l’université Vanderbilt, où il enseigne dans le cadre du programme de MBA destiné aux cadres depuis 2001, et Senior Fellow à l’OCP Policy Center.


Jonathan D. Ostry est directeur adjoint du Département des études du FMI. À son poste actuel, il supervise les travaux de politique économique et de recherche liés à l’exercice d’alerte avancée FMI–CSF, les exercices de vulnérabilité pour les pays développés et émergents, la surveillance multilatérale des taux de change et les questions liées à l’architecture financière mondiale. Auparavant, il a notamment dirigé la division qui produit la publication phare de surveillance multilatérale du FMI, les Perspectives de l’économie mondiale, et piloté des équipes-pays pour l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et Singapour. Il est l’auteur/directeur de publication de nombreux ouvrages consacrés aux questions de politique macroéconomique internationale et d’articles figurant dans des revues spécialisées.



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