Pourquoi la coopération financière internationale demeure essentielle

Par Tobias Adrian et Maurice Obstfeld
Affiché le 23 mars 2017 par le blog du FMI - iMFdirect

La croissance économique se renforce dans les grands pays, semble-t-il, mais cela ne signifie pas pour autant que le moment est venu d’assouplir la réglementation du secteur financier. Au contraire, cette réglementation demeure plus nécessaire que jamais, tout comme la coopération internationale qui vise à assurer la sécurité et la résilience des marchés internationaux de capitaux. C’est pourquoi les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales du Groupe des vingt (G20) ont réaffirmé qu’ils soutenaient la poursuite des réformes du secteur financier à la réunion de Baden-Baden la semaine dernière.

La crise financière mondiale de 2008 a été particulièrement grave par son ampleur, sa portée et ses effets persistants, mais elle n’est que la dernière en date d’une longue série de crises financières survenues depuis des siècles. Ces crises font subir des pertes financières aux investisseurs professionnels mais surtout, elles ont un coût humain élevé chez ceux qui perdent leur emploi, leur logement et leur épargne. Pour protéger leurs citoyens, les États adoptent généralement une panoplie de règles financières destinées à réduire le risque de défaillances susceptibles d’avoir des répercussions dans l’ensemble de l’économie. Il s’agit notamment de normes applicables aux bilans, de règles de prévention de délits d’initiés, de lois plus générales sur les conflits d’intérêts et de mesures de protection des consommateurs.

Sommes-nous allés trop loin ?

Pour certains, la réglementation en vigueur va trop loin et a pour principal effet de nuire à l’économie en réduisant les bénéfices des établissements financiers, et partant leur capacité à fournir des services essentiels. Ils font valoir que les banques et les autres établissements financiers, qui agissent dans l’intérêt de leurs actionnaires, ne prendront jamais le risque d’une défaillance en toute connaissance de cause. Même s’ils parviennent à éviter l’insolvabilité, l’atteinte à leur réputation les amènerait à cesser leur activité. Cependant, l’histoire ne manque pas d’exemples de comportements imprudents, qui vont de la crise de la tulipe aux Pays-Bas au XVIIe siècle à la crise des subprimes des années  2000. De plus, même lorsque les dirigeants des établissements financiers évaluent leurs propres risques avec lucidité, il arrive qu’ils ne soient pas encore suffisamment prudents du point de vue de la société. En effet, le coût de certaines défaillances est supporté par d’autres, leurs actionnaires par exemple, ou encore les contribuables, qui payent au bout du compte en cas de renflouement par l’État.

La surveillance du secteur financier, qui n’a jamais été une tâche facile, est devenue plus complexe depuis une cinquantaine d’années car les activités financières connaissent de moins en moins les frontières. C’est pourquoi les autorités nationales ont intensifié la collaboration de façon à encourager la stabilité et créer des conditions équitables sur les marchés financiers internationaux.

Le caractère mondial de la finance moderne présente au moins quatre grandes difficultés pour les autorités nationales de réglementation et de contrôle. Premièrement, il est difficile d’évaluer les opérations des institutions financières dès lors qu’elles ne se limitent plus à leur pays d’origine. Deuxièmement, les établissements financiers peuvent profiter des différences entre les réglementations nationales pour établir leurs activités les plus risquées là où la réglementation est la plus souple. Troisièmement, en cas de défaillance, il est plus difficile de liquider les établissements complexes qui mènent des activités dans plusieurs pays. Enfin quatrièmement, les pays peuvent rivaliser activement pour attirer des activités financières internationales tout en soutenant leurs «champions nationaux» en adoptant des normes réglementaires laxistes. L’ensemble de ces facteurs fragilise le système financier mondial, d’autant plus que les réseaux et les instruments financiers deviennent plus complexes.

Comité de Bâle

Pour faire face à ces difficultés, les autorités nationales de réglementation ont lancé en 1974 un processus de consultation et de coordination sous l’égide du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. Le Comité de Bâle se concentre sur la réglementation bancaire, tandis que le Conseil de stabilité financière, créé par le G20 après la crise financière de 2008, coordonne l’élaboration de mesures réglementaires applicables plus généralement aux marchés financiers internationaux et rassemble les autorités nationales, les institutions financières internationales et les instances de normalisation du secteur.

Les pays coopèrent par l’intermédiaire du Comité de Bâle et du Conseil de stabilité financière car une autorité nationale ne peut à elle seule garantir la stabilité de son propre système financier alors que les banques et les autres établissements financiers exercent leurs activités à l’échelle mondiale. Les accords internationaux sur les normes réglementaires et prudentielles découragent un nivellement vers le bas en créant des conditions de concurrence équitables dans le secteur financier. Plus généralement, lorsque les pays rivalisent pour attirer les entreprises par une déréglementation excessive, tout le monde y perd car des accidents financiers sont plus susceptibles de se produire et lorsqu’ils surviennent, ils sont plus graves et risquent davantage de se propager dans d’autres pays.

Au lendemain de la crise de 2008, le Comité de Bâle a lancé une initiative dite Accord de Bâle III, qui prévoit des normes minimales plus strictes à la fois qualitatives et quantitatives applicables aux fonds propres des banques (le « matelas » qui permet aux banques d’absorber les pertes sans faire faillite ni faire appel aux pouvoirs publics). S’il est essentiel que les banques disposent de suffisamment de fonds propres, un niveau plus élevé de fonds propres ne les met pas à l’abri en cas de graves mouvements de panique. L’accord prévoit donc des mesures complémentaires visant à réduire les risques bancaires. C’est pourquoi même si le dispositif Bâle III est encore en cours de mise en place, les banques sont déjà beaucoup mieux capitalisées et moins sensibles qu’il y a dix ans à la nervosité des marchés.

Les États-Unis, qui ont obligé les banques à se recapitaliser et se restructurer plus résolument après la crise, se sont redressés plus rapidement que les pays qui ont choisi une autre voie. Toutefois, pour assurer la sécurité du système financier mondial, il ne faut pas se contenter de durcir les contraintes de bilan des banques. Tout en élaborant les normes Bâle III, le Conseil de stabilité financière a créé une méthode commune permettant de faire face aux défaillances des établissements financiers les plus grands et les plus importants sur le plan systémique. Il est essentiel de pouvoir liquider les établissements insolvables en toute sécurité même s’ils sont grands, internationaux ou complexes ou s’ils menacent l’ensemble du système financier en cas de défaillance, faute de quoi on court le risque d’un sauvetage par l’État, on prend des risques excessifs et on compromet la discipline de marché.

Bien entendu, toute réglementation financière exige des compromis. En principe, l’obligation de détenir davantage de fonds propres et de liquidités peut relever le coût du crédit pour les ménages et les entreprises, ou réduire la liquidité du marché. Jusqu’à présent, les études ont montré que les conséquences imprévues sont relativement limitées. En revanche, il ne fait aucun doute qu’un système financier plus sûr est largement avantageux.

S’il est vrai que le système financier est plus sûr aujourd’hui, il faut reconnaître que la réglementation financière est devenue beaucoup plus complexe. Aux États-Unis par exemple, la loi Dodd-Frank compte plus d’un millier de pages, et a donné lieu à des dizaines de milliers de pages de règles d’application. Il serait bon de les simplifier. Ainsi, le seuil à partir duquel les banques sont considérées d’importance systémique, et par conséquent soumises à des normes réglementaires plus strictes, est actuellement fixé à 50 milliards de dollars de bilan, pourrait être assoupli. On pourrait également simplifier la réglementation qui régit les banques locales sans accroître les risques pour le système, ainsi que l’application des tests de résistance, qui visent à évaluer la résilience des banques face aux chocs économiques et financiers éventuels.

Dans le même temps, il faut préserver les principes fondamentaux du nouveau régime réglementaire mondial. Paradoxalement, la résilience relative des marchés financiers observée depuis quelques années, qui est due en partie au durcissement des règles internationales, a été citée pour faire valoir que la règlementation financière freine excessivement la croissance. Or c’est une vision à courte vue. Selon Hyman Minsky, auteur réputé d’études sur les crises financières, «tout succès amène à négliger les possibilités d’échec». Autrement dit, les décideurs ne doivent pas céder à la facilité et oublier les amères leçons d’un passé pas si lointain. Il reste essentiel de poursuivre la coopération financière internationale car c’est sur elle que reposent la solidité et la stabilité de l’économie mondiale.
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Tobias Adrian est Conseiller financier et Directeur du Département des marches monétaires et de capitaux du Fonds monétaire international (FMI). À ce titre, il dirige les travaux du FMI sur la surveillance du secteur financier, les politiques monétaires et macroprudentielles, la régulation financière, la gestion de la dette et les marchés de capitaux. De plus, il supervise les activités de renforcement des capacités dans les pays membres du FMI, en particulier dans les domaines du contrôle et de la réglementation des systèmes financiers, des banques centrales, des régimes monétaires et des changes et de la gestion des actifs et passifs.

Avant d’entrer au FMI, M. Adrian était Premier vice-président de la Federal Reserve Bank de New York et Directeur adjoint du Research and Statistics Group. À la Federal Reserve Bank, il a participé aux travaux sur la politique monétaire, les politiques de stabilité financière et la gestion des crises.

M. Adrian a enseigné à Princeton University et à New York University et est l’auteur de nombreuses publications dans des revues économiques et financières, notamment l’American Economic Review, le Journal of Finance, le Journal of Financial Economics et la Review of Financial Studies. Son champ de recherche recouvre l’évaluation des actifs, les établissements financiers, la politique monétaire et la stabilité financière, et plus particulièrement les conséquences globales de l’évolution des marchés de capitaux.

M. Adrian est titulaire d’un doctorat du Massachusetts Institute of Technology, d’une maîtrise de la London School of Economics, d’un Diplom de Goethe University Frankfurt et d’une maîtrise de l’Université Paris-Dauphine. Il a obtenu son diplôme de fin d’études secondaires en littérature et mathématiques à Humboldtschule Bad Homburg.


Maurice Obstfeld est le Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI, en disponibilité de l’Université de Californie, à Berkeley, où il est professeur d’économie (promotion de 1958) et anciennement Directeur de la faculté d’économie (1998-2001). Professeur à Berkeley depuis 1991, il a auparavant occupé les postes de professeur titulaire à Columbia (1979–1986) et à l’Université de Pennsylvanie (1986–89), et de professeur invité à Harvard (1989–90). Il a obtenu son doctorat en économie au MIT en 1979, après avoir étudié à l’Université de Pennsylvanie (licence, 1973) et au King’s College de l’Université de Cambridge (maîtrise, 1975).

De juillet 2014 à août 2015, M. Obstfeld a été membre du Conseil des conseillers économiques du Président Obama. De 2002 à 2014, il a occupé le poste de conseiller honoraire auprès de l’Institut d’études économiques et monétaires de la Banque du Japon. Il est en outre membre de la Société d’économétrie et de l’Académie américaine des arts et des sciences. M. Obstfeld a notamment reçu les distinctions suivantes : le prix Tjalling Koopmans de l’Université de Tilburg, le prix John von Neumann du Rajk Laszlo College of Advanced Studies (Budapest), et le prix de l’Institut Bernhard Harms de l’Université de Kiel. Il a participé à des conférences de renom, dont la conférence annuelle Richard T. Ely de l’American Economic Association, la conférence L. K. Jha Memorial de la Banque de réserve de l’Inde, et la conférence Frank Graham Memorial de l’Université de Princeton. M. Obstfeld a été membre du Comité de direction ainsi que Vice-président de l’American Economic Association. Il a également été consultant et a donné des cours au FMI, ainsi que dans de nombreuses banques centrales dans le monde.

Il a par ailleurs coécrit deux des ouvrages phares en économie internationale — Économie internationale (10e édition, 2014, avec Paul Krugman et Marc Melitz), et Foundations of International Macroeconomics (1996, avec Kenneth Rogoff) —, ainsi qu’une centaine d’articles de recherche sur les taux de change, les crises financières internationales, les marchés mondiaux de capitaux et la politique monétaire.

 



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